Essai- C'était pure folie

rainette

Quand le désir s'invite sans prévenir



                          C'était une pure folie. Ils étaient là, l'un en face de l'autre et ils ne savaient pas quoi se dire. Tant d'échanges, de confidences, d'espoirs et de déceptions décortiqués, analysés et passés au crible de leurs filtres personnels, pour finir muets. Ils s'étaient pourtant dit tant de choses, il avaient joué tellement de fois les scènes, toujours plus précises, toujours intenses, toujours plus envoûtantes. Ils avaient pourtant vibré si intensément, si violemment parfois, sous les mots de l'autre. Ils avaient volé vers des contrées inaccessibles, à milles lieues de ce qu'ils avaient imaginé, par la pensée, l'imagination, simplement guidés par l'intention de l'autre et par une sorte de connexion cosmique, virtuelle, énergétique, ou peut-être une phase entre leurs auras...

Malgré tout ce passé vibrant et grisant, ils étaient là, installés dans une gène étrange, lourds de leurs émois et de leurs rires, vierges de leur réalité. Ils n'auraient pas dû. Il aurait suffit de continuer, ou de transformer tout ça en un amitié, qui de toute façon grandissait de manière évidente. Alors pourquoi ? Pourquoi entrer de plein fouet dans la réalité ?

Tétanisés, ils s'aimantèrent du regard, comme si la fenêtre de discussion allait apparaître.

-Toc toc ? Tu es dispo ?

-Bien sûr, dans 5mn, Bella

-Je t'attends, Beau gosse!

Pourquoi ces surnoms ? Une plaisanterie qui avait perduré. C'étaient des gens ordinaires, qui s'étaient offert des bribes d'extraordinaire.


-Salut, toi. Finit-il par dire timidement.

-Salut, beau gosse, lâcha-t-elle d'une voix chargée d'émotion.


Officiellement, il devaient se voir pour un problème de cheville. Elle est kiné. Il est ingénieur. Depuis 3 mois, ils ne se voyaient qu'au badminton, mais ils passaient de longues heures à parler sur messagerie instantanée. Ce qui n'était qu'un moment agréable au début, est devenu un jeu, puis une addiction. Ils promenaient partout leur téléphone pour se répondre, se parler, se confier. Et ils avaient passé la vitesse supérieure, évoquant une caresse, un baiser, une étreinte.

C'était pure folie ! Comment avaient-ils pu s'imaginer qu'ils pourraient se voir seuls, cachés de tous dans l'anonymat de se grand parc naturel, et faire comme si de rien n'était ?

Le cœur battant, elle le fit s'allonger sur un tapis de yoga et plongea ses yeux dans les siens. Hésitante, elle retint son souffle, tentant de calmer les battements de son cœur qui s'accéléraient au souvenir des évocations verbales qu'ils avaient pu avoir de ce type de situation.

-La gauche, c'est ça ?

-Oui, souffla-t-il, d'une voix rauque.

Elle approcha ses mains et souleva le bas du pantalon, baissa la chaussette pour dégager la cheville. Elle le sentit tressaillir. Elle posa ses mains, n'entendant plus rien que les battements de son propre cœur. Elles étaient moites, elles les essuya sur son pantalon puis les replaça. Encerclant la cheville, elle exerça une pression à laquelle il réagit immédiatement.

-Je te fais mal ?

-Non.

-Et bien quoi alors ?

-Tu...

-Oui ?

Il se redressa pour s'asseoir, elle lâcha la cheville. Ils n'y arriveraient pas. Elle le sentit immédiatement.

-C'est tellement plus facile par écrit, n'est-ce pas, dit-elle doucement en baissant les yeux.

-C'est vrai. Tu es beaucoup plus impressionnante en vrai.

-Je ne pourrais pas m'occuper de ta cheville si tu fais ça.

-Je fais quoi ?

-Tu...

Les mots ne franchirent pas ses lèvres et s'égarèrent dans sa gorge.

Comment avaient-ils pu penser qu'ils pourraient agir innocemment en étant seuls ? Au club, ils y arrivaient, mais là ? Des mois et des kilomètres de lignes sensuelles, torrides ou tendres, sans aucune concrétisation, et maintenant, ils étaient malhabiles et hésitants comme des collégiens.


Son corps était parcouru de ces picotements brûlants qui accompagnaient habituellement leurs échanges de gestes virtuels tendres, son cœur battait si fort qu'elle pensait qu'on pouvait l'entendre de l'extérieur, ses mains tremblaient, le moindre des mouvements de son compagnon provoquait un soubresaut douloureux et délicieux dans sa poitrine.


Il était fébrile, la chaleur montait en lui comme une lame de fond. Il ne pouvait détacher son regard de ses yeux timides qui ne l'étaient pourtant pas habituellement. Ils songea à toutes les descriptions des étreintes qu'ils avaient échangé et il était engourdi par la soudaine liberté que la réalité lui accordait. Il ne fallait pas qu'il la touche, il ne devait pas, cela devait rester un simple jeu pour pimenter sa vie. Comment allait-il se contrôler, comment allait-il pouvoir supporter son contact sans la serrer contre lui et plonger en elle ? Elle baissait les yeux. Force était de constater qu'ils étaient moins doués pour parler que pour écrire.

Elle changea de position , il aperçut un petit coin de son décolleté, il sentit ses doigts lui effleurer le torse et un violent désir s'empara de lui. Il serra les poings pour ne pas bouger. Elle était juste là.

-Il faut que je te remette cette cheville d'aplomb, c'est pour ça qu'on est là, tu as dit que tu étais d'accord.

-Je l'ai dit, je suis d'accord.

- Laisse moi faire, dans ce cas, ok, beau gosse ? lui sourit-elle.

Se faisant, elle aimanta son regard au sien, elle vit immédiatement la lueur de désir briller, son corps entier réclamait le sien, son sang bouillonnait et courrait à grande vitesse dans tout son être, animant des papillons qui réveillaient son bas ventre. Elle n'y arriverait pas. Elle sut. Elle sourit.


Il ne pouvait tenir davantage, les mots tendres et les gestes sensuels évoqués les dernières semaines réveillaient en lui une myriade de sensations qu'il ne sut ignorer. Ressentir cela seul derrière un écran ou là devant-elle, c'était très différent. Il ne pouvait pas ne pas goûter à ses lèvres qui s'étiraient en un sourire légèrement moqueur, ni faire chavirer ce regard profond qu'elle lui offrait.

Alors qu'elle cherchait à reculer légèrement, elle perdit l'équilibre et il la rattrapa par le bras. Immédiatement, le contact les embrasèrent. A la limite de la suffocation, ils se sourirent d'un air grave. De son autre main, comme ils l'avaient si souvent imaginé, il lui caressa le cou tendrement. Elle ferma les yeux, déjà insensible à tout ce qui les entourait dans ce parc grouillant de monde. Il sentait son pouls battre sous ses doigts, ce qui décupla son désir. Il remonta sa main sur sa joue, ses autres doigts caressant le bras qu'il avait retenu. Quand il plongea les doigts dans ses cheveux, elle émit un petit gémissement qui le foudroya sur place, un éclair lui traversa le corps, infligeant une délicieuse torture à son entrejambe.

Enfin, elle perdit tout le contrôle qu'elle tentait de garder jusque là, elle avança lentement sa main sur la joue de son compagnon, frôlant ses lèvres, elle continua son chemin pour aller caresser sa nuque. Elle attrapa et tira doucement sur les cheveux qui s'y trouvaient, électrisant encore un peu plus leur propriétaire. Se redressant pour être tout proche, il se plaça à quelques millimètres de ses lèvres. Elle sentait le souffle tiède et saccadé les lui effleurer. De son autre main, elle partit de la taille pour remonter le long du dos jusqu'aux épaules de cet homme aux yeux voilés de désir. Lorsqu'elle s'y agrippa, il prit son visage entre ses mains, la faisant défaillir complètement, sans avoir encore oser l'embrasser. Elle entrouvrit les lèvres, il attendit. Ils restèrent ainsi un moment, sans bouger, savourant la violence de ce qu'ils ressentaient, uniquement attentifs à leur ressenti et aux réactions de l'autre, seuls au milieu de tous, en totale perte de raison.

Il savait, il savait qu'elle attendait que ce soit lui. Une légère pression sur sa nuque le lui confirma. Il pouvait encore faire machine arrière....

C'était pure folie, comment avaient-ils pu imaginer qu'ils feraient comme si de rien était ?

Il se pencha sur elle, posant ses lèvres sur les siennes, explosant tous les deux dans un feu d'artifice incontrôlable. Timides, leurs langues se cherchèrent, s'explorèrent lentement. Il poussa un grognement de satisfaction quand enfin elles s'enroulèrent, s'appuyèrent et se défièrent en une lutte délicieuse. Elle se pressa contre lui, avide, il poursuivit son exploration en passant ses main sur sa gorge, elle fixa les siennes à sa taille, se laissant aller contre lui, savourant la chaleur de son corps qui l'envahissait et s'infiltrait en elle. Ils poursuivirent leur baiser avec passion, sentant leurs dernières réticences les abandonner, leurs cœurs vaciller, et leur volonté se faire ténue. Leurs langues se cherchaient, se goûtaient, s'affolaient, avant de se soustraire pour mieux revenir. A bout de souffle, hébétés et vibrants, il se séparèrent pour se regarder. Incrédules, ils ne purent dire un seul mot, tout à leur tentative de mettre de l'ordre dans leurs esprits et leur corps, comme anéantis par leur passion.

  • Comment ne pas s'enflammer quand on cache le feu en son sein et qu'on joue avec ? Tes mots décrivent bien ce moment de tension : la mèche est allumée, quand vont-ils s'embraser ?

    · Il y a environ 8 ans ·
    Sleeping fox by krankeloon small2

    mistermaster

    • Merci pur ce commentaire qui me va droit au coeur. JE ne compte pas spécialement donner une suite. Ce texte est né dans le cadre d'un "essai" pour une scène d'un concours d'écriture mais elle n'y figurera pas, et je l'ai soumise ici. C'est clair que ce genre de feu ne peut pas être contenu, PEut être un jour écrirais-je tout ce qui va avec ces instants volés à mon imagination

      · Il y a environ 8 ans ·
      F%c3%a9e 1

      rainette

  • Bel essai, l'évocation est doucement exaltante!

    · Il y a environ 8 ans ·
    Cavalier

    menestrel75

    • Ce commentaire me ravi, je l'assure, car si j'ai réussi à vous faire dire cela, c'est que j'ai pu retranscrire ce que je voulais faire passer. Merci

      · Il y a environ 8 ans ·
      F%c3%a9e 1

      rainette

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