Elles sont trois. Troisième chapitre: Atropos

astrov

Sur le bateau Venise-Corfou, je suis pris en main par les trois Fileuses: Clotho et Lachésis me tiennent déjà, violentes, allumeuses. Et voici leur troisième Soeur, Atropos, l' Impitoyable.

                      Troisième rencontre:  Atropos.


Atropos.  Celle qui coupe le fil de la Vie.  Je m'attendais à quoi, après les deux Soeurs provocantes ? A une créature froide, mortifère, la Camarde ? Une Succube ?
Ben non. C'est une  jeune fille, d'allure sportive, jupe courte et chemisier décolleté, cheveux roux (qu'est-ce-que j'aime les rousses !) mi-longs avec une jolie frange qui orne son front. Elle porte un petit sac à dos noir brodé de fleurs argentées.
Ce qui pourrait me mettre en alerte, c'est son regard. Il est doux, grave, on y lit la compassion, l'empathie.  Pas du tout le style aguicheur, violemment sexe, des deux autres.
Sur le pont, le vent est revenu, léger, il joue un peu avec la frange d'Atropos. Mais c'est que l'ambiance serait devenue presque paisible, ma foi !
Les trois Créatures se regardent avec une sorte de connivence bien maitrisée. Lachésis demande:  "On te le laisse, hein, par obligation  ! Faut ce qu'il faut."  Clotho soupire:  "Dommage, on aurait pu le régaler un p'tit coup."
Eh oh ! C'est de ma personne qu'elles discutent, les Fileuses. D'abord elles m'allument, me titillent, et puis, bof, elles me livrent à Celle que, de toute éternité, on appelle "L'Impitoyable". Je sens que je vais être malpoli, mais, non,  après tout, c'est moi qui l'ai demandée,  la troisième Soeur.  Assume, Edouard !
Atropos prend la situation en main:  "Soeurs, désolée pour votre libido. Allez vous trouver un autre gars, le bateau en est plein, vous n'avez qu'à choisir !"
Lachésis s'énerve un peu:  "Dis donc, le fil de la Vie, c'est moi qui le dévide ! Toi tu le coupes, d'accord, mais ce serait bien que tu me consultes avant que tu fasses ton boulot. Et d'abord, c'est quoi ton look de jeune fille bien sage avec décolleté hypocrite ?"
Le regard de la jolie rousse devient glacial. Elle réplique (non, elle ordonne):  "Je suis comme vous Servante du Destin. Je m'occupe d'Edouard à partir de maintenant."  Elle part, je la suis, nous quittons le pont, direction les cabines. Les deux autres Fileuses n'ont pas bougé. Dans le couloir, Atropos me sourit tendrement: "Ma cabine est la dernière."  Rassurant.
" Voilà, on y est." Elle ouvre la porte en effleurant la serrure de son index. "Bienvenu chez moi !"
Son chez-soi est clair, simple, une cabine neutre, en fait. La Troisième Soeur pose  sur une chaise son petit sac à dos noir et entre dans la salle de bain dont elle ferme la porte en chuchotant: "Attends-moi !".  Ah bon... Le Désir, elle aussi !
Ce sac... J'ai trop envie de savoir ce qu'il contient, tout en ayant un pressentiment, car je connais la Mythologie. Tant pis, indiscrétion.  Je veux le prendre, mais,  Dieu(x), qu'il est lourd, impossible de le soulever.  Pourtant  elle le portait sans peine, elle ! L'ouvrir, je peux ? Oui, la fermeture éclair glisse sans effort. Je vois l'intérieur, et, malheureusement, mon pressentiment était juste.
Des ciseaux. Il n'y a qu'une paire de ciseaux, en argent massif. Petits, joliment ouvragés. Téméraire, je décide de les sortir du sac. Doute de rien, le gars. J'avance une main, mais des rires étouffés me parviennent, lointains. Je les reconnais: Clotho et Lachésis, invisibles, se fichent de moi ! Elles m'avertissent: " Touche pas !".
"Suis le conseil de mes Soeurs, vilain curieux. Laisse mes Ciseaux, referme le sac. "
Atropos est sortie de la salle de bain. Vêtue sobrement d'une petite culotte noire et d'un soutien-gorge assorti, elle ouvre le mini bar et fait le service.  Je referme le petit sac noir.
"Moi, ma boisson, c'est le rhum. Toi, je sais, le scotch. Tiens, un vingt ans d'âge. Trinquons tous deux !"  Cling,  petit tintement de convivialité..
Courageusement, je demande:  "je présume que c'est mon dernier verre ? Vu votre fonction dans votre  trio des ..."
Elle pose ses doigts sur mes lèvres.  "Ne prononce pas notre nom, Edouard.  Pourquoi veux-tu que ce verre soit ton dernier ?  Le Destin n'est pas terminé pour toi. Mes Ciseaux ne sortiront pas du sac en ce qui te concerne. Non, tu me plais très fort !"  Elle se retourne, me présente son dos:  "dégrafe !"
J'obéis, elle me refait face: " Enlève !"  J'obéis.  Nue, elle m'embrasse doucement.  "A toi !"  Là aussi, j'obéis, sans contester ! Le désir et le bonheur me guident. 
Elle baisse les yeux. La voix un peu étouffée, elle respire fort et apprécie:  "Ah oui, tout de même,  je t'inspire à ce point !"  et vérifie manuellement.
Je suis flatté, mais garde un (tout) petit bout de lucidité pour demander, pendant que j'embrasse sa poitrine:   " Sais-tu quand tu devras sortir tes ciseaux pour couper mon fil ?"
Elle a un peu de mal à parler, mais elle souffle:  "Bien sûr."
Elle  m'explique à l'oreille:  "Tu as  le temps. Promis, je te ferai connaitre la date exacte !"
Avant de me laisser aller à l'étreinte, j'ose une ultime question:  "Atropos, pourquoi, toutes les trois, êtes-vous si sexe, si dragueuses avec moi ? Je ne suis pas à ce point irrésistible. Alors, que cherchez-vous ?"
Ma question l'amuse:  " Simple, Edouard.  Eros et Aphrodite ont bon coeur, et ont voulu nous accompagner pour toutes ces traversées en bateau.  Clotho, Lachésis et moi nous bénéficions donc de leur divine puissance amoureuse et sexuelle ! On peut bien s'amuser un peu entre immortels et mortels !  Viens, prends et  profite de l'Amour !"
Nous tombons au creux des draps.  Sur ses lèvres, le parfum du rhum.  Dieux, faites comme bon vous semble.
Nous perdons le sens de ce qui nous entoure.
Elle crie encore:  " Tu as bien le temps !"
 Et le vertige nous amène vers les Cieux...


La suite au chapitre suivant (et dernier):   Votre rendez-vous le...


   L'illustration, c'est "Les trois Parques", de Marco Bigio (XVIe siècle).







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