Libre, peut-être.
pourquoilavie
Il s'affaire, fébrile, à ranger ses vêtements dans ses valises posées sur le lit. Il s'applique. Il veut en finir au plus vite pour ne pas se dérober, une nouvelle fois. Même si, cette fois, il est profondément convaincu d'être infaillible, porté par une foi inébranlable, comme le voilier qui file assurément vers son cap grâce à un vent fort et favorable.
Il devine sa présence dans l'embrasure de la porte, l'observant, scrutant le moindre de ses gestes. Il sent son parfum qui met ses nerfs à vifs. Il devine sa robe légère et ses courbes qu'il connaît par cœur, comme s'il en avait dessiné les moindres traits. Un dessin au fusain, tout en finesse. Il chasse ces images. Elles appartiennent au passé. Il est tout entier au présent.
Il continue de s'affairer. Chaque vêtement déposé dans ses valises est une victoire sur lui-même, un pas supplémentaire et irréversible vers sa future liberté. Par la fenêtre ouverte, des fragrances savoureuses et déjà enivrantes de cette liberté exacerbant sa témérité en fleur lui parviennent.
Il sait qu'il ne doit pas croiser son regard. Le port de l'angoisse pour lui. Un enfer pavé de séduction diabolique. Il ne doit pas croiser son regard, se répète-t-il, comme un mantra, un encouragement. Il ne doit pas croiser son regard. De peur d'oublier sa promesse. De crainte de s'oublier lui une nouvelle fois.
Il refuse obstinément de lever ses yeux. Il fuit son regard. Il s'affaire plus vite la tête continuellement baissée, tachant de rien n'oublier. Il sent, cependant, malgré lui, cet élan monté en son for intérieur comme une force inexpugnable qui lui parcourt l'épine dorsale, telle une démangeaison incontrôlable.
Elle est toujours là, droite comme un ''i'', son regard de rapace fondant sur sa proie, sure de son pouvoir, certaine de triompher. A contrôler. Ses faits et gestes. Cette image peu flatteuse d'elle est une seconde victoire sur lui-même. Elle suffit à repousser efficacement cet élan insidieux.
Quand, soudain, il tombe sur des photos d'eux heureux, aux sourires larges et de leurs visages qui irradient une vraie complicité. Il est absorbé.Puis se reprend vite, se secoue et s'en débarrasse d'un geste maladroit, trahissant une émotion à fleur de peau. Mais, il est si près du but... Il ne doit pas échouer.
Croiser son regard, c'est se perdre. Car il y verrait le reflet de son attraction, de ses corps à corps torrides, de son désir encore brûlant, la foule de ces moments heureux partagés. Ce serait déchiré ce ciel paisible où son esprit vole désormais comme un ange. Il veut continuer à voler et non finir comme un ange déchu. Croiser son regard ce serait briser cette mer de tranquillité qui le berce dorénavant, rompre cet équilibre qu'il est parvenu à établir en lui-même. Il doit être imprenable. Il doit être inviolable. Or, s'il croise son regard...
Soudain, il est pris d'un léger vertige, son cœur s'accélère à l'idée qu' elle se mette en travers de sa route. Pour masquer son trouble il fait mine d'avoir fait tomber quelque chose et se penche pour le ramasser. Mais il se reprend vite. Cette idée ne fait que l'effleurer et l'amuse même. Avant il aurait paniqué. Il le souhaiterait même ce clash pour faire montre de toute sa détermination nouvelle. Mais il se dit qu'il n'en sera rien. Elle n'a aucun intérêt à une esclandre qui signerait son aveu de faiblesse pour ne pas dire d'impuissance. Et, puis, elle n'en n'a plus les moyens. Il se remet rapidement à l'ouvrage.
Une fois ses affaires en ordre, sur le départ, il relève la tête et il finit inévitablement par croiser son regard. Il s'attarde même sur ces yeux qui ne l'ont pas lâché. Mais la peur au ventre a disparu. Avec un énorme ''ouf'' de soulagement. Il se sent sauvé. Il recule légèrement car il est surpris de ce qu'il ressent. Ou plutôt de ce qu'il ne ressent plus. Il n'éprouve plus aucun désir. Le feu est éteint. Il y voit seulement ces moments éprouvants, ces épreuves terribles et son aliénation. Il y voit deux billes d'un bleu métallique froid qui le laissent indifférent, impavide.
Et cette, bouche, autrefois, refuge ou ses maux se trouvaient réconfortés. Aujourd'hui, sur cette bouche tordue par la douleur d'une stupeur refoulée pour ne pas perdre la face, il y lit ses phrases assassines qui ont meurtri son cœur, et ses mots qui ont failli l'emporter au fond de l'abîme. Mais c'est fini, son venin ne peut plus l'atteindre. Des lèvres qui esquissèrent une invocation muette. Il réalisa, cependant, que c'est lui seul qui lui prêta cette intention qu'elle n'avait jamais eu, bien sûr. Une fausse prétention qu'il attribua à son euphorie intérieure et qu'il avait hâte de libérer dehors.
Son regard descend, tout de même, le long du corps. Cherchant, peut-être, comme une ultime confirmation. Plus d'envie. Plus aucunes formes séduisantes appelant à céder aux pulsions immédiates, de l'instant. A la place, juste un corps spectral lui fait face.
Il jubile. Il sait, maintenant, qu'il est délivré, définitivement.
Il prend ses sacs. Elle bloque le passage. Il la bouscule légèrement. Il dévale les escaliers. Elle entend la porte claquer. Elle se met à la fenêtre et le suit du regard.
Il respire à pleins poumons ce nouvel air, l'air de la liberté. Il devine son regard derrière la fenêtre. Mais il est déjà trop loin pour que ces yeux qui le détestent, le rattrapent. Il est hors de portée. Il se sait sauvé. Pour toujours. Pour cette raison, il n'a pas besoin de courir. Il marche d'un pas tranquille. Il est déjà si loin sur le chemin le menant vers sa nouvelle vie d'homme libre.
Ouf, il est sauvé ! Je me suis demandé tout le long si il n'allait pas craquer, mais non elle ne lui fait plus aucun effet !
· Il y a presque 9 ans ·Très bon texte qui tient en haleine, je vous l'assure !
Louve
Merci Martine d'avoir aimé et apprécié.
· Il y a presque 9 ans ·pourquoilavie
de rien !
· Il y a presque 9 ans ·Louve