Epistolaire d'un autre temps
sadnezz
A vous,
Suzeraine de célérités,
Je vous salue ma mie.
Me voilà discret passant sur le fil de frontières plus nombreuses hélas. Etranger encore, un peu, souvent, c'est un état que j'honore serein, pourtant cette fois j'accuse un isolement plus abrupt que le votre. Ne me fait escorte que le froid, et la neige que je devine couver ma tête, rare auréole méritée, peut-être. Parfois je regrette la solitude que j'ai embrassée sur un coup de tête pour gagner l'Anjou... Mes gants ne seront jamais meilleure suite que mes gens, quoi qu'ils tendent à me dispenser un peu de chaleur et à m'adoucir faits et gestes. Je ne leur trouverai que l'avantage de garder leurs secrets et messages, leurs messages secrets, silencieux éternels de ce qu'ils savent et ne trahiront jamais. Si votre vaisseau a mille âmes, le mien désespère presque de n'avoir pour compagnie qu'un égaré îlot, regagnant mes pénates. Croyez que j'envie ces passagers qui n'effleurent sans doute même pas les récifs qui jonchent votre passage. Figure de proue discrète aux envies sempiternelles.
Les eaux Angevines m'ont laissé un étrange gout de sel... C'est une source à laquelle je reviendrai boire sans doute, à genoux, non loin de ceux , baignant paisibles, de l'ornement qui voyage seul au devant de tous. Elle me parlera peut-être des Guérandes, mystères à mon esgourde profane, quoi que doucement avertie... Faute de pouvoir prononcer sans écorcher, je me suis pris à écouter. Beaucoup. Elève attentif déjà, amateur persuadé de ces sonorités qui appellent. Faites vous sculptrice , je me ferai observateur fanatique de ces images nombrilistes qui reflèterons vos propres traits.
Du reste... Je me ferai silencieux sur des à-propos qui m'échappent, sans douter de la justesse de vos condamnations. Je suis bien mal placé pour juger les agissements d'autrui, voyez. La vie se joue de nous, lorsque je quitte l'Anjou aux mamelles de laquelle j'ai bu jusqu'à plus soif l'illustre vin pour la pourfendre avec mes frères. Le sort est sarcasme lorsque j'ai trainé ses tripots, l'exaltant gout du jeu au ventre, et que je lui disputerai une ultime partie souhaitant triompher de sa dernière carte. Je ne parlerai pas même de mes arcanes de vie, c'est un sujet que vous me connaissez désormais. J'ai vendu mon bien Andégave sans remords, hier j'étais ami, aujourd'hui compte ma réflexion, demain je serai amant... De l'Anjou. Je lui dois bien quelque chose, à cette scandaleuse culottée, une mort aussi présomptueuse que grande pour m'avoir fait don d'une poignée de nuits auprès de vous. On achève un grand ennemi aussi fort qu'il nous a séduit. Car s'il est bien un fait avéré, c'est que toute part d'amour comporte sa part de haine, sans doute n'y êtes-vous pas étrangère...
Dieu vous garde,
Diable nous garde.
Burgundiae Fidelis,
Faict en la campagne Limousine un jour du mois de décembre de l'an de grâce 1460 et signé de ma main,
Judas Gabryel Von Frayner,
Seigneur de Courceriers et de Miramont,
Petit seigneur d'une Grandeur aux chimères.