Elles sont trois. Quatrième et dernier chapitre: Votre rendez-vous le...
Sur le ferry, en route vers Corfou, Atropos, la Fileuse Impitoyable, promet de me révéler quand finira ma Vie. Puis le plaisir nous recouvre tous deux et l'orgasme me fait perdre conscience...
Dernière rencontre: la Vie offerte.
"Tu as bien le temps !".
Atropos a crié cela , oui, et... Ensuite ? Plus de souvenirs.
Je sors de l'inconscience, doucement, les sens apaisés. J'ai donc bien fait l'amour, avec Celle qui coupe le fil de la Vie.
La cabine, le bateau ? Non. Disparus . Disparues aussi les trois Soeurs.
Je suis allongé, nu, sur des dalles de pierre toutes chaudes.
Un peu paniqué, me voilà assis, ouf ! Personne sur les lieux. Mes vêtements ? Oui, ils sont là, ma valise, mon sac de voyage, aussi.
Me rhabiller vite fait, en quelques secondes. Bon, me voilà décent. Et je suis où ? Sur une terrasse, que le soleil caresse avec amour. Devant moi, la mer, autour de la terrasse, l'île. Corfou la Belle.
J'ai débarqué, alors ? Mais comment... Bon, les questions, on verra plus tard.
Ah, voilà quelqu'un. Non, quelqu'une. Une femme d'environ cinquante ans (à cinq ans près !), qui vient vers moi avec un gentil sourire et me demande, en bon anglais avec bel accent grec, si je suis perdu, besoin d'aide ?
Vais pas lui expliquer qu'il y a quelques instants j'étais sur un bateau en train de... Avec une fille assez redoutable ! Et que je suis là, etc... Non, faisons simple. Je lui montre l'adresse de l'hôtel où j'ai réservé une chambre. Elle connait ? Mais oui !
Elle m'indique le chemin: Pas tout près, environ une demi-heure de marche, mais ça me fera du bien. La dame a l'air serviable, je demande, l'air de rien: "Il y a un ferry qui arrive de Venise, aujourd'hui ?"
Elle rit, me montre la mer, l'entrée du port: "Le ferry ? Oui, Monsieur, regardez, c'est lui qui arrive, justement !"
Là, je dois me secouer le mental, car c'est bien mon bateau qui entre doucement vers les quais, aucune erreur possible. Respire, Edouard.
La grecque m'observe, attentive: "Vous attendez quelqu'un ?"
"Non, pas du tout, j'ai tout mon temps !" Zut, qu'ai-je dis là ! Elle me détaille du regard avec un intérêt gourmet, tout soudain, et propose, les yeux un peu troublés: "Si vous avez le temps, venez chez moi, nous boirons à vos vacances. Je vis seule !"
Help ! Après les Filles du Destin, une simple mortelle qui me convoite. Eros et Aphrodite font des heures sup !
L'étreinte d'Atropos m'a calmé la libido pour le moment, mais plus tard... Alors j'explique, avec le sourire, que cet aprem je peux pas. Ce soir, en revanche, vers huit heures ? Elle approuve avec fougue, et m'écrit son adresse sur un bout de papier:
"Je vous ferai goûter nos apéritifs du pays !" Frémissement des hanches (ses hanches à elles !).
D'accord, boissons locales, oui ! Pas de scotch, de gin, de rhum, s'il-vous-plait.
"A ce soir ! Mon prénom, c'est Séléné. Oui, dans notre mythologie, c'est la déesse..."
"De la pleine lune, je connais. Moi, c'est Edouard. A ce soir Séléné !"
"A ce soir, Edouard ! huit heures." Mon prénom dit avec ce joli accent... Geste doux avec ses mains, elle part.
J'ouvre mon sac pour y prendre mes lunettes de soleil et... Tiens ! Dans l'étui, je trouve une carte de visite.
Couleur bleue. Dans le coin en haut à gauche, le dessin stylisé d'une paire de ciseaux. Noirs. Et, au centre de la carte, écrite à la plume, une date: jour, mois, année. Rien d'autre.
Mon coeur décide de doubler sa vitesse de travail, ma respiration aussi, mon regard va direct, tout schuss, sur l'année.
Bonheur, lumière dans tout mon être, apaisement. Car la date me fixe rendez-vous dans un peu plus de cinq (5 !) décennies. Dans cinquante-deux ans.
Atropos a raison. J'ai bien le temps. La vie devant moi !
Je commence à descendre le chemin vers la mer et, tout de même, je pense, philosophe: "Donc, je sais. Mais cela fait-il de moi un privilégié ?"
Un trio de mouettes me survole en silence. L'une d'elle descend en piqué, se pose sur mon épaule et me dit: "Bonne question !"
Puis elle rejoint ses Soeurs.
Edouard Huckendubler (mythologiste libertin)
L'illustration, c'est: "Les trois Parques", par Marco Bigio (XVIe siècle).