Et cris.

condamnes-a-etre-libres

Il y a dans ma tête cette voix qui pense. Elle est là, on dirait qu’elle m’observe, elle raconte tout ce que je fais.
Elle sait ce que je pense, elle est ce que je sais.

Je contemple la pluie qui inonde le monde de son clapotis entêtant.
Et la voix dit « la pluie c’est agréable, n’aurait-elle pas son propre rythme ? »
Alors je continue à écouter, mais d’une oreille plus attentive.
Les mots argumentent et décrivent ce que mes yeux voient, ils sont indépendants, ce sont la chanson de la Voix.

« Des statues me regardent d’un air hautain et un escargot court sur la pierre beige et granuleuse du parvis, les arbres sont comme toujours, uniques, des nuages gris masquent jalousement le ciel – tout ça dans un bel ensemble humide »

Soudain, elle change et se reprend à penser : « Pourquoi ne pourrais-je pas cesser de parler ? »
Je souhaite un blanc, un silence.
Je veux me faire aspirer pas le monde et ses clapotis disparates, être ce froissement et ce « clic » du parapluie qui s’ouvre à ma droite. Pourquoi pas aussi devenir le bourdonnement qui embrume tous ces sons irréguliers ?

C’est impossible, car il y a la Voix. Celle qui vient de parler à travers cette plume, qui a rêvassé devant la pluie et qui continuera à marmonner tout à l’heure.

« Blanc. Blanc. Blanc.
- Tait-toi !
- Silence. Silence. Silence.
- Je t’en prie, boucle-là ! »

La Voix poursuit son dialogue avec elle-même dans ma boîte crânienne ; c’est une fausse illusion, une réalité cruelle. Elle est autant elle que moi. Je suis condamnée à l’écouter jusqu’à mon dernier souffle, elle est comme un doux bruit lancinant qui perdure lorsqu’on se bouche les oreilles.

« Stop ! Arrête, tait-toi ! se lamente encore la Voix, seule. »

Jamais elle ne cessera pourtant. Plus on la supplie, moins elle s’interrompt.

*

« Pourquoi tu écris ?
- J’écris pour te contrôler, tu sais, pas pour te trouver un sens, juste pour t’installer dans un monde où tu as des limites – c’est tout.
- Menteuse ! il y a plus encore…
- J’écris pour te sortir de moi. C’est pourtant absurde puisque tu es moi…
- Continue.
- …
- Dis-le !
- J’écris pour exister dans leur tête. Je veux que tu résonnes dans leur esprit comme tu t’y amuses dans le mien. Tu sais, quand je lis parfois tu t’en vas, une inconnue prend ta place et je revis. A cette image, je veux envahir les autres avec mes mots, en quelque sorte ils deviennent une partie de moi. »

Ainsi, je suis atteinte de la perversion qu’est le désir de possession. Je veux qu’ils m’appartiennent l’espace de quelques instants, qu’ils entendent ma parole, ma vie.
Je ne souhaites pas partager, je veux être. Partout. Pour vous voir de l’intérieur, ou au moins l’imaginer.
Et si mes mots trouvent écho, c’est un heureux hasard qui fait sourire mon visage – au fond j’exulte et ma Voix bafouille, ce sont d’autres petits instants où tu étouffes sous l’émotion.
Parfois, la pointe de la plume se relève, tu ne trouves plus quoi dire. Tu t’exaspères car je suis exaspérée, mais en réalité je viens de t’arracher le silence – Oh victoire !


Mais cela ne dure jamais bien longtemps.
Et quand je lâche l’instrument, tu rampes et susurres de nouveau.


*


En vérité, je pense qu’écrire me permet d’être les autres, ce qui est irréalisable grâce au seul pouvoir de l’imagination.
Ecrire est un moyen de matérialiser. Ecrire fait fuir la vie. Je m’unis avec la Voix avant de l’envoyer, loin…
Là ou elle saura être reçue.

*

Merci pour le voyage.

  • chère condamné à être libre(je préférerais un prénom)
    la voix est ta conscience d'être, mais pour l'oublier, il faut faire. Des courses de hors, des mots croisés, préparer à manger, marcher dans la rue. Je connais cette voix mais curieusement elle ne me parle que dans le silence. Alors je n'autorise pas le silence en moi ni chez moi.
    Tu vois tes mots trouvent un écho en moi, ce n'est pas un hasard, car nous sommes sur un site d'écriture, nous avons tous "un moi" à faire lire. Et nos émois.
    Tu peux aller lire mon dernier poème(portrait d'écrivain) il parle de cela mais d'une façon très légère et vagabonde.

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Bbjeune021redimensionne

    elisabetha

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