Etre ou ne plus être ?

capsalixstan

Etre jalouse ? Ne plus être. Dépossession de soi, négation de l'être aimé. 

Infernale triangulaire du cercle entre deux intimes et un fantôme, que l'un voit, et l'autre pas. Un être évanescent qui se nourrit de la confusion des sentiments, qui grandit de l'asymétrie des perceptions. Il nait pour l'un quand pour l'autre il n'est pas.

 

Au commencement est un constat justifiable, justifié :

« Toutes les femmes le convoitent, tentent de le séduire, les occasions sont infinies, comment pourrait il résister ? Il serait un surhomme, hors norme. »

Un climat instable, perturbé. La moindre brise provoque tempête. Le nez au vent, l'amoureuse devient chasseur et l'amoureux, chassé.

« Il est distrait ? Il pense aux autres, à l'autre, quelle Autre ?

Il se fait beau ? Il veut Lui plaire.

Il est contrarié ? Il n'a pas pu La voir aujourd'hui.

Il est heureux ? Il La verra demain. »

 

Ce qu'il est, ce qu'il fait, ce qu'il dit… sans cesse remâchés, remaniés, réécrits, sous la lourde plume de la jalousie.

Dans ce miroir où tout est déformé, il n'existe plus. Il est désincarné, il devient ce qu'elle voit de lui. Elle réinvente pour son double actions, pensées, sentiments. Elle ne le regarde plus, elle l'épie. Elle ne l'écoute plus, elle cherche le mot de trop – qui trahit – ou le non-dit – qui dissimule.

Elle ne pense plus à lui, mais à l'Autre, celle qui est avec lui.

Il n'est plus son amour, il est son coupable.

 

Trouble, doute puis certitude. Un processus lent, insidieux, qui subitement se révèle : tous les éléments se complètent, s'imbriquent, se corroborent pour donner raison à la jalouse.

 

Les griffes qui s'emparent du corps et labourent son cerveau. Impuissant à combattre la morsure des entrailles. Impuissant à dominer les affres du cœur. Surpuissant pour fouiller, analyser, être sûr de ne rien manquer. Et jamais en repos. Toujours une explication à l'absence de traces.  « Il est prudent, il est vigilant. » 

Il n'est jamais innocent. L'innocence ne se prouve pas, elle ressort en creux, par absence de preuve. Elle ne se démontre pas. Autrement que par l'absurde.

Absurde, ce désir errant, fouinant, sans cesse affairé, jamais rassasié, qui cherche et recherche la faute, l'erreur, l'oubli ; la preuve incontestable, irréfutable qu'elle a bien le droit et la raison d'être jalouse.

 

Une quête sans fin, une aliénation permanente qui mènent à des humeurs erratiques, instables, des actes et des manigances pour trouver l'introuvable, déceler l'indécelable. Ne plus vivre l'instant, concentrer ses forces pour enquêter sur son passé, ses derniers jours, ses dernières heures et anticiper ses lendemains, après-lendemains, mois prochains.

Imaginer, enquêter, traquer. Maîtres mots de son quotidien, gouvernails de sa vie.

 

De ne plus être soi à ne plus être pour Lui, il n'y a qu'un infime pas que la jalouse s'empresse de sauter, sur les traces d'un fantôme qui apparaît puis disparaît. Elle chute à sa suite dans un gouffre abyssal, privée de lumière, privée de sons…

… Et finit par ne plus pouvoir lire, sentir les regards éteints, les moments de tristesse, les gestes suspendus de l'être aimé. Ne plus entendre ses silences, ses absences. Ne plus rire ensemble, ne plus parler.

 

Dans ce brouillard de tentations inventées, de réactions interprétées, d'absences injustifiées, sous la loupe malvoyante – malveillante - de la jalousie, ne plus voir celui qu'elle aime, devenir aveugle à ses attentes, ses angoisses, ses frustrations, son appétit d'un nous. Elle oublie qu'il avait une femme dans sa vie, que cette femme l'a quitté, a basculé de l'autre côté du miroir pour le regarder vivre, déformé. Elle oublie que cette femme a disparu, qu'elle s'est faite disparaître, pour en inventer une Autre.

 

Et puis, un jour, l'entendre dire :

-       «  Tu es absente, distante, depuis trop longtemps. Le lien qui nous unissait s'est distendu, s'est rompu, je t'ai perdue. Notre vie à deux n'est plus, je te quitte. »

Et lui répondre d'une voix qu'elle ne reconnait pas :

-       « Pour une autre ? »

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