Et la tendresse bordel ?

Caroline Hopkins

Les rencontres au temps du Corona

Next… Un autre ratage grandeur XXL, un next pire que celui d'avant …  Faudrait quand même pas que ça devienne une mauvaise habitude. Bon, je m'explique. Profil pas mal, mais il porte des lunettes de soleil sur chaque photo. Il a l'air très motivé quand je le contacte. Il me dit qu'il est tout « neuf » sur Tinder. Il sort d'un divorce et a besoin de fraiches rencontres. Tout cela fait un peu étalage de produits frais au marché mais ma foi, j'aime bien son côté léger. Il m'écrit très vite : « j'ai une faveur à te demander ». Ah ? Oui, vas-y. « J'aimerais qu'on s'appelle pour entendre ta voix, je ne suis pas très sms etc ». D'accord ! On se fixe une heure, il me donne son numéro de téléphone : « Tu peux m'appeler en numéro masqué si tu veux, je comprendrais ». Je trouve sa remarque un poil étrange. Soit il est bienveillant, soit il n'est pas très net. Je l'appelle, non masquée, à l'heure convenue. Nous discutons pendant une heure… En fait, c'est plutôt lui qui parle. Il monopolise même carrément la conversation. Je sens le type qui aime s'entendre parler. Formateur et consultant, il vit dans la région depuis une dizaine d'années, vente les mérites du privé, de l'entrepreneuriat mais en même temps, il semble aussi nager comme un poisson agile dans le système. Bref, sa manière de penser me déplaît. Il me fait l'effet d'un opportuniste doublé d'un vrai faux-cul. 


Il finit par conclure en m'invitant à venir le voir au plus vite, « en tout bien tout honneur ». Je pourrais même bosser en télétravail à côté de lui. Ah super, je ne m'attendais pas à cette proposition à laquelle je ne donne surtout pas suite… D'ailleurs, je mets un peu de temps à finir par accepter. Il faut dire qu'entre temps, j'ai quand même un autre Tinder à fouetter ! Je finis par céder à une des ses relances et m'enfonce dans la campagne embrumée par un temps doux et humide de fin d'automne et de fin d'après-midi pour atteindre son antre, enracinée au fond d'une vallée. Une trentaine de kilomètres plus tard - sans rencontre avec la maréchaussée, ouf ! -, je me gare devant sa vieille baraque. Dès que je l'aperçois, guettant derrière la fenêtre de son salon, je sais que ça ne va pas le faire. Remarque, je m'en doutais un peu avant… Bon, allez, j'y vais, comme pour un job qu'on n'a pas envie de faire. Il débouche une bouteille de champagne, après une visite guidée de sa maison qu'il aime tant et qu'il a pu récupérer dans le divorce. Lumière trop forte dans une cuisine insipide, un grand salon sans étagères, sans livres, avec une seule source de chaleur : un poêle à bois. Je m'y colle et je me mets à boire. Car il parle, mais qu'est-ce qu'il parle : j'ai droit à tout ce qu'il a fait dans sa vie, ses enfants, brillants bien sûr, qui ont très bien réussi, « HP ». « HP », c'est quoi ? Je me permets de l'interrompre. « Haut Potentiel voyons ! ». Ah, ça y est, il commence à me prendre pour une bécassine. Remarque, j'enchaîne les coupes et la hausse du taux d'alcoolémie ne rend pas particulièrement performantes mes facultés intellectuelles. En plus, quelque part, ça me plaît bien de jouer un tantinet à l'andouille. C'est le genre de type qui adore se montrer plus intelligent. Vas-y mon gars, ça m'amuse et je suis curieuse de savoir jusqu'où ça ira. Il me propose de rester dîner. Après le champagne, il sort le cubi… Changement de standing. Filets mignons à la crème fraiche (Lidl). Pendant le repas, il se met à parler politique et comment il a cru au mouvement En Marche. Aïe ! « Tu n'as pas lu le livre de Macron ? Vraiment ? Ah tu devrais »… Nouvelle persécution intellectuelle. 


Nous retournons au salon et là, il est de nouveau rattrapé par son complexe de supériorité. Il sort un jeu de société, - le quarto, une sorte de Puissance 4 en 3 dimensions -, « que j'ai confectionné moi-même ». Chapeau, le type a aussi des talents de menuisier et de vision dans l'espace ! Evidemment, je dis : « Jouons » ! Bien sûr, je me prends une pâtée. Je persiste mais il finit par dire que c'est mieux d'arrêter quand même. Oui c'est sur que jouer avec quelqu'un d'aussi nulle que moi n'a vraiment rien d'enrichissant. Autant passer à un rapprochement des corps, sans paroles, dernière tentative d'une possible entente. Il me laisse mettre la musique que j'aime, de la pop anglaise enjouée. Je ne veux pas plomber l'ambiance. Nous nous déshabillons dans ce grand salon sous les yeux du chat qui doit bien se marrer. Puis, nous prenons la direction de sa chambre et de l'ancien lit conjugal. Là, il opère quelques tentatives de pénétration mais mon corps ne répond pas. Je suis tout d'un coup gênée par son odeur. Je me sens nauséeuse et lui fais le coup de la grève du sexe. J'ai trop bu et il me dégoute. Je lui tourne le dos et m'endors comme une masse. Quelques heures plus tard, je me réveille au milieu de la nuit. Mon voisin a le dos tourné, à l'autre bout du lit. Je le soupçonne de ne pas dormir. Dans un élan de tendresse ou de je ne sais quoi, je tente un léger rapprochement de ma main sur son flanc. Je ne sens aucune réaction, comme si je touchais une bûche. Je retire vite ma main. Et la tendresse, bordel ? Ce type en a l'air dépourvu. Puis les souvenirs de la veille me reviennent et je me dis qu'il s'est quand même pris un vent…


Il est encore trop tôt pour partir. Les lumière rouges du réveil-matin affichent 3:30. J'ai surement encore trop d'alcool dans le sang. J'attends sagement le petit matin. Le maître des lieux finit par se lever. Ouf ! L'odeur du café arrive jusqu'à l'ex-lit conjugal. J'ai le feu vert, je me lève, emprunte une grande serviette dans la salle de bains pour aller récupérer mes fringues éparpillées dans le salon. On se lâche un bonjour poli, distant, évitant le eye-contact, je ramasse mes vêtements respectant tous une certaine distanciation sociale. C'est drôle, les siennes sont loins des miennes, aussi éloignées que nous avons pu l'être lors de cette rencontre ratée… J'avale un café et je file en glissant un « bonne continuation » totalement insipide. Je ne me retourne même pas vers lui en le disant… Au volant de ma voiture, affrontant la brume du petit matin, je me dis que je vais attendre un peu avant de passer au next

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