Être un modèle

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"Il faut montrer l'exemple" disaient Papa, Maman - Photographie: François Dourlen

Petit, on veut toujours tout faire comme les grands. On veut boire dans des verres qui cassent, manger avec une fourchette et un couteau qui coupe vraiment, regarder la télévision avant d'aller dormir, conduire la voiture comme Papa. Quand on a en plus la chance (ou pas) d'avoir des grands frères ou des grandes sœurs, on veut leur ressembler.

Je voulais être maquillée comme elle l'était, des paillettes sur les paupières et du rouge à mes doigts, quand il n'était pas sur ses lèvres. Je voulais avoir des jolies boucles d'oreilles comme elle en avait, des qui brillaient. Maman avait dit que j'étais encore trop jeune pour me percer les oreilles. Trop jeune pour me maquiller aussi, sauf quand elle était de bonne humeur pour les grandes occasions, comme Noël ou mon anniversaire. Ces fois-là j'avais le droit à deux trois paillettes et du vernis sur mes ongles. J'adorais ça. C'était un peu comme si j'avais enfilé mon costume de princesse. 

Quand j'allais dans sa chambre, je restais bouche bée sur toutes ses affaires de grande. Son bureau rempli de papiers, de tout un tas de choses que je ne comprenais pas. J'aimais bien écouter la musique qu'elle passait sur sa chaîne hi-fi noire toute neuve. C'était U2, Louise Attaque, R.E.M, Kyo, Gérald de Palmas, Police. Un peu de tout, et je ne faisais pas vraiment la différence. C'était la musique de grande sœur, et j'aimais bien. Dix ans après, j'écoutais la même chose. Indémodable. 

Je la suivais partout, tout le temps, et j'adorais quand ses amis venaient à la maison, je me sentais grande, même si elle n'aimait pas ça, même si je sentais bien qu'elle mourrait d'envie de me virer de la maison. M'enfermer dans ma chambre avec mes Barbie et mes Polly Pockets.

Mais pourquoi elle me suit partout, pourquoi elle veut me ressembler, pourquoi moi? Si elle savait tout ce que j'aime pas, tout ce que je souffre, tout ce que j'ai mal. Si elle savait comme c'est nul d'avoir cet âge-là. C'est vraiment pas cool d'être adolescente. On s'engueule toujours avec Papa Maman. Et Lui, qui ne veut pas de moi. Et tous mes moments de "bad" le dimanche soir. Toutes mes crises de larmes. Quand je mets la musique à fond dans mes oreilles pour ne plus entendre ces pensées hurlantes du fond de mon cerveau. Quand je suis une bonne à rien. Je ne vaux rien. Je ne sais même pas ce que je fais là. Pourquoi je suis née d'ailleurs? Merde, y'a rien à voir ma grande, retourne à tes poupées, ma vie n'est pas mieux que la tienne.

J'adorais son parfum. Le parfum de ma sœur. Je crois que c'est un peu "ma madeleine de Proust". Il emplissait sa chambre toute entière. Je le retrouve parfois, à certains endroits. Je m'arrête et j'essaye de faire de mes poumons le réservoir des odeurs de mon enfance. Mais son parfum est déjà parti, mes narines oublient déjà ce qu'il sent. Je n'ai jamais su le décrire d'ailleurs. Alors personne ne peut m'aider à le retrouver.

Quand je la voyais, sur ses talons hauts compensés, sa petite salopette en jean et ses paupières colorées de mauve, j'avais le sourire jusqu'aux oreilles. Je voulais être comme elle. Elle était si jolie. Elle a toujours été belle. Même aujourd'hui, quinze ans plus tard. Elle a ces yeux bleus qui vous font chavirer, un sourire à tomber et de magnifiques cheveux blonds entourant son visage. Je lui ai dit de nombreuses fois mais chaque fois elle trouve quelque chose qui ne va pas. 

Je dois maigrir. Regarde, j'ai des boutons. Mes yeux ne sont pas de la même taille, si, je te jure. Oh, non, j'ai encore pris 500 grammes. Faut que je me remette au sport. C'est quoi ces fringues, on dirait que je fais dix kilos de plus?! Ma peau est sèche, toute abîmée. Faut que je l'hydrate, mais regarde ce que ça fait.. C'est moche. J'suis moche. Puis faut que j'me rase, que j'm'épile toutes les trente secondes j'ai l'impression. Depuis que j'ai un copain, je passe trois heures dans la salle de bain. Et j'ai toujours un truc qui va pas. Regarde ma tête.

Me voilà aujourd'hui à dix-huit ans et elle bientôt trente, et cette sœur à qui j'ai tellement voulu ressembler petite, en fait, je veux toujours lui ressembler. Même si j'ai ma personnalité, mon caractère, mon physique, sur lequel je trouve toujours quelque chose à redire d'ailleurs, j'aurais aimé être comme elle. Sans ses petits défauts. J'aurais aimé être parfaite. 

Je comprend bien maintenant ce qu'elle pouvait ressentir. Alors que j'ai failli ne jamais le comprendre, mon père s'est remarié et m'a fait une petite sœur. Une qui me suit partout, qui aime mes amis, qui veut faire comme moi. Je la maquille pour Noël. Je lui fais écouter ce que j'aime. Même si j'évite de lui mettre Damien Saez dans les oreilles, quoi que ça pourrait m'éviter de lui dire que mon Ipod n'a plus de batterie quand j'en ai marre de lui prêter.

Je comprend maintenant quand elle tirait la tronche, les dimanche soirs. Quand elle se plaignait devant le miroir. J'ai aussi eu envie de lui dire, à ma petite princesse, que ma vie n'était pas meilleure que la sienne. Que c'est nul d'avoir quinze ans. Mais il faut montrer l'exemple, selon Papa, Maman. 

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