Es tu Free ? - extrait -
sadnezz
La senestre gantée couve le ventre rond, elle le parcoure d'un mouvement circulaire, comme curieuse d'en connaitre les secrets. La peau lisse et tendue reçoit la pression des doigts, Judas plisse les yeux.
Tu files un mauvais coton Courceriers... Regarde-moi ce ventre. A croire qu'un fût tout entier s'y est logé. Fruit de cinq jours aux cotés de son invité il a poussé comme un miracle, de houblon et d'orge, de raisin et de pâtés de poularde. Le trentenaire dissimule ses excès d'un revers de bliaut éprouvé dont même l'étendue ne suffit pas à cacher la petite bedaine disgracieuse due aux ripailles d'excès. La sécheresse qui caractérise son anatomie reviendra bien assez tôt, du moins quand il se séparera du Vicomte... Oui.
Mais demain. Senestre déloge le pain se cachant derrière le vin et vient le tremper dans une sauce au verjus et macis largement brillante de saindoux. Faute de courir la ribaude ces derniers temps le satrape aux cheveux longs fait de grasses journées auprès du Vicomte faites de chasse, de copieux repas, de parties de cartes et... De copieux repas. Arrosons le tout de la fine boisson locale... Et laissons reposer de longues nuits inactives. Le coin de la lèvre huileux, l'oeil brillant, Judas reprend la missive - inespérée - de la Comtesse son amante, épouse illégale d'outre terres. Il la relit. Combien de fois l'a-t-il relue? Entre deux salves d'ichor et quelques poignées de fruits secs, combien? Sans daigner se lever de son siège, s'assurant qu'Isaure ne rôde pas d'un mouvement de tête, il prend de quoi répondre et un nouveau morceau de pain.
Citation:
"Chimera, votre époux dépouillé de ses bagues et jusqu'ici dans l'expectative de vous vous salue.
D'un côté comme de l'autre, le roi est mort. Mon deuil est vaguement alimentaire, déroute gourmande compensatoire de manques certains. Vous prenez en tendresse Bourgogne, je la quitte. Il n'y a que moi que vous puissiez affectionner, c'est ainsi. Nouveau Roy, nouveaux horizons sans doute. J'ai vendu les champs qui m'appartenaient en Bourgogne pour acquérir dans le Domaine Royal une demeure. Je garde néanmoins Clos Saint Hermine pour Isaure qui semble vivre difficilement cet arrachement à ce duché qu'elle a toujours connu, il me sera plus facile aussi de trouver tranquillité si elle passe quelques saisons au Manoir avec sa cousine... C'est un présent accommodant. Vous me verrez sans doute Alençonnais sous peu, ma relation avec Bourgogne souffrant de quelques avaries avec le temps, une lassitude grandissante qui ne s'apaise que de ses fruits et de ceux de ses pressoirs. Et puis... Confidence pour confidence, il est question aussi quelques amitiés naissantes qui renforcent l'affaire.
Je ne saurais commenter les péripéties connues jusqu'en France de l'Irlandais dont vous me parlez et de la Princesse de Montfort... A laquelle vous rapporterez d'ailleurs mes plus cordiales salutations. Ce n'est pas le blond, ce n'est pas le reste. Vous comprendrez aisément plus tard que vous assistez là à un retour de flamme qui vous sera, j'en gage, des plus plaisant... Laissons le temps au temps et l'Irlande à ses passe-temps. Ce dernier passe d'ailleurs si vite... Comme le reste.
De mon nostalgique dernier compagnon j'ai moi même peu de nouvelles, ayant contourné mon invitation à venir avec son suzerain sous mon toit pour quelques soirées de notre cru. Néanmoins je m'autoriserai éventuellement à m'entourer à ma prochaine visite d'un autre vicomte, dont vous trouverez la compagnie plus agréable et moins brève. Peut-être aussi de ma dernière suivante, jeune et... Bretonne. C'est à cela près que je tente de combler quelques choses qui me font défaut. Je viendrai donc achever mon séjour, si vous me laissez un petit mois pour m'installer. Vos nouvelles longuement attendues justifient à elles seules ma faim, pourtant largement endiguée ces derniers temps... De mille mets qui ne sont pas préparés par votre virtuose cuisinier.
Ne façonnez plus de si, l'incertitude fait de vilains plis entre les sourcils.Rien qui ne mette en valeur votre doux visage. Vous me parlez de la Kermorial, soit. Laissez moi vous conter ce que j'en pense. Elisabeth ne doit son ascétisme qu'à un traumatisme dont nous n'aurons jamais les pistes et peut-être aussi à la folie des hommes de l'encenser pour son abnégation. Son équilibre me parait déséquilibré, puisque tenir en respect la louve n'a jamais sauvé la biche, de ce que j'en sais; le chasseur n'est jamais loin.
Ais-je aimé autre chose que corps ? En votre personne, j'aime tout. Je n'ai jamais pensé à autrui en l'aimant. Si la question est plus transversale... Du temps passé loin de vous je n'ai aimé personne, et j'ose croire qu'elle ne dissimule pas en Bretagne un aveu ou une liberté que vous avez prise. Je viendrai m'en assurer, car nos mains peuvent mentir nous l'avons su mais vos yeux parleront peut-être, qui sait, du secret de tout ce temps écoulé avant votre missive. Gardez vous de cette folie mon amour, car l'hiver arrive et avec lui Constance sur vos genoux, ou peut-être les miens.
Sémur, le vingt sixième jour du mois d'aout mil quatre cent soixante et un,
Judas. "
Il laissa tranquille la cire et la flamme, s'occupant du sort de sa coupe. Fou que tu es, Judas, de t'être lié aux arcanes de Cholet. Il s'enfonça dans son fauteuil en se frottant le menton.
- Servane, comment dit-on " je suis au courant" en ta langue...?