Essai sur les monstres qui ne sont pas encornés

walkman

Ho[m]me. Je m'excuse auprès des femmes qui m'ont éduqué. Ma mère. Mes soeurs. Mes petites amies.

C'était triste. Chiant et triste. Non pas parce qu'elle s'essoufflait à rabâcher ses excuses - ça fait un moment que je n'écoutais plus - mais parce qu'elle ne prendrait jamais véritablement conscience de ce qu'il lui arrivait vraiment. Son mec, le presqu'homme qu'elle venait d'encorner, elle avait enfin une bonne opportunité de s'en débarrasser. Mais non. La culpabilité d'avoir été pénétrée par un étranger venait d'excuser tout ce pourquoi, justement, elle venait de se faire pénétrer. Elle s'imaginait que ses anciens problèmes avaient disparu, soudainement, évacués, exorcisés, éjaculés dans le préservatif. Elle confondait. Ses problèmes venaient simplement d'accueillir un petit frère. Nouveau né, braillard, qui monopolise toute l'attention. Mais tout le monde finit par se défocaliser des bébés. Les vrais problèmes reviendront. 

Qu'elle s'en veuille, je comprends. Mais c'est juste qu'elle n'avait pas eu le courage de s'échapper avant. Alors elle devrait se taire. S'étouffer seule et silencieuse dans ses remords et trouver de quoi s'apaiser. Mais non. Tristement, elle va avouer à son mec qu'elle a pris une autre queue que la sienne dans sa bouche - omettant que c'était cool avant que ça ne devienne réel. Elle va, en quelle que sorte, lui refiler le bébé. Soulagée d'être une connasse, selon la balle qu'il renverra. Oui, se dira-t-elle, mais une connasse honnête. Et lui, en plus d'être cocu, il va devoir composer avec, et probablement - comme sont écris les contes de fées scénarisés - trouver un moyen de pardonner. Parce qu'il l'aime. Parce qu'ils vont se marier. Parce que les problèmes qui ont enfanté l'adultère, s'étaient d'abord les siens à elle, lui il juste était amoureux niaisement, et d'une nature profonde absolument chiante. Et toute sa vie, à lui, pour son "accomplishment boarding", il se rappellera qu'elle a déjà joui avec un autre pendant qu'elle jouissait régulièrement avec lui. Alors il se demandera, de toute sa pauvre petite situation injustifiée, si ce n'était vraiment qu'un simple passage à vide ; si ça peut encore arriver ; si c'était mieux qu'avec lui : si ça ne lui donnerait pas le droit tacite d'aller jouir ailleurs. Après tout, parfois il jouit seul. Est-ce si différent ? A-t-il le droit à sa vengeance ? A son remboursement ? A une compensation ? 

Alors quoi ? Eh ben peut-être qu'il le fera à son tour. Après une invocation de Justice. Elle le pardonnera, puisqu'il a pardonné, lui. Et ils seront bousillés tous les deux d'avoir enfanté des monstres. Des monstres qui ont caché leurs vraies soucis dans les placards ou sous les lits. Les vrais problèmes qui auront, préalablement, rendu leur vie triste et chiante : leur absence d'imagination, son goût à lui pour les eaux calmes, son goût à elle pour les rêves de princesse, ses habitudes à lui de partir en vacances à Bordeaux, ses projets à elle de visiter tous les hôtels 4 étoiles de la planète, sa passion pour les Volkswagen, sa passion pour Robbie Williams, les emplois du temps dictés par la télé... j'en rajouterais des centaines sans débander, si je bandais. 

L'incroyable risque qu'ils vont prendre à finir leur vie ensemble, et appeler ça l'amour. Histoire de galvauder ça une fois pour toute. En plus, ils iront déceler dans leur jalousie respective des marques évidente de celui-ci. Ce qui revient à prouver n'importe quoi avec l'argument "c'est ainsi". Ils seront comme n'importe quel couple nul et déprimant qui se charge de peupler la planète de téléspectateurs de Confessions Intimes. Des monstres... abonnés sur Facebook à des Savez-vous ou des pages de dictats d'humour qui relatent les mêmes vannes depuis 1994. Des gens qui sont là, qui votent et finissent par choisir pour toi parce que des couples nuls et emmerdant y en a tellement. Et tous ces monstres sont bien plus nombreux que toi, maintenant. Finalement, ta seule satisfaction,  c'est de te dire qu'un jour tu as sauté la maman d'un de ces gosses et que tu files encore aujourd'hui des diarrhées à son petit papa. C'est peu de chose. Je te l'accorde. Peu de choses nulles et chiantes en plus. Qui sont de ma faute, aussi. 

Si je n'avais pas ce goût pour les défis de Serge, pour laisser le champ libre à mes penchants lubriques. Ce n'était finalement qu'un pari à 50 balles. Même si, quelque part, je trouvais marrant d'aller faire l'amour à la nouvelle assistante de direction avant mon propre patron. Je l'aurais fait tout aussi joyeusement gratuitement. Mais il faut reconnaître que, une fois l'orgasme envolé, la magie enthousiaste, il fallait l'imaginer. Le sexe a une tendance un peu suicidaire. Il vide autant qu'il déprime. Il remplit autant qu'il déborde. 

Et la je zappe aléatoirement entre les chaines de la TNT dont le nom m'évoque un peu ce qu'ils ont fait de la télé. J'éteins nerveusement. J'ouvre l'ordi. Youporn. Pornhub. Redtube. Je cherche, un bon quart d'heure, une fille qui lui ressemble. Je tape son prénom et finit par opter pour la vidéo de 8min47 qui me semble la plus épanouissante. Elle ne lui ressemble même pas. Un scénario plat, casse-dalle, histoire peu crédible d'un demi-frère et d'une demi-soeur. En pensant à tous ces gosses qui y verront du Laclos. Ou des Ch'tis à Mykonos. J'éjacule de lassitude et de frustration. Bien trop appliqué dans ma perversion narcissique pour me contenter de me dire que leur couple ne s'est pas détruit. Au moins qu'il se pointe pour me briser les jambes et me découper les couilles à l'épingle à nourrisse ! Rien de tout ça ne va arriver. C'est tellement prévisible, mièvre, mal fichu. Ce monde se désintègre sur lui-même à coups de photos de chatons rieurs, de citations de Gandhi et de votes extrémistes. A croire qu'on a tous une tête de lune ou la tête dedans. Avec qui, sérieusement, doit-on forniquer aujourd'hui pour que ça impacte sa vie ? J'aurais peut-être dû la bâillonner, la laisser me mordre les burnes, l'attacher au lit, utiliser des fruits, m'agrafer les tétons... elle se serait cru dans 50 Nuances des Grey's Anatomy et aurait cru voir s'ouvrir ainsi un nouveau sens à sa vie. Putain d'existentialisme. Ça me rappelle pourquoi je suis devenu si con, pourquoi faillir est devenu une passion. Cette vie est devenue si insipide. L'Âge du Plastique. On est juste de gros cons Made in Chine. Des hémiplégiques de la Comédie Divine. Sans aucune profondeur... Faut que j'arrête l'introspection.

Mais faut me comprendre, quand on prend le risque de coucher avec un(e) collègue on est en droit d'attendre un séisme. De nourrir les sujets de discussion des pauses café. De voir Walter White débarquer pour tout niquer. Ou encore de se conditionner pour rester discret. En tout cas j'envisageais au moins qu'on pourrait recommencer jusqu'à ce qu'un autre projet me passionne. Comme une plainte pour harcèlement ? Les nanas doivent bien se rendre compte que la plupart de leurs collègues masculins, et même parfois féminins, vont avant tout juger leur légitimité par le prisme de leur esthéticité. Si en plus, elles sont compétentes, tant mieux, ça économise le temps d'un casting de recrutement. Pour se venger, et assoir leur autorité autant que leur intelligence supérieure, je les aurais bien vu en profiter. A leur place, si je devais débarquer quelque part où toutes les femmes me voyaient comme un encas, j'aurais fait feu de tout bois. Avant de me glisser dans un conflit d'intérêts, une plainte au prud'homme ou dans n'importe quelle situation marrante. Ce qui est certain, c'est que je ne serais pas rentré chez moi, un soir, chargé d'une épouvantable culpabilité pour chercher à me faire pardonner un truc qui aurait tout-à-fait pu rester secret s'il était passager. On devrait sans doute arrêter de penser que l'honnêteté est une vertu quand elle provoque plus de dégâts que son antonyme diabolisé.

Néanmoins, au lieu de tout ça, je suis rentré chez moi. J'ai visité Tinder. Je me suis lassé. J'ai visité Gleeden. Je me suis lassé. J'ai visité Pornhub. Je me suis massé. J'ai visité mes souvenirs. Je m'en suis passés. J'ai visité mon avenir. Je me suis cassé. Tant pis pour les monstres cachés sous mon lit et qui ne sont pas encore nés. 

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