Elle

waxette

Elle sourit.

Les enfants jouent dehors, dans le vent qui parfois ramène des morceaux de leurs cris. La longue table installée attend, chaises rangées et patientes, le bavardage de leur repas. La maison l’étouffe d’odeurs mêlées, le ragoût qui cuit, le charbon qui brûle, la lavande forte que l’homme lui a apporté en gerbe ce matin. Même la haut dans la chambre commune, soigneusement rangée et briquée, l’odeur l’attend. Les lits des enfants, couverts de leurs édredons de couleurs chaudes, gonflent leurs ventres vers le plafond bas, cachés derrière leurs rideaux qui leur fait à chacun un voile secret d’ombres révélées, lorsque la lumière des bougies le soir assombrit les corps en les entourant de son halo, et qu’à travers les toiles tendues transpirent les chuchotements et le rire des filles, qui dans leur lit étroit échangent leurs mystérieux secrets de miroirs vivants. Les cinq lits se touchent presque dans l’exiguïté de la pièce, et la nuit, les rêves des uns réveillent les autres, pendant que leurs souffles mêlés viennent embuer les vitres de la petite fenêtre.

C’est dans ce faux silence de grognements et de toux, les peurs d’enfants et les ronflements légers comme une brise d’été, que clandestins comme deux adolescents sur la paille d’une étable, ils avaient à nouveau conçu. Encore une vie à ranger dans la petite pièce, encore à serrer un peu plus les autres dans leurs lits déjà étroits, et plus encore, s’ils venaient par deux, comme ils aimaient à le faire. Forcement elle pense à sa chère Claire, sa moitié de miroir à elle, son identique a une hanche près, et qui s’est condamnée à sa vie sans homme depuis qu’un matin de printemps son joseph était parti, au bord d’un petit chemin de terre, comme endormi au pied d’un chêne. Bien sur elle n’aurait pas pu, avec son os malade, porter le ventre rond qui allait s’alourdissant. Elle ne connaîtrait pas les semaines de l’attente, le linge qui reste blanc, les matins embrouillés de cœur à l’envers, le mal au dos de l’eau à puiser, des assiettes à laver penchée sur la pille de pierre, et la lessive a battre sur le lavoir trop bas. Elle ne connaîtrait pas tout ça, non, et non plus les douleurs, et non plus la chaleur du petit corps qui s’agite enfin sur son corps.

Les enfants jouent dehors, bruns et blonds, joues rouges de vent et de soleil. Bientôt ils rentreront, se presseront autour de la grande table, et une fois dite la prière, ils jacasseront et s’agaceront les uns les autres, comme des chiots affamés se disputent le ventre de leur mère.

Et elle leur donnera son ventre.

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