Eternal life
jones
Il était midi, j’en avais marre de la plage, de la chaleur et du monde alors je suis rentré. J’ai laissé cette lande de sable coincée entre la route et les rochers, les parasols formant des champignons multicolores et le soleil écrasant tout et tout le monde. Les nuages décoraient le bleu de la mer et du ciel.
J’ai glissé un CD dans l’auto radio. La voix de Jeff Buckley s’est mise à battre des ailes contre la tôle comme une hirondelle piégée dans un nid en ferraille. Elle grimpait, folle enluminure, patiente et colorée, creusait des nefs dans l’habitacle, m’ouvrait le ciel. Je pouvais la voir monter dans les airs, redescendre, se transformer en eau claire, en étoile filante. Je la sentais depuis mes chevilles jusqu’à mon crâne, sa danse laissant mon cœur épuisé d’avoir voulu la suivre.
C’était comme si elle avait avalé mon fantôme, comme si elle avait digéré mon âme. Une partie de moi était enfermée en elle et m’aimantait de l’intérieur. J’ai passé le trajet du retour le cœur entre deux eaux.
Eternal life is now on my trail
Got my red glitter coffin man, just need one last nail…
La chaleur déformait toute la ville. C’était bientôt mon anniversaire et je n’avais pas envie d’y penser. Je songeais à tout et à rien, à la côte, à la route qui longeait tranquillement les immeubles et la mer. Les murs n’étaient rien d’autre que des murs, la route rien d’autre qu’une route et les gens rien d’autre que des gens. La vie ressemblait à elle-même : longue, sinueuse et terriblement elle-même.
J’ai garé la voiture sans effort, attrapé mon sac avec mes affaires de plage et je suis monté chez moi. Chaque heure qui passait sentait le vide, le jour sans comme on dit, mais un jour sans quoi, au fait ? Un jour sans pensée, un jour sans fin, un jour qui ressemble à un autre jour mais pourtant sans frère, un jour sans lendemain, ou bien était-ce un jour qui ne ressemble à rien, un jour de grève générale des sentiments, un jour sans saint dans le calendrier.
Pas même le temps de répondre à la moindre de ces questions que je me suis retrouvé dans mon canapé. Une mauvaise techno dégouline des enceintes. Arpèges de claviers et beat métronomique, voix éthérée et répétitions. J’essaie de regarder un film, une émission qui me sorte de tout ça. Rien. Je prends un bouquin laissé là. Rien non plus. Tout dort autour de moi, tout dort. Alors, je décide de ne rien tenter, de laisser aller. Je repense à cet été, à cette façon qu’elle a eu de me manger sans rien me dire.
Where is love, where is happiness, where’s life, where’s peace ?
There's no time for hatred, only questions
When will i find the strength to bring me release
J’ai pensé et je suis forcément repassé par les mêmes chemins, mille et une fois, les plis du passé. Avec le même résultat : elle et moi mais avec elle, son moi sans mon moi. J’étais déchu, mon moi déçu, sans terme échu. Elle, son corps là et moi, mon corps las. J’ai pensé et repensé mais rien n’y a fait.
You better turn around and blow your kiss goobye to life eternal, angel.
Interpelée par le titre de ton texte, j'espérais bien y trouver une référence à Jeff Buckley... Bravo pour l'envolée lyrique de l'hirondelle en ritournelle entêtante. J'ai aimé merci. CDC
· Il y a environ 12 ans ·E.L.Y
Ravi de te relire ici ! Ce sera mon coup de coeur matinal.
· Il y a environ 12 ans ·Très bon moment de lecture : style impeccable, descriptions au point, vraiment bien ficelé. Me manque plus qu'un morceau de musique...Je vais bien finir par en trouver un, puis je relirai le texte.
Mathieu Jaegert