Emir Kusturica.

Alexandra Bitouzet

Il ressemble à Emir Kusturica. En plus mince. En moins classe. Mais quand même, y a quelque chose, on peut pas le nier ! Il porte une petite moustache taillée finement, juste un fil au-dessus de sa lèvre. Ça n'est pas très joli mais comme il ressemble à Emir Kusturica, ça ne me dérange pas. Il ne dit rien et le peu qu'il prononce est dans un très mauvais français, je trouve que ça lui donne un charme fou, puisqu'il ressemble à Emir Kusturica ! A chaque fois que je le vois, je lui parle de ses films, je lui dis comme je ris et je lui refais les scènes comme s'il ne les avait jamais vu. Lui me parle de ses droits cmu en attente de renouvellement et demande s'il peut disposer. Ça, il le prononce très bien et je me dis que pour un gitan, il a quand même vachement de vocabulaire. En même temps, il doit fréquenter du beau monde, c'est normal, c'est Kusturica !


-Laboratoire bonjour, excusez-moi Monsieur Kusturica.


Je dis en mettant ma main sur le combiné. Lui me regarde, sans paner un mot de ce que je lui raconte. Il a, dans la main, un petit flacon d'urines, entouré de trois feuilles de papier cul, roses et rêches. Je savoure ce moment, je le fais languir, je sais que c'est moi qu'il attend. Je vais saisir ses urines, je saisirais même ses excréments à pleines mains, s'il me le demandait. Je m'en tartinerais les nibards, je jouerais à la lutteuse greco romaine, dans la boue, dans sa merde. Alors je raccroche et chope son flacon, sans précaution, j'espère même que ça déborde. J'ôte l'emballage. Comme les urines sont un peu troubles, je les secoue et j'y regarde de plus près. Il flotte dedans des petits machins un peu dégueulasses. J'ouvre. Une petite odeur de rien du tout s'en dégage. Sacré Émir ! Il sent bon, même du pipi ! C'est quand même pas rien une pisse de Kusturica ! Ça change du patient lambda avec sa chimio et ses gémissements. Kusturica, quand même ! Est-ce que monsieur Kusturica nous fait un cancer ? Non ! Voyez comme il se porte, vous pouvez pas en dire autant hein !


-Mi-homme-mi-dieu ! Je lui sors, droit dans les yeux. 

-Je peux disposer madame ?

-Alexandra ! Appelez-moi Alexandra monsieur Kusturica ! 


Alors il va s'assoit. Pas en face. Très loin de moi. Je ne vois à présent que le bout carré de sa chaussure gauche. Mais quelle chaussure, la chaussure de monsieur Kusturica ! C'est du cuir, à coup sûr ! Dans l'angle, je ne le vois plus mais je devine. Sa posture. Sa prestance. Sa main droite caressant sa moustache et la gauche battre la mesure du morceau qu'il invente pour moi. Je suis sa petite Ida et il est mon Zare. Nous sommes libres de nous aimer. LES GITANS SONT LIBRES ! VIVE LES GITANS ! Je crie ! Je hurle ! La joie et le bonheur d'être aimé ! Les autres me regardent mais seul compte mon Emir. Mais il est si discret qu'il ne veut pas encore que tout le monde sache, pour nous deux.

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