EN ALLANT CHASSER LE DAHU

Isabelle Revenu

 - Un petit noir monsieur Sailor ?

- Off non... Mettez-moi un blanc moelleux bien frais, j'ai envie de douceur inouïe. Mon pote Antoine -  celui qui collectionne les vieux Farmall - m'a convié à un repas champêtre de son cru sur les hauteurs des montagnes pyrénéennes.

- Antoine ?

- Antoine est un vieux de la vieille. Toujours en balade dans les endroits les plus énigmatiques. Et les plus reculés.

C'est un homme simple, un vrai, un authentique.

Il n'a jamais été chez les scouts mais connait les noeuds comme sa poche. N'a jamais été non plus chez les Comanches et pourtant, il sait faire le feu comme personne, utilisant n'importe quoi pouvant faire office de margotin.

Un souffle léger mais continu dessus et....pshhhh ! Faut voir le miracle du feu ! Il n'y a que lui qui en connait le secret profond.

Il n'a jamais aimé la chasse pour la chasse non plus. Mais quand il part en randonnée-survie, il manie l'arbalète aussi sûrement que Guillaume Tell la sienne et descend les grives plus adroitement  qu'un faucon fondant sur sa proie

Le matin, il se lève avant le soleil. Il n'en a pas besoin puisqu'il est lui-même lumineux. Il fait une bonne toilette au baquet. Là où il va il n'y a pas d'eau courante.  Il installe la veille tout son matos à emporter, tout ce qui lui faut trimballer pour pallier à toute éventualité. Bien en vue pour ne rien omettre. Eviter un oubli c'est parfois éviter la mort. Avec la liste à cocher pour être encore plus secure.

Il enfourne tout le au-cas-où  dans son sac à dos de l'armée américaine, bourré de poches et de replis dans lesquels stocker le matos de crapahutage. Un truc qui pèse déjà trois kilos à vide. Pas trop le modèle baise-en-ville.

Il a acheté une authentique Jeep du D-Day il y a quelques années de cela. Il la traite de tous les noms d'oiseau.

Sale carne, haridelle, vieille couille...Ah plus romantique que l'Antoine, je sais même pas si ça existe.

- M'a l'air d'un drôle de pélerin votre Antoine, m'sieur Sailor, sauf vot' respect. Il est pas un peu fêlé du bocal par hasard ?

- M'enfin ? Antoine, c'est un reste d'adolescence soixante-huitarde tarabiscotée et révoltée. Un temps désillusionné où il rédigeait des dazibao en pestant sur le pouvoir en place. Prônant l'anarchie comme seule porte vers le Paradis.

Après un court passage chez les paras, Antoine s'est essayé à l'horticulture bio. Mais ses rêves étaient ailleurs. Plus loin, plus grands ....

A présent il a pignon sur rue dans un des quartiers chicos de Bordeaux.

Il propose des barouds à des types trop plan-plan dont la vie fait du sur place et qui n'ont qu'une envie c'est de recréer l'étincelle divine, le choc salutaire, le court-circuit qui leur provoquera LA décharge d'adrénaline du siècle.

Ils pourront ainsi se croire gallinacés conquérants, Grands Manitous.

Dieux intrépides en sommeil parmi les simples mortels.

Derniers Survivants de la race des Elus pour repeupler la planète en trombe en cas de surchauffe destructrice.

Les Nouveaux Atlantes d'un horizon glorieux.

Tiens à propos de bocal, z'auriez pas des olives vertes  ? Pour contrebalancer le sucré du Monbazillac y a rien de tel comme dirait Guillaume mon voisin de palier, ce chieur... Trop de sucre et zou !! on s'y fait et on ne demande plus rien d'autre. La vie n'est pas que miel. Autant s'y faire....

- Pourquoi êtes-vous en manque de douceur alors ?

- Ben c'est que ...Cette semaine donc Antoine emmène deux pékins argentés dans les contrées paumées et inhospitalières des Apennins, à la poursuite de leur rêve. Et d'un gros morceau du sien. J'avais espéré qu'il me dise de venir ..mais venir n'est pas en Italie.

- C'est pour cela que vous avez  tant besoin de douceur ? Juste parce qu'il ne vous emmène pas ?

- Ben ouais. Tu comprends tavernier, l'Antoine, c'est mon gros rêve à moi.

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