Erotiqu'attente ( 11ème place sur 815 participants à un concours de nouvelle )

floriane

Érotiqu'attente

Mon médecin a du retard. Comme d'habitude. Comme d'habitude, je trompe l'attente en feuilletant de ces vieux magazines mis à disposition. La plupart sont devenus bouffants à force d'être manipulés par des mains pas toujours douces. Je regarde les clichés plus que je ne lis. Je suis bien trop excitée pour comprendre la moindre phrase de toute façon.

Si je suis assise-là, dans cette salle d'attente où patientent calmement trois autres personnes, ce n'est pas pour diagnostiquer un rhume persistant ou une grippe vorace. Non, moi je vais bien. Mieux en tout cas que cette vieille dame, lunettes énormes double-foyer, collants couleur peau sous une jupe d'un bleu passé arrivant à mi mollets, qui tente de retenir ses quintes de toux grasses. Mieux aussi que ce petit garçon au nez coulant que sa maman essuie toutes les minutes.

Mon conjoint, Mathieu, n'a pas pu m'accompagner aujourd'hui. Il travaille. Je suis donc seule à attendre le docteur qui n'arrive pas et qui peut-être m'a oubliée. À l'idée d'avoir les résultats de ma prise de sang, mon impatience redouble. Une chance sur deux. Cinquante pour cent de chance que cela soit positif.

À nouveau, je jette un œil un peu agacé sur ma montre. Vous n'avez pas remarqué comme chacun se dévisage dans les salles d'attente ? Chacun tente de deviner les pensées du voisin, essaye de savoir de quel mal souffre l'autre…en silence.

Toujours pas de médecin en vue. Je me plonge dans la recette d'un tiramisu au café quand soudain, un nouveau patient pousse la porte. Je salive anormalement et n'arrive pas à détacher mon regard de ce grand gaillard à la carrure sportive qui prend place juste en face de moi. Il doit avoir à peu près mon âge, la trentaine, et nom d'un chien qu'il est beau ! Mon homme Mathieu est canon, et comment dire, bien proportionné à tous les niveaux mais là, je mentirai si je disais que non, la température ne me semble pas plus élevée tout à coup.

Devant l'insistance que j'ai à le dévisager, il finit par me sourire. Un sourire tellement magnifique que j'en soupire de bonheur. Je me mords la lèvre inférieure comme pour retenir une envie de croquer dans une gourmandise interdite. J'ai tellement chaud que je suis dans l'obligation d'ôter ma veste. Ce bel inconnu ne perd pas une miette du spectacle ; mon décolleté étant mon atout le moins négligeable.  Je sens une goutte de sueur rouler dans mon dos. Goutte de désir.

Rien que ses yeux qui s'attardent intimement sur l'échancrure de mon pull suffisent à embraser mes joues. Une douce chaleur m'irradie. Cet athlète éveille tant de sensations dans mon corps qu'il est difficile pour moi de ne rien laisser paraître. Il passe une main dans ses cheveux. C'en est trop. Je ferme les yeux. Jamais un inconnu ne m'a excité à ce point sans me toucher. Je n'arrive pas y croire moi-même. J'ai envie d'enfouir mes doigts dans sa chevelure, de jouer avec son torse que j'imagine parfait et de descendre lentement plus bas, là où m'attendent mille promesses sensuelles.

Lorsque je rouvre les yeux, la vieille dame aux verres épais, le petit garçon à la morve au nez et sa maman la fée mouchoir, ne sont plus là. Je suis seule, assise en face de l'homme qui, je ne sais pas par quel miracle, réussit à faire que mes tétons durcissent sans les effleurer. Je croise et décroise plusieurs fois les jambes, priant pour que l'humidité entre-elles cesse de me torturer. J'avale ma salive. Je ferme le magazine Femme Actuelle aux pages cornues. Le tiramisu au café ne m'intéresse plus. Celui que je veux dévorer sans attendre, c'est celui que je devine saveur sueur d'homme, saupoudré d'un élixir intense de testostérones. Je bave comme une gamine devant une glace à la vanille. Je me traite mentalement d'idiote.

Je prends une profonde inspiration, qui n'a d'effet que de gonfler ma poitrine déjà tendue. Je tente de faire cesser mon excitation qui monte crescendo, comme j'imagine que s'élève son membre masculin. Je déraille. Avant de sombrer dans la crème onctueuse du désir, je bénis mon médecin qui semble vouloir éterniser mon érotiqu'attente. Ma dernière pensée cohérente fut pour Mathieu. « Pardonne-moi pour ce petit écart de conduite mais tu sais que je ne résiste pas aux pâtisseries qu'on me met sous le nez », récitai-je mentalement.

Mon « tiramisu » se lève, fait quelques pas, se plante de toute sa hauteur devant moi et m'arrache des mains le magazine que je tenais encore. Surprise, je lève mes yeux vers lui et fond devant ce mélange détonant du sportif au nappage de sensualité. Il me prend par la main, comme un gentleman, pour m'aider à me relever. Je me retrouve debout, face à lui, ma main toujours dans la sienne. Ce contact annihile tout le reste. Je n'entends que mon pouls affolé dans mon cou. Mon sang qui bouille dans mes veines devint alors un torrent de tentation qui détruit tout sur son passage. Je n'ai qu'une envie : qu'il fasse monter mon désir très haut et qu'il devienne très compact entre ses doigts…comme monter les blancs en neige pour préparer le tiramisu avant la phase la plus délectable : la dégustation.

Il comprend mon message muet. Il fait passer mon pull moulant au-dessus de ma tête. Je me retrouve avec seulement ce petit bout de tissu de soie noire qui recouvre mes seins, tel un écrin qui protège un bijou. Mon cœur cogne dans ma poitrine, je me surprends même à trembler. À mon tour, je lui ôte ses vêtements que je qualifie de superflus. Pourquoi cacher un si beau spécimen ?

Très vite, nous ne sommes plus que de deux corps nus, secoués de soubresauts lascifs, emprisonnés dans un appétit sexuel à son comble. Nous ne sommes plus que des animaux. Un cri s'échappe de mes lèvres affamées lorsque ses mains empoignent mes fesses. Des mains qui, j'en suis certaine à présent, tourneraient les pages du Femme Actuelle sans en abîmer une seule tant elles sont douces sur ma peau. Il ne m'embrasse pas. Il fait courir le bout de sa langue sur tout mon visage, tout autour de mes lèvres. Je défaille. Ce petit jeu de séduction m'est trop agréable pour tout gâcher en quémandant un vrai baiser. Je le laisse donc continuer à me dévorer le lobe de l'oreille, mes paupières closes, mes épaules. Je défaille.

Alors qu'une de ses mains se balade entre mes jambes, l'autre caresse ma bouche. Sans douceur, je mordille un de ses doigts avec mes dents avant de le lécher impudiquement. Il grogne de plaisir. Je souris. Je ne suis pas la seule à souffrir, à espérer très rapidement la phase finale de notre recette.

Il me lâche.

-          Non ! crie-je comme s'il me lâchait du haut d'un immeuble.

J'ai peur qu'il ait repris ses esprits et qu'il mette un terme à notre caprice. Heureusement, ce qu'il fait me rassure. D'un geste rapide, il fait voler les dizaines de magazines recouvrant la table basse et m'allonge délicatement dessus. À son tour, il me recouvre de son corps si musclé, si puissant. Je défaille. Un flot irrépressible de sensations exquises s'abat sur moi ; je n'ai pas la moindre envie de l'endiguer. Je le laisse tremper les biscuits dans le café chaud. Ses hanches viennent et repartent au-dessus de moi, comme le doux ressac de l'océan.  Je me laisse dériver au gré de ses à-coups, tantôt doux, tantôt puissants. Ma crème intérieure, ma libido, recouvre entièrement les quelques remords que j'aurai dû ressentir. Je défaille encore. Toutes mes sensations atteignent des sommets toujours plus osés. Je ne crois pas retarder bien longtemps l'ultime instant où je dévorerai le plaisir que me procure l'union de nos deux corps transpirants. Elle monte inexorablement la jouissance. Elle monte.

Nos mains sont partout à la fois, nos caresses sont indécentes, nos doigts marquent sur nos chairs un sillon brûlant de désirs. Alors qu'enfin, mon inconnu pose ses lèvres sur les miennes, je ferme les yeux. Tout ce qui est bon et éphémère mérite qu'on ferme les yeux pour en savourer toutes les saveurs. Sa langue cherche la mienne et la trouve. Commence alors un ballet sensuel entre-elles. Nous les laissons s'accrocher, s'enlacer, se détacher et revenir se frôler. Nos murmures en sont la douce musique et elles dansent en osmose un temps interminable. Je jouis ; un cri de volupté s'échappe de ma gorge…

La musique assourdissante de nos soupirs cesse quand une voix parvient à mes oreilles et atteint ma conscience.

-          C'est à vous, Mademoiselle Lou. Suivez-moi.

-          Je vous suivrai au bout du monde, je réponds, toujours à demi plongée dans mon subconscient érotique.

J'ouvre les yeux. Le brouillard de désir dans lequel je me meus depuis je ne sais combien de temps se dissipe. Mon érotiqu'attente est terminée. Quelqu'un tousse. Ma petite vieille. Ses yeux tout à l'heure éteints sont à présent écarquillés, ouverts comme des soucoupes derrière ses verres épais. Elle me regarde bizarrement. La mère du petit garçon enrhumé a lâché son mouchoir. L'enfant se mouche à l'aide de sa manche.

Je dois avoir dit quelque chose qu'il ne fallait pas. Ai-je vraiment soupiré de plaisir devant tout le monde ? J'ai soudain honte. Je relève la tête pour jeter un œil à mon tiramisu vivant, et je retiens un cri de stupeur. L'homme, assis en face de moi, n'a rien de mon bel inconnu au corps d'athlète. Cet homme-là est trapu, rouge de mine, presque chauve et quand il passe sa main sur son crâne dégarni, il me sourit d'un air heureux. Lui ai-je vraiment dit que je le suivrais au bout du monde ? J'éclate de rire. Un rire qui redouble d'intensité quand je constate que les vieux magazines sont toujours à leur place, sur la table basse. Un dernier frisson traverse la pointe de mes seins.

Mon médecin attend dans l'embrasure de la porte. C'est à son tour de patienter un peu, c'est de bonne guerre. Il est tout aussi surpris que les autres devant mon rire incontrôlable.

Je ne connais pas encore mon taux d'HCG dans le sang mais une chose est certaine ; il n'y a aucune carence en imagination chez moi. Je peux même vous confesser qu'elle se porte à merveille…

 2013 © Floriane Aubin

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