État des lieux

jezzabel

Hier, une histoire de murs...

État des lieux

Lorsque mon homme me fait une surprise, c'est qu'il a oublié le repas dans le four et que ni l'odeur de brûlé ni les détecteurs de fumée devenus obligatoire on se demande bien pourquoi, ne le ramènent à la réalité. Donc comprenez ma stupéfaction lorsqu'il m'annonce qu'il nous a trouvé un petit nid, notre foyer, la maison de nos rêves. Bien sûr, j'ai peur, lui qui ne prend jamais d'initiatives, pire encore, il a déjà signé les papiers et je vais tout découvrir le jour où nous aurons les clés.

Horreur, malheur et tout commence dans la douleur !

Un secteur sans grand intérêt, du bruit dans les allées, une porte des plus abimées.

L'agent me demande de ne pas me fier à ma première impression, c'est vrai que le coup de cœur ne se produit jamais durant les quatre-vingt-dix première secondes, il faut plutôt m'attarder sur le « standing » qu'offre ce bien. Mon homme me scrute silencieux.

La maison est grande et lumineuse, un peu trop puisqu'on voit les sols abimés, les murs craquelés.

L'agent me dit de ne pas être rebutée que ce n'est que de la déco, un petit rafraichissement suffira à faire du contemporain et que contrairement à ce que je pourrais penser, la maison n'est pas vieille, elle a du « cachet ». Mon homme lui fait comprendre que ça ne sert à rien de discuter avec moi dans ces moments-là.

Les pièces s'offrent les unes après les autres, des chambres qui ne sont que des bureaux, des salles de bains qui ne sont que de douches. Une cheminée hors d'usage, une « cuisine » enfin une arrivée d'eau.

L'agent se décompose et me propose, bien que ce soit lui qui ait besoin de prendre l'air, d'aller dans la cour intérieure, petite mais avec beaucoup de charme. Mon homme cherche ma main qu'il ne trouve pas.

Un extérieur de pierres apparentes et de nature sauvage, tout est en friche.

L'agent transpire, il est même angoissé en me tendant les clés. Mon homme sourit.

Pourquoi ? pense-t-il, effaré.

Parce que mon homme me connait, il sait que je m'adapte à tout et que tout le monde dans le quartier me parlera dans deux semaines. Il a compris que cette porte sera parfaite pour notre chaton qui fait ses griffes partout. Il lutte avec ma folie de la décoration atypique mais reconnait que cette maison sera ma plus belle création. Dans ces pièces sans doute trop petites, il voit mon atelier de peinture, mon boudoir pour lire et un autre pour écrire, et notre chambre à coucher bien sûr, à côté d'une cheminée ornementale. Il imagine déjà, la superbe cuisine dans laquelle je lui ferai de bons petits plats et de douces pâtisseries pour entretenir ses poignées d'amour. Et l'extérieur, ce petit bout de verdure en pleine ville, ma bulle d'air, mon cocon.

Et il a raison, à l'extérieur, j'ai répondu aux sourires des voisins. En entrant, j'ai su la difficulté d'ouvrir la porte avec un boudin de bas de porte poilu et dodu. J'ai vu sa confiance en ma démesure face à un débordement de créativité que je pourrai mettre sur les murs. J'ai choisi mon bureau où sera lové mon vieux chat, une chambre d'ami qui sera à son grand désarroi souvent remplie. J'ai senti l'odeur d'un repas mijoté. Et j'ai vu tout ça, du fond de mon jardin, un rayon de soleil sur le visage, une odeur de thé dans le nez et un sourire aux lèvres.

Depuis nous avons déménagé et acheté ensemble, une maison parfaite. Je suis toujours aussi pénible et je n'ai pas pour autant appris à lui faire confiance, encore trop de problèmes avec le four ; mais il est toujours aussi patient que le jour où cet agent nous a confié les clés d'un logement parfait.

Moralité cher agent immobilier, vous qui avez un métier si particulier, qui subissez de nombreux clichés, qui jonglez entre détails techniques et moments magiques, entre génie à la langue bien pendu et discret qui préfère la planquer, difficile de trancher. Cependant, vous savez que dans votre métier, Madame tranche et Monsieur paie, vous êtes bien conscient que nul ne sert de broder, chacun trouve chaussure à son pied et toit sur sa tête.

Quand le charme opère, c'est que vous avez du savoir-faire, merci de nous aider à trouver un foyer où il fait bon se retrouver.

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