Enclume

nelopee

J’ai les mots et l’aigreur à la bouche Et l’arrière goût d’la tienne sur la mienne C’fantôme d’amertume Quand j’revois ton corps qui est posé sur le mien Comme une enclume

Je t'ai rencontré un soir d'été où la moiteur de la nuit se mêlait aux envies de fête d'un groupe de débauchés aux composantes inhabituelles. Cela faisait longtemps que j'entendais parler de toi, à l'époque où nous passions nos soirées sur une péniche éclairée de néons rouges, et que tu rentrais avec la première des filles qui croisait ton chemin. Mais je ne t'avais encore jamais croisé, jusqu'à ce fameux soir. Tu ne m'intéressais pas forcément, surtout que tu étais en couple à présent - casé depuis 2 ans. Pourtant, au détour de conversations, tu me portais l'attention dont j'avais besoin à ce moment-là. Tu traînais une certaine odeur de soufre, de celle qui pouvait m'attirer fortement les nuits de bêtises programmées. Ex-skater quasi-trentenaire aux yeux bleus profonds, qui pouvaient me rappeler ceux qui m'avaient chamboulé dans le passé. Tu parlais de tes études en école de commerce, tes expériences de vie et ta situation familiale. Élevé par ta mère, sans père. Qu'est-ce que ta mère aurait dit, si elle t'avait vu dans cette soirée, à gratter des traces et à draguer une fille lorsque sa copine n'est pas là ? Tu m'assurais que c'était la première fois que cela t'arrivait, d'être attirée par une autre au point d'être prêt à tromper. Apparemment, j'étais ton style : "grande, brune, élancée"... Tu voulais sans doute me faire sentir spéciale. Je n'étais pas dupe, tu étais bien connu dans toute la ville pour être un sacré coureur de jupons. Je me retrouvais dans la position paradoxale d'être consciente d'être face à un menteur, et dans le même temps, j'étais une proie facile de tes flatteries. Tu m'agaçais et tu m'attirais. Je détestais cette posture délicate dans laquelle tu me mettais, dans laquelle je m'étais déjà retrouvée plusieurs fois par ailleurs : l'amante d'un soir, la maîtresse illégitime. J'étais déterminée à ne pas céder cette fois-ci. Mais je continuais à prendre de la drogue à tes côtés. Encore peu expérimentée, mes inhibitions se libéraient. Je me sentais glisser en bas de la pente. Tu parlais de féminisme, de Virginie Despentes et d'autres sujets qui me montraient d'un côté que tu étais effectivement cultivé. Et de l'autre, tu avais des phases où tu semblais tellement animal dans ta manière de te comporter : plus tu consommais cette poudre blanche en quantité, et plus ta lucidité et ton empathie s'évaporaient. Derrière cette façade "bien sous tout rapport" que tu m'offrais au premier abord, ce n'était que du vent.

Sur le canapé de notre ami en commun chez qui nous étions rentrés pour faire un after, tu me dis que tu aimerais bien finir la nuit avec moi mais "c'est [moi] qui vois". Désorientée par l'alcool et la drogue, le semblant d'esprit qu'il me restait me suggérait qu'il valait mieux que je rentre chez moi. La fatigue s'était emparée de tous mes membres, j'étais proche d'un certain état de léthargie qui annonçait la toute fin de soirée, après le dernier pétard fumé. Cependant, j'étais profondément en manque d'affection depuis plusieurs mois et l'idée de dormir à côté d'un autre corps, dans des bras d'homme, m'attirait fortement. Au fond je ne voulais pas de sexe, seulement des marques de tendresse. Ces instincts primaires me donnaient des raisons d'hésiter à rester. Tu l'as vu et tu en as joué. Tu m'as rassuré : "T'inquiètes pas, on ne va pas coucher ensemble. Je te ferai des câlins." Tu avais l'air doux à ce moment-là. Alors j'ai accepté. En plus de ça, j'étais en période de menstruation. Et notre ami en commun dormait dans la chambre d'à-côté. Plusieurs facteurs étaient réunis pour que rien ne se passe.

On s'est couchés dans le canapé déplié en lit. On s'est fait des câlins, en s'embrassant un peu. Puis tu es devenu plus fougueux. Tu as commencé à toucher tout mon corps, à te frotter à moi comme un chien. Il me semble t'avoir dit d'arrêter, mais tu as repris de plus belle une minute plus tard. Tu m'as chuchoté à l'oreille : "J'ai tellement envie de te pénétrer doucement...". Et j'ai compris alors que c'était trop tard. J'aurais pu t'arrêter encore, me relever, mettre mes chaussures et rentrer chez moi. Mais ça m'épuisais déjà rien que d'y penser. Dans ma tête défoncée, descendre les escaliers et marcher dans la rue à cette heure du petit matin, seule, me paraissait être un effort insurmontable. J'ai cédé intérieurement, je crois. Je me suis dit que j'allais dormir plus rapidement si je cédais maintenant, plutôt que de me battre pour que tu restes tranquille. J'ai oublié ton couple, tes côtés dérangeants. Je me suis concentrée sur ton physique qui m'avait effectivement attirée au départ. Je me suis laissée déshabiller. Je me suis laissée pénétrer, en te disant de faire attention aux tâches de sang sur le canapé. On n'avait pas de préservatif. Je savais très bien que les MST se transmettaient plus facilement en période de règles, et je ne te faisais absolument pas confiance, mais j'ai laissé faire. (Heureusement, je n'ai rien eu par la suite). Tu étais violent dans ta manière de faire l'amour. Je n'étais pas assez lubrifiée. J'avais mal. Tu t'en fichais. Tu avais l'air d'être très excité, même. Tu m'as craché dans la bouche et tu m'as mordu le téton jusqu'au sang. Je me souviens avoir eu des marques sur les seins pendant au moins deux semaines après. C'était un moment vraiment humiliant, avec du recul. Quand je suis rentrée chez moi, j'ai balayé ça en mode "c'était une connerie de fin de soirée, ahah trop drôle". Mais une connerie qui t'hérisses les poils et te glaces le sang quand tu y repenses ? C'est plutôt rare. Je n'avais pas encore digéré l'histoire. Je ne sais pas encore si je l'ai totalement digéré aujourd'hui. Je n'ai raconté ces détails à personne. Je me suis auto-convaincue que ce qui s'était passé était normal. J'ai dit à mes copines que j'avais passé un bon moment. 

Un mois après, je t'ai revu en soirée et on a remis le couvert. Je n'avais pas d'excuses cette fois. Tu étais là, beau gosse, toujours à me provoquer des sentiments contradictoires. J'avais sûrement été tellement dans le déni de ce qu'il s'était passé, que tout le négatif te concernant était passé à la trappe dans mon esprit. Le manque d'estime de soi à de sales manières de nous jouer des tours et de nous faire prendre les décisions les plus mauvaises pour nous.  Tu me draguais encore. Mes copines me disaient de me méfier. J'y suis quand même allée. Tu es venu chez moi. Une fois que tu es parti, j'ai encore regretté. Je me suis sentie bête, sale. Oui, j'avais envie de faire l'amour. Mais pas comme toi. Ta manière de faire l'amour était avilissante. Ce n'était pas du partage, une façon de se donner du plaisir l'un à l'autre. C'est comme si tu ne voyais pas le corps de l'autre. Comme si tu l'utilisais comme un objet. Toi qui parlais de féminisme, tu baises les femmes comme si c'était de simples trous dans lesquels tu te déverses avec rage. Tu n'écoutes pas. Tu n'écoutes que toi. Tu dis une chose, et tu fais l'inverse. Tu penses que tu es respectueux mais tu ne l'es pas. Tu n'es pas quelqu'un de bien. Tu es un homme autocentré, dérangé et cocaïnomane. Quand tu préparais ton arrivée en ville, tu m'harcelais de messages. Tu pensais que j'allais devenir ta deuxième copine quand tu n'étais pas à Paris, un bouche trou bien sympathique. J'ai refusé ce rôle. Tu m'as dit que je disais n'importe quoi, que tu voulais me voir avant tout en mode "potes" parce qu'on parlait bien, en dehors du sexe. C'était faux. Tu parlais, et tu n'entendais pas ce que je répondais. Tu cherchais juste à me plaire mais tout sonnait creux. Quelques messages plus tard, tu m'as envoyé "arrête de mentir, je sais que t'as envie". Ta façade s'écroulait. C'était la phrase de trop. J'avais sans doute été naïve jusque là, mais ta manipulation ne fonctionnait enfin plus sur moi. Après les deux fois où on a fait l'amour et où j'avais dû simuler de prendre du plaisir pour que tu finisses plus vite, je n'étais pas masochiste à ce point-là. La domination-soumission, c'était peut-être ton truc mais ça ne m'intéressait absolument pas. Tu as senti que je t'échappais, tu as traversé toute la ville pour me retrouver à une soirée où j'étais avec mes potes. Encore plein de poudre, tu me collais au cul, à me prendre par le bras et à essayer de m'amadouer. J'ai fini par te crier dessus pour que tu me laisses tranquille. Tant pis pour "l'affiche". Tu as encore changé de face et m'as fait passer pour la folle qui allait détruire son couple si je continuais à "trop parler". Comme si j'en avais quelque chose à faire. Ta vision me dégoûtait, je ne voulais simplement plus entendre parler de toi. Enfin, tu as compris qu'il valait mieux ne plus m'approcher. Tu m'a supprimé des réseaux, et on ne s'est plus jamais vu.

Je ne pense pas t'avoir pardonné, mais je me suis pardonnée moi-même d'avoir été assez faible pour rentrer dans ton jeu. Je me suis promise depuis de ne plus jamais compromettre ma dignité pour satisfaire des besoins physiques ou affectifs auprès d'un homme. Et de ne pas croire un seul mot sortant de la bouche des cocaïnomanes.


J'aimais tes yeux, t'as pensé
Qu'j'te donnais la clef
D'mon intimité
Mais j'ai senti direct, que j'te sentais pas
J'ai goûté tout de suite que t'étais sad et fade
Quand tu t'gonfles l'égo et les abdos
Tu t'es mouillé sans me mouiller
Consommé par ta conso, et les cas sociaux auxquels t'es associé
Tu m'as prise comme un objet à consommer
Mais si j't'ai dit « oui »
Alors que j't'avais dit « NON »
Ça s'appelle pas d'la baise - mais d'la COERCITION
J'étais, paumée sous le joug de ta paume sur ma joue
Paumée sous le joug de ta paume sur ma joue
J'étais seule, mais on est des millions
Et si tu m'crois humiliée
Pour m'avoir baisée
Sans m'humidifier
C'est que tu manques d'humilité

- OXYTOCINE, Les baisers volés

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