Elle
arthurm
Je roule. Depuis combien ? Trois, quatre jours peut-être. Je ne sais plus. Je ne compte pas vraiment. Je ne m’arrête que le temps de refaire le plein et une santé dans les toilettes des stations essence. Un regard dans le miroir. Une trace. Une deuxième. Je me lave le visage à l’eau claire. Je me regarde, je vomis. Je me rince la bouche. Une dernière trace. Je repars. J’ai sommeil. Il faudra bien, un moment, que je m’arrête dormir. Pas le temps. On me cherche. Je crois. Je ne sais plus. Les départementales du Lot me semblent d’un ennui mortel. Le paysage est sec, rude. Les arbres centenaires dépassent péniblement les deux mètres, noueux comme les vignes et les rares herbes qui poussent entre les cailloux sont mangés par les chèvres et les quelques moutons du coin. Il y a de la poésie dans cette rudesse. Une déclaration d’amour en prose, pour cette nature sauvage. Ce n’est pas l’Arizona, puisque les gens du coin savent au moins écrire leur nom. C’est encore mieux. Rien dans le rétro. Rien devant. Rien partout. Il fait nuit en moi, la pale lumière argentée du plexus lunaire grise mes entrailles et m’engourdit les pieds. Je vais, je viens, j’ai déjà commis l’horrible. Dès les premiers mots, le premier temps de l’échange. Elle est si jeune. La moitié de mon âge. Moins encore. Elle a pourtant déjà tout fait. Un. Deux. Blanc. Black. Beur. Trois. Plus. Tant d’hommes ont comme moi traversé la France pour la prendre. Sur un matelas, posé à même le sol au dessus de l’atelier de sa mère à côté de la maison. Rendez-vous par sms. Se garer à une centaine de mètres, terminer le reste du trajet à pieds. J’ai mal. Le dégoût se dispute avec le désir bestial de posséder ce petit corps frêle et si insatiable pourtant. Je tremble. D’excitation. D’interdit. De nausée. Je suis amoureux de ce chat à peine sorti de l’oeuf. Je connais tout. Dans les moindres détails ce qu’ont fait les autres amants. Méticuleusement elle m’a répété, a revécu chaque acte pour m’exciter. Pendant des semaines, des mois, elle a donné de son corps pour perdre son innocence d’enfant pendant que de ma main droite je déchirais mon âme, obstiné comme seuls peuvent l’être les amants. Amoureux de mon désir pour elle, me saoulant à mort pour oublier ce que je n’oublierai jamais. Au fur et à mesure, suivant ms humeurs, je l’ai aimée, détestée, en lui faisant savoir. Mettre dans la même phrase que je voulais qu’elle arrête ça mais qu’elle me raconte tout de la manière la plus crue possible. Ne plus lui parler pour me faire harceler de messages. Lui écrire pendant des jours entiers sans réponse de sa part. Elle me hait pour ce que je lui fais faire, seule ou avec ses partenaires. Elle m’aime. Aussi. Je roule vers elle. Toutes les cinq minutes je reçois un texto, une photo, de son désir, de son amour, de son corps offert me demandant de la combler, la remplir. J’ai le goût de sa voix chaude et chantante dans les yeux. Je regarde le rétro.
J’ai pris tant de routes différentes, tant de trajectoires pour arriver devant elle. Je suis là dans cinq minutes. Le soir commence à tomber. Je me gare. Enchainer une autre trace. Elle en voudra aussi. J’ai peur. Je veux sentir sa peau, son parfum. Dormir contre elle, la sueur nous collant à l’autre au petit matin. Mais on ne dormira pas tous les deux. Ou alors elle repartira aux premières lueurs de l’aube, avec pour seul souvenir un peu de moi dans l’estomac. Mon jean me serre. Je prends une bière. Elle voudra boire. Je l’aime. Je me dirige vers l’atelier, dans la fraicheur des étoiles. J’entends du bruit. Je me fige. Je la vois. Un trait blanc lui barre le visage. Son sourire. Elle est si belle.
j'aime beaucoup! Coeurs!
· Il y a plus de 11 ans ·bis