Et si jamais

marion37i

Une petite Peugeot de couleur rouge fonce sur l’autoroute 666. Elle passe rapidement près de deux motards en promenade estivale. Lorsqu’elle se trouve à leur hauteur, la voiture laisse échapper un hurlement enfantin digne des meilleurs films d’horreur.

-         AAAAAARRRGGG...

Dans la voiture, la passagère avant se retourne vers l’arrière.

-          Qu’est-ce qui se passe? demande Christine d’un ton excédé.

-          Elle m’a tapé, répond Théo, 9 ans, en se frottant la tête.

-          Même pas vrai, répond sa sœur Léa, 15 ans, avec une grimace de douleur en se frottant la main.

-          J’aimerais que vous vous calmiez. Vous n’avez pas arrêté de vous chamailler depuis le départ.

-          C’est long, soupire Théo.

-          Vous m’avez pas demandé si j’avais envie de venir, insiste Léa en lançant un regard noir à sa mère.

-          On fait une sortie en famille, répond Vincent le père.

Vincent est plutôt calme… d’habitude. Mais là, il n’a pas desserré les dents… ni les mains du volant. Ses doigts sont si crispés qu’il ne les sent plus.

-          On est arrivés? continue Théo.

-          Pensez à Mia. Essayez de respecter son sommeil.

Entre le frère et la sœur se trouve un siège pour bébé dans lequel repose un petit ange. La bouche grande ouverte, elle dort d’un sommeil si profond et si innocent qu’elle n’a cure des chamailleries des grands.

-          On est arrivés? répète Théo pour la vingtième fois depuis le départ.

-          Non, on n’est pas arrivés, espèce de demeuré. Tu le vois bien. Alors, arrête de répéter ça en boucle, craque Léa.

-          J’suis pas demeuré, d’abord, se fâche Théo en la regardant.

-          C’est vrai excuse-moi, se ravise Léa faignant la peur, t’es débile, lui lance-t-elle avec son regard méchant.

Christine se retourne face à la route en respirant lentement pour se calmer.

-          J’ai chaud, dit-elle en ouvrant un peu le haut de sa fenêtre.

Vincent la regarde en lui tâtant le front sur lequel perlent de grosses gouttes de sueur.

-          T’as pas l’air bien. On va faire une halte, je crois qu’on a tous besoin de prendre l’air.

La voiture sort par une bretelle pour emprunter une route adjacente sur le bord de laquelle, quelques minutes plus tard, la famille Picard aperçoit une vieille bâtisse appelée « l’auberge écarlate ».

-          C’est quoi ce truc? médit Léa.

-          Ce truc est un charmant restaurant champêtre dans lequel nous nous arrêtons pour manger CALMEMENT en famille! insiste Vincent.

Léa soupire.

-          Moi, je me prends un croissant. Mais ceux qui préfèrent bouder dans la voiture, libre à eux, dit Vincent en faisant un clin d’œil à sa femme.

La voiture vient se stationner un peu en retrait de l’entrée. L’auberge semble être en réfection ce qui lui donne un air plutôt lugubre.

-          C’est la demeure des Borgia, ironise Vincent.

Christine laisse entrevoir un petit sourire.

-          On aurait pu rester sur l’autoroute, y’avait un Mac Do, insiste Léa

-          Oh, oui, moi je prends le menu avec le jouet, réagit aussitôt Théo.

Christine rejette la tête en arrière en soupirant, puis sort de la voiture rapidement en claquant la porte pour se diriger vers l’entrée du restaurant.

-          Oui, mais un peu de bon air et une petite pause gastronomique ne feront de mal à personne, précise Vincent en quittant la voiture.

Il ouvre la portière arrière pour détacher le bébé qui se réveille.

-          Maman a planifié ce week-end pour nous faire une surprise et j’aimerais que vous y mettiez du votre les enfants. OK? conclue le père en sortant le bébé de la voiture.

***

Christine marche d’un pas énervé vers la porte d’entrée.

Elle avance rapidement, puis ralentit soudainement en se tenant le côté droit. Elle respire en expirant profondément. Elle lève la tête pour regarder le soleil haut dans le ciel. Des perles de sueur constellent son front.

Vincent arrive à sa hauteur avec dans ses bras le bébé arborant un superbe petit couvre-chef rose.

-          Ça va chérie? lui demande-t-il inquiet.

Elle hoche la tête affirmativement avec un sourire crispé.

-          Commande-moi quelque chose de très frais.

Vincent accélère le pas et entre dans l’auberge.

Christine regarde les environs en reprenant son souffle.

L’auberge/restaurant semble perdue au milieu d’un champ de blé.

Un vieil homme au visage flétri comme une pomme blette l’observe calmement.

L’homme est assis sur une chaise en bois à la peinture écaillée. Il crache sur le sol ce qui a pour effet d’engendrer un rictus de dégout sur le visage de Christine.

Il roule une cigarette qu’il lèche trois fois avant de l’allumer.

Léa et Théo entrent en trombe dans l’auberge en coupant le chemin de leur mère qui sursaute.

Ils rejoignent Vincent qui est attablé avec le bébé.

-          Le bébé a besoin d’un peu de calme… et nous aussi.

-          Oui, ben ça c’est loupé par ce que le bébé, il va encore brailler pendant tout le repas, rétorque Léa.

-          Et ben, pour permettre à ton père qui a beaucoup conduit de se relaxer un peu, tu pourrais t’en occuper du bébé, non?!? répond Vincent avec virulence.

-          OK, OK, OK, intervient Christine outrée des remarques désobligeantes de sa fille. Le bébé s’appelle Mia et c’est votre sœur, c’est tout de même pas une inconnue.

-          Oh, il y a une salle avec des jeux vidéo, dit Théo

-          Bon, ben, en voilà déjà un qui ne fera pas chier.

-          Oh, Léa ça suffit, y’en a marre. Marre de ton attitude et marre de ta façon de parler, crie sa mère qui n’en peut plus.

-          Si tu veux, tu peux rester dans la voiture. Rien ne t’oblige à venir manger avec nous, insiste Vincent.

-          Bon, ça va. J’espère que c’est pas juste des plats avec plein de sauce, je ne veux pas grossir, moi.

-          C’est sûr que le Mac Do, c’est beaucoup plus santé!!!

-          Vincent, s’il te plaît, n’en rajoute pas. OK?

Le silence s’installe autour de la table. Léa tapote son téléphone, Mia gazouille, Christine a chaud et Vincent lui sourit tendrement en posant sa main sur la sienne.

***

45 minutes et quelques bouchées plus tard, les voici ressortis et prêts à poursuivre le voyage.

***

Léa traîne des pieds et souffle en insistant bien sur le fait que sa sœur Mia est lourde, très lourde et qu’elle n’en peut plus.

Théo est toujours aux jeux vidéo et son père a toutes les peines du monde à le faire cesser de tourner sur un engin infernal qui lui a déjà par deux fois percuté les chevilles.

Seule Christine a le sourire aux lèvres et se frotte le ventre de contentement. Debout sur le pas de la porte, elle lève son visage vers le soleil. Les yeux fermés, elle ressent la chaleur des rayons sur sa peau.

Une petite brise vient la caresser derrière la nuque. Elle ouvre les yeux et voit les épis de blé qui ondulent sous le vent. Elle descend les quelques marches de bois et s’éloigne tranquillement.

Léa, le bébé dans les bras, fait la grimace en sortant du restaurant.

Vincent revient finalement avec Théo qui a les yeux tout rouges d’avoir joué pendant presque une heure.

-          J’ai soif! dit Théo.

-          Oui, ben, il fallait y penser plus tôt. Là, on repart, répond Vincent

-          Oui, mais là j’ai vraiment hyper soif et si je bois pas, je vais peut-être mourir et on va encore pas s’arrêter pendant hyper longtemps et…

-          OK. C’est bon. Toi, t’es HYPER chiant. Papa, s’il te plaît... le coupe Léa.

-          Bon, va te chercher une bouteille d’eau pendant qu’on attend maman.

-          Ben voyons, une bouteille d’eau, ça va encore pourrir la planète. Tout ça parce que Mossieur n’a pas voulu venir manger et préfère jouer avec ses trucs vidéo.

-          Merci papa, dit Théo en prenant le billet que lui tend son père.

-          Hé, pas de trucs pleins de sucre, hein, juste de l’eau, OK?

-          OKaaaaayyyyy, répond Théo en soufflant.

Il part en courant.

Resté seul avec Léa, Vincent reprend :

-          C’est pas drôle les vacances avec vous. Toujours voir le négatif, jamais rien de positif. C’est pourtant pas si mal, non?

-          Vous les parents, vous êtes pas comme nous. On voit pas les choses de la même façon, c’est tout. Toi, un petit resto et un verre de vin et youhou la vie est belle.

-          Ben… oui.

-          Ben non, la vraie vie c’est quand il y a plein de monde, de la musique, quand ça bouge quoi.

Vincent reste interdit quelques secondes.

-          Effectivement, on ne voit pas ça tout à fait de la même manière.

Théo revient toujours en courant. « Où trouvent-ils leur énergie? » se demande Vincent. 

-          Regarde papa, j’ai pris de l’eau au citron et même que je pourrai recycler la bouteille et gagner un peu d’argent.

-          Super! Bois avant de partir pour pas renverser. Maman ne va pas tarder.

***

15 minutes s’écoulent et Christine n’est toujours pas revenue.

Dans la voiture, les occupants ont chaud. Très chaud.

-          Mais, qu’est-ce qu’elle fout? soupire Léa la tête posée sur le rebord de sa fenêtre grande ouverte.

-          Léa, elle a peut-être trouvé des champignons ou des fleurs ou je sais pas. Elle a quand même le droit de prendre 15 minutes de temps en temps, non?!?

-          Oui, mais nous on attend et on cuit dans la voiture pendant ce temps-là.

-          OK. Mon Théo, tu veux aller voir où est maman s’il te plaît.

Théo regarde les mouches qui lui tournent autour de la tête. Il en a compté 6. Enfin, il n’est pas très sûr. C’est que les mouches, elles ne volent pas très droit. On a l’impression qu’elles sont saoules. Cette pensée l’amuse et il sourit tout seul.

Léa tourne la tête vers lui pour voir son visage béat. Elle hoche la tête de consternation. Elle lui donne un coup sur l’épaule.

-          AIIIIIEEEEEYYYEEUUUUU, crie Théo.

-          Répond quand on te parle, lui dit Léa. Papa te demande d’aller trouver maman.

-          Pourquoi moi?

-          Bon, OK, restez là, je vais la chercher, dit Vincent qui n’a plus envie d’argumenter.

Vincent s’éloigne de la voiture en direction des champs. Il remonte le chemin de terre, mais ne voit pas la silhouette de sa femme au loin. De chaque côté, des champs de blé à perte de vue. Après quelques minutes de marche, Vincent revient sur ses pas, un peu perplexe.

En passant près de la voiture, il annonce aux enfants d’un ton qui se veut rassurant :

-          Je vais demander au restaurant, maman a dû aller aux toilettes et on l’a manquée parce qu’on s’engueulait.

Vincent se dirige vers le restaurant et en ressort presque aussitôt.

De retour à la voiture :

-          Non, ils ne l’ont pas vue. C’est bizarre quand même. 30 minutes, ça commence à faire long. J’espère qu’il ne lui est rien arrivé

-          Mais non, elle est juste partie avec un autre, annonce Léa en pouffant de rire.

Vincent, stressé par cette soudaine disparition de Christine, perd son calme.

-          Merde, Léa, tu dirais quoi si elle partait pour de bon, maman, hein? Tu dirais quoi? Dis pas des choses pareilles.

-          OK, c’est bon, je rigolais.

-          T’es pas drôle, dit Théo. Pis, j’ai envie de faire pipi.

-          Normal, avec ce que t’as bu. Ben, vas-y.

Théo repart vers le restaurant toujours en courant et revient quelques minutes plus tard au même rythme. Il annonce, sans même montrer de signes d’essoufflement :

-          Peut-être que maman a été kidnappée. Dans les toilettes, y’a une affiche avec plein de gens qui ont disparu.

Léa poursuit sur un ton sarcastique :

-          Superbe petite auberge au milieu des prés où vous pouvez déguster des plats pourris pleins de sauces et vous faire kidnapper et découper en tranches. Un séjour inoubliable!!!

-          Bon, ça suffit. Léa, tu t’occupes de ta sœur. Théo, tu viens avec moi.

-          Et voilà, comme d’habitude, juste au moment où il va falloir changer la couche. C’est encore moi qui vais m’y coller. J’en ai vraiment ras le bol de cette famille.

Théo ne moufte pas et suit son père vers le chemin de terre.

Léa, soufflant et pestant, installe sa petite sœur sur le siège arrière de la voiture et tente de changer sa couche qui est effectivement bien garnie. Dans une telle position, ce n’est vraiment pas évident et le bébé en gesticulant vient déposer un peu de saleté sur le pantalon de Léa qui entre dans une rage folle.

-          Merde, merde, merde. Mon pantalon. J’ai fait des heures de baby-sitting, moi, pour me le payer et voilà, une grosse tache en plein devant. Je te déteste Mia, tu es, tu es…

Le bébé, ayant désormais les fesses au propre et au sec la regarde avec un sourire sans dents des plus charmant. Léa ne peut pas résister.

-          Oui, ma petite Mia. Excuse-moi. C’est vrai que, finalement, c’est toi la plus cool dans cette famille de…

Léa est sortie de son monologue par Vincent et Théo qui reviennent de nouveau bredouilles.

Deux jeunes motards s’arrêtent sur le parking du restaurant. Ils retirent leurs casques. Le jeune homme et la jeune femme s’embrassent langoureusement avant de se diriger vers la terrasse du restaurant où ils savourent leur bière en amoureux en tapotant sur leurs téléphones mobiles.

Puis, sous les yeux de Vincent, de plus en plus stressé et dont les boyaux commencent à se tordre douloureusement tant il imagine que le pire soit arrivé à Christine, ils repartent en empruntant le chemin de terre pour une petite virée campagnarde.

-          C’est beau l’amour dit Théo, pensant détendre l’atmosphère qui commence à être pesante.

Cette phrase a pour effet de déclencher une crise d’angoisse chez Vincent qui s’en prend aux enfants.

-          Elle en a eu marre maman, voilà, marre de vous, de vos commentaires, de vos attitudes de petits enfants gâtés. Elle est partie, elle nous a plantés là par ce que vous êtres des petits ingrats, c’est tout.

Apeurée par les cris de son père, Mia se met à pleurer.

-          Et merde. Viens mon bébé, viens, Maman va revenir bientôt.

Les deux plus âgés ne disent plus rien et Théo vient se coller sur sa grande sœur qui ne le repousse pas. Une odeur de couche souillée vient envahir l’habitacle.

-          Ouatch, ça pue. C’est la couche de Mia. Donne, je vais aller la jeter.

Théo part en courant vers la poubelle située non loin de là.

-          Pas si nul le frangin, il a des bons côtés. Mais bon, parfois, il est vraiment tuant, songe Léa alors que Vincent fait les cent pas avec Mia dans les bras.

Théo revient vers la voiture. Mais, cette fois-ci, exceptionnellement, il marche. Il semble anéanti. Sa maman a disparu et il ne trouve plus ça drôle du tout.

***

Plusieurs autres longues minutes se sont écoulées lorsqu’une ambulance traverse, tous gyrophares allumés et sirène hurlante, le parking du restaurant pour s’engager à vive allure dans le chemin de terre.

Vincent blêmit.

Il donne Mia à Léa, monte en voiture et démarre sur les chapeaux de roues pour suivre l’ambulance.

Dix mètres plus loin, il freine brusquement.

-          Descendez tous. Vite. Descendez et attendez-moi ici.

Les enfants ahuris tentent de protester.

-          Mais, pourquoi ? Si maman…

-          J’ai dit : vous descendez et vous m’attendez ici. DÉPÊCHEZ-VOUS. Si maman, si maman… justement s’il est arrivé quelque chose à maman, je préfère que vous ne soyez pas en première ligne. Mais, bon, ah, ah, il n’est rien arrivé, ah, ah, ah.

Vincent termine sa phrase dans un petit rire nerveux angoissé et grandement angoissant. Les enfants n’insistent pas plus et descendent.

La voiture repart soulevant un gros nuage de poussière.

Léa, soudainement devenue très responsable, avec sa petite sœur sur le bras et Théo à la main se dirige vers un arbre sous l’ombre duquel, telle une petite maman attentionnée, elle s’occupe de la marmaille.

Le vieil homme se balance tranquillement sur sa chaise, ne semblant pas percevoir l’agitation de la famille Picard. Il sourit en observant les enfants.

Théo le regarde à son tour et, ne sachant que faire pour passer le temps, se dirige vers lui lorsque celui-ci lui tend un magazine de Pif Gadget.

-          Merci Monsieur, dit Théo.

-          De rien, petit. J’aime beaucoup les enfants, tu sais.

Théo sourit timidement et repart au plus vite vers Léa. Il n’est pas certain d’apprécier ce vieux bonhomme… mais le magazine, lui, est super.

-          T’as dit merci Théo?

-          Ben oui, bien sûr. Fais pas comme maman, elle est pas encore morte. T’es chiante de toujours commander.

-          OK, OK. J’ai rien dit. Je vais aller voir s’il peut garder un peu Mia pendant que je vais voir ce que fait papa.

-          Heu, non Léa, c’est pas une bonne idée. Papa et maman, ils voudraient pas.

-          Pourquoi? Ils laissent souvent Mia à la voisine quand ils ont des urgences.

-          Oui, mais, là, c’est pas pareil. On le connait pas ce bonhomme.

-          Il a pourtant l’air gentil. Mais, t’as raison. Tu vas garder Mia et je vais aller voir papa.

-          Ah, non, c’est pas juste, se défend Théo.

-          Bon, alors je vais demander au bonhomme sur la chaise et t’as rien à dire. OK, minus? lance Léa triomphante.

Théo, vexé, plonge dans son magazine en marmonnant : toujours pareil… madame je sais tout… gnan, gnan, gnan…

Léa s’approche du vieil homme qui accepte volontiers de servir de baby-sitter et prend délicatement Mia dans ses bras. Le balancement de la chaise semble convenir à Mia qui ne tarde pas à fermer ses petits yeux.

***

Vincent suit l’ambulance qui s’immobilise environ 300 mètres plus loin. Il bondit de la voiture et s’approche des ambulanciers qui sont proches de Christine allongée par terre inconsciente. Les deux jeunes motards sont sur le côté, se demandant s’ils doivent rester ou partir maintenant qu’ils ont donné l’alerte. Les ambulanciers placent Christine sur une civière et la transportent à l’intérieur de l’ambulance, mais celle-ci ne démarre pas. Les deux jeunes demandent :

-          C’est votre femme?

Vincent ne peut pas répondre, sa gorge est nouée, ses yeux sont rouges.

Les deux jeunes estiment qu’il est temps pour eux de partir. Ils enfourchent leurs motos et quittent les lieux.

Vincent attend pendant de longues minutes que quelqu’un lui donne des nouvelles de Christine. Il voudrait retourner auprès des enfants, mais pendant ce temps-là, l’ambulance pourrait partir. Il ne sait plus quoi faire.

Puis, la porte s’ouvre et une Christine un peu pâle, mais debout et bien consciente, sort de l’ambulance accompagnée des ambulanciers.

-          Bon, ben, plus de peur que de mal. Rien de grave, mais il faut vous reposer ma p’tite dame.

Puis, se tournant vers Vincent, un ambulancier demande :

-          Vous êtes le mari?

-          Heu, oui.

-          C’est pas sérieux ça Monsieur, laisser votre dame enceinte marcher seule sous un soleil pareil. Enfin, portez-vous bien et soyez heureux!

L’ambulance démarre.

Christine sourit.

Vincent, lui, est interdit.

Quelques instants se passent où le temps semble s’arrêter.

Chacun oscille entre l’immense joie de cette grande nouvelle, mais aussi la peur des dernières minutes et l’incompréhension, la surprise. Pourquoi Christine n’a rien dit?

De son côté, Christine semble appréhender la réaction de Vincent qui finalement la serre dans ses bras, fort, très fort, si fort que…

-          Hey, doucement mon amour, tu vas l’écraser!

Vincent et Christine éclatent de rire, un rire généreux auquel viennent se mêler quelques larmes de joie, de soulagement. Cela fait du bien.

-          Léa s’occupe des petits. Viens t’asseoir. Pour une fois.

Vincent ne réalise pas que les enfants, eux, sont toujours dans l’attente des nouvelles de leur mère. Il est tout à ce moment de complicité avec sa femme.

-          Pourquoi tu ne m’avais rien dit?

-          Tu voulais tellement partir pour ce stage en Afrique que je ne voulais pas que tu culpabilises et que tu annules. Je sais que si tu sais que je suis enceinte, tu ne partiras pas, tu voudras rester avec moi. Mais, je peux passer quelques semaines seules. Tu as aussi le droit d’avoir tes passions et tes activités juste pour toi. Tu en fais tellement pour moi, pour les enfants. Tu ne penses pas à toi, alors moi je le fais, parce que… je t’aime!

Vincent ne peut pas répondre, il ne peut qu’embrasser sa femme avec ardeur, un baiser magnifique qui…

-          Maman! T’étais où? On a eu peur!

Les enfants, n’en pouvant plus d’attendre, arrivent en courant au bout du chemin.

Les amoureux devront patienter…

Mais, Christine et Vincent sont si heureux de tous les voir arriver qu’ils se lèvent pour leur tendre les bras. La famille est réunie et tous se serrent tendrement, tous sauf que… Léa n’a plus Mia dans les bras.

-          Où est ta sœur? Léa, où est-elle?

-          Ah, Mia, je l’ai laissée au monsieur là-bas, celui qui est assis sur la chaise, il a dit qu’il aimait beaucoup les enfants et comme ça, moi je pouvais aider Papa parce que tu sais ma petite mamounette d’amour, j’étais vraiment inquiète. Je suis tellement heureuse de te revoir.

Léa s’approche de sa mère pour la serrer dans ses bras, mais Christine, le visage tendu est reparti au pas de course vers le restaurant. Vincent et les enfants lui emboitent le pas. Chacun ne sait plus trop quelles sont ses émotions. Est-ce que tout va bien? Est-ce que tout va mal? On avait peur pour Christine et, finalement, ce n’était pas si grave. Ce sera assurément pareil pour Mia, aucune raison de paniquer… et pourtant… envahis par la panique, tous se mettent à courir vers l’auberge.

En arrivant sur le stationnement, leurs craintes se confirment. Il n’y a personne. Le vieil homme n’est plus là, sa chaise est vide.

Vincent se précipite pour entrer dans l’auberge.

Sur la porte du restaurant, un écriteau indique « FERMÉ ».

Où est Mia?

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