Etre soi.

Faire opposition à la dictature d'autrui, c'est déjà lui donner beaucoup d'importance.

Comment penser soi-même ce que l'on veut être, on est bien seul dans cette affaire.

Peut-on vraiment se « faire tout seul », comme diraient certains vantards qui n'ont pas peur du ridicule.

Se trouver des maîtres pour les imiter, et pourquoi pas les dépasser un jour.

Tout est question d'ambition, et déjà les statistiques socio-culturelles, ami poète bonsoir, vous laissent peu d'espoir.

- Tu seras maçon mon fils, comme moi et tes ancêtres !

- Chéri, notre fils aime jouer du piano, nous sommes au XXIème siècle !

- Mon amour, je ne suis pas si couillon, c'est comme croire que la Révolution a changé quelque chose.

- Laisse-lui sa chance si tu veux son bonheur.

- « Chance », « bonheur », en voilà des foutaises.

N'as-tu pas toujours rêvé de devenir écrivaine, enfin auteure ou autrice, on ne sait plus trop ce qu'il faut dire aujourd'hui.

- C'est vrai, mais ce n'est pas une raison pour décourager mon fils.

- Notre fils aura alors sa part de regrets et de frustration et la vie qu'il mènera ne sera qu'un pis- aller.

- Tu penses que notre situation sociale est plus forte que son talent.

- Il y a bien longtemps que je ne pense plus rien, mais tu as bien résumé la chose.

- Tu est devenu un vieux, cynique et aigri.

- « Vieux » je te l'accorde, c'est le lot de chacun, mais ni cynique ni aigri, je dirais plutôt sage.

Je suis bon dans mon métier, même si je n'exerce plus, beaucoup de jeunes me demandent de les conseiller, il y a de quoi être fier et, j'ose dire, heureux.

Ton fils va s'abîmer d'audience en audience, comme une bête de concours.

Pourra-t'il supporter toute cette faune d'Ancien Régime dont la plupart n'auront pas un centième de ses talents ?

Je lui apprendrai un vrai métier et lui conseillerai de fonder un groupe qui atteindra la gloire, ou pas,     pour peut-être lui permettre d'en vivre.

Mon fils aura des racines et un tronc solide, s'il maîtrise les gammes et plaît au plus grand nombre, tous ces fossoyeurs qui sentent la naphtaline iront fêter sans joie leur inconsistance.

- Mon père, je n'ai rien dit jusque là, et je ne vois rien à redire a tout ce que tu as dit.

- Oh la la,  ta mère pourrait t'aider pour le style.

- Et je n'en doute pas, vous êtes mes racines et la source qui les nourrit.

- Bon les gars, vous allez ailleurs, comme je n'épluche pas les oignons je ne voudrais pas devoir expliquer …

- OK, n'en dis pas plus ! Alors fiston on la commence cette chambre d'hôte, pour mettre du beurre dans les épinards. N'oublie pas que tu pourrais rester longtemps avec nous, enfin on l'espère.

- Papa j'arrive, je reprendrai mes gammes à 16 heures.

- 18 heures, faut pas abuser non plus.

- 17, c'est ma dernière offre !

- D'accord, demain on négociera l'heure du matin.

- Le petit déjeuner sera agité.

- Tu l'as dit mon gars.