Et si il disait oui…

Adrien Rivierre

Hier, en fin d'après-midi, lors d'une conférence de presse exceptionnelle, tenue au Palais-Royal, la Ministre de la Culture a annoncé son intention de proposer à l'iconique Fabrice Luchini de devenir le premier Haut Représentant à la Culture Française. Selon des sources proches du dossier, cette déclaration a été décidée à la dernière minute dans le cadre de la nouvelle politique du gouvernement : la culture contre la crise. L'annonce est une surprise puisque l'acteur français se présente souvent comme un libertaire réactionnaire, connu des français, certes pour son talent d'acteur, mais aussi pour sa personnalité insaisissable et ses envolées contre la gauche. Mais qui Fabrice Luchini est-il vraiment ?

Itinéraire d'un jeune « anormal »

Fabrice Luchini, Robert Luchini de son vrai nom, est né le 1er novembre 1951 à Paris. Ses parents, immigrés italiens, sont marchands de fruits et légumes dans le quartier populaire de la Goutte d'or. Peu intéressé par les études, sa personnalité atypique aux accents androgynes le marginalise et finit par l'éloigner définitivement des bancs de l'école. Il se réfugie alors dans l'immense répertoire littéraire français dont il tombe fou amoureux. Il s'enivre en apprenant par cœur Balzac, Flaubert ou La Fontaine, textes qu'il déclame à l'occasion pour attirer les clients sur le stand familial. A 13 ans pourtant, le jeune garçon doit songer à se construire un avenir.

Sa mère, la seule véritable femme de sa vie comme il le dira plus tard, décide de l'envoyer travailler dans un salon de coiffure huppé de la capitale, Avenue Montaigne. C'est à ce moment-là, au contact de la bourgeoisie, que le jeune garçon du XVIIIème arrondissement devient Fabrice. Un changement de prénom qui résonne aujourd'hui comme le début de son ascension sociale. Pourtant, il est toujours mal dans sa peau, jamais à sa place, trop souvent incompris. Son échappatoire il le trouvera dans le monde de la nuit, plus débridé, exubérant et tolérant.

La rencontre déterminante

Un soir de 1968, alors qu'il se déhanche devant un Juke-box du Drugstore d'Angoulême, il tape dans l'œil du réalisateur Philipe Labro, alors en repérage pour son film Tout peut arriver. Cela sera sa première apparition cinématographique.

Pour la première fois peut-être, il entrevoit un futur heureux à sa vie où se mêle sa passion pour les mots et l'espoir d'une carrière. Sa diction hachée, si particulière, deviendra une marque de fabrique finalement mise en scène dans Alceste à Bicyclette (2013) de Philippe Le Guay où il fait la leçon à Lambert Wilson dont la prononciation ne respecte pas les diphtongues. De nombreux réalisateurs veulent ainsi s'attacher ses services et après avoir suivi des cours d'art dramatique chez Jean-Laurent Cochet, il rencontre l'immense Éric Rohmer qui lui confiera des rôles dans Perceval le Gallois (1978) et dans Les Nuits de la pleine lune (1984).

Doué naturellement, Luchini l'est sans nul doute, mais  sans conteste, son triomphe trouve sa source dans son travail acharné qui le guidera jusqu'à la reconnaissance nationale. Son ascension vers la gloire débute véritablement au début des années 1990, avec notamment les films La Discrète (1990), Le Retour de Casanova (1992) ou encore Tout ça…tout ça ! (1993), film pour lequel il reçoit le César du meilleur acteur dans un second rôle. Il enchaîne alors les films et succès en tournant dans Le Colonel Chabert (1994) ou Beaumarchais, l'insolent (1996).

Le goût de la théâtralité

S'il ne renie pas le 7ème art, Fabrice Luchini se définit avant tout comme une bête de scène que seules les planches d'un théâtre peuvent réveiller. A la manière d'un Démosthène ou d'un Flaubert, ses milliers d'heures solitaires, passées à déclamer ses œuvres préférées, le destinent à se produire sur scène pour transmettre sa passion et communier avec son public. Des lectures de Nietzsche aux fables de La Fontaine ou plus récemment le Voyage au bout de la nuit de Céline ont fait vibrer d'émotions des théâtres archicombles.

A l'époque du prétendu déclin de la langue française, langue qui serait aujourd'hui condamnée à dépérir sous le poids insupportable de son passé grandiose, Fabrice Luchini impose un démenti cinglant. Par ses mots, il redonne vie aux plus belles Lettres de l'histoire littéraire française. A travers sa ferveur jouissive et sans doute maladive, il suit une psychanalyse depuis ses 23 ans, il partage des moments uniques d'émotions avec un public français qui se reconnaît dans cette une figure de génie tourmentée.

L'énigme Luchini

Chaque apparition télévisée révèle sa personnalité quasi schizophrène, toujours prêt à se lancer dans un torrent de paroles improvisées sur ses sujets de névrose favori, le sexe, le couple ou encore l'ennui profond de la vie, tout en pouvant défendre dans les secondes qui suivent, avec la plus haute rationalité, la nécessité absolue d'étudier Molière. A 63 ans, l'homme ne s'est toujours pas assagi et ses rares détracteurs ne manquent pas de souligner son ego-surdimensionné, ses tourments maniaco-dépressifs ainsi que ses nombreux élans réactionnaires. Une chose est sûre, Fabrice Luchini apparaît comme un iconoclaste fustigeant l'entre soi, raison pour laquelle il n'entrera jamais à la Comédie Française, et détestant la politique politicarde qui règne en maître depuis tant d'années maintenant.

 

Alors forcément, Fabrice Luchini comme Haut Représentant de la Culture française, même si la Ministre de la culture en rêve, et même si les français la supporteront très probablement, il est fort à parier qu'il ne souhaite jamais mettre les pieds sur la scène politique…et c'est sans doute mieux ainsi.

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