Evolution (chap 16)

Daniel Macaud

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Le cube se déroula à nouveau au contact de la paume d’Androucha. Le contact froid de l’acier sur sa peau grise se fit en un instant. Elle se retrouva à nouveau dans ce cocon d’acier qu’elle apprenait à maîtriser. Déjà, elle savait que son casque avait des fonctions de scan, de visée et vision de nuit. Elle avait aussi un viseur infrarouge à sa disposition, mais n’avait pas eu l’occasion de s’en servir. Son canon plasma s’activait sur une simple pression de son doigt. Son propulseur dorsal semblait réagir à sa volonté, et d’ailleurs, au fur et à mesure que le temps avançait, il lui semblait que toute l’armure obéissait à ses pensées. Braid avait raison, cette armure devait être plus ou moins vivante.
 
Elle prit le couloir de gauche, et se retrouva vite dehors. Première chose à faire, s’assurer que personne ne l’avait vu sortir. Elle passa les alentours au detecteur de chaleur et soupira. Personne. Elle se mit en route vers la montagne. Elle avait à peine fait trois pas qu’elle stoppa net. Un terrien, juste devant elle, qui sortait de terre comme un diable hors de sa boite. Reflexe immédiat de survie, elle se jetta sur le côté. Le terrien fit de même et tous les deux ajustèrent leurs armes. Tuer ? Vraiment ? Avait-elle le choix maintenant ? Pouvait-elle être certaine que ce terrien ne l’avait pas vu sortir des souterrains ? Entre des centaines de mutants et un humain, le choix était fait. La charge de plasma déchira les chairs, les tripes, et brula les os. L’homme tomba, mort. Elle s’approcha. Pourquoi tant de violence ? Pourquoi ? Aucune réponse. Aucune valable. Elle ramassa l’arme du mort et se remit en route.

***


Il marchait prudemment dans le noir. Il ne connaissait pas les environs, et surtout, il craignait qu’un de ces terriens ne soit dans les parages. Merks ne savait pas trop quoi penser du groupe de survivant. Il ne savait pas quoi penser de lui non plus.

- Il y a deux jours, pensa-t-il, j’aurais applaudi la mort d’un de ces démons de mutants, et aujourd’hui, je ne reconnais même plus les miens ! Je suis prêt à pactiser avec des mutants, pour combattre des humains ! En même temps, ce sont des humains de la Terre, et ils nous ressemblent pas du tout ! Mais bon... Des mutants... Si Androucha leur remet son armure, ils partiront... Je ne crois pas. Moi je ne partirai pas, je donnerai libre cours à mon envie de tuer, surtout si c’était des ennemis que j’aurais déjà plus ou moins massacrés !

Merks réfléchissait en même temps qu’il descendait la montagne, espérant retrouver l’endroit où il avait vu Androucha la dernière fois. Comment allait-il la convaincre de l’aider ? Il ne le savait pas. Mais il allait le faire quand même.

***


Un vague hurlement avait retenti quelques minutes après que les deux prisonniers aient été relachés. Stago n’avait pas su en identifier l’origine, mais il espérait que c’était les cris de désespoir des mutants. Avec les deux hommes de l’unité d’élite, il attendait sagement le retour des autres. A côté d’eux, le cadavre de l’autre mutant commençait à sentir mauvais.
- Il faut pas qu’on reste ici, fit l’un des hommes, on va attirer les charognards.
- C’est bien ce que j’espère, répondit tranquillement Stago.
- Hein ?
- D’après vous, ca bouffe quoi un mutant  ? Vous avez été en cours ou quoi ?
- Alors...
- Alors ils vont venir, attirés par l’odeur, comme des charognards qu’ils sont. Ils se bouffent entre eux.
- Ce sont des rumeurs de religieux ça...
- C’est la vérité ! Hurla subitement Stago.
- Bon ok ! Te fâche pas. On fait quoi ?
- On attends. On patiente. On se réjouit de la mort prochaine de l’ennemi du seigneur.

Les deux autres ne dirent rien. Ils se regardèrent dans le noir, sans se voir vraiment, mais ils savaient pertinemment ce que chacun pensait: Encore un cinglé qui finirait général !

***


Le colonel n’arrivait pas à dormir. Pourtant, dans son croiseur, tout allait pour le mieux. Cette histoire d’humains et d’armure le torturait. Pourquoi ? Pourquoi prétendre être humains ? Et si... C’en était vraiment ? Il décida de se lever, histoire de faire un tour, un genre d’inspection de routine. Les capitaines de vaisseaux pouvaient faire ça non ?

Lui n’était que colonel d’escadron. Une promotion pour ses excellents états de service. On lui avait confié cette mission de routine. Normalement, seuls les commandants de la marine supérieure avaient la charge de croiseurs de guerres. Lui, il était colonel d’escadron. Il était fier de sa promotion. Si, en toute logique, un colonel est plus gradé qu’un commandant ou un capitaine, il fallait aussi compter avec la marine d’escouade, et la marine supérieur.

Avec la conquête spatiale, une nouvelle unité militaire avait vu le jour. La marine supérieur. Au fil des années, elle avait pris la supériorité hiérarchique sur la marine “normal” renommée marine d’escouade. Cette emprise hiérarchique devint totale, sur toutes les armées, quand, après la seconde guerre nucléaire, tous les pays du monde, du moins ceux qui restaient encore debout, ceux avaient encore des citoyens, décidèrent de se rassembler en une seule nation, afin de combattre les mutants, devenus une menace pour les humains. il y avait donc la marine supérieure, qui dirigeait les trois autres corps d’armée: la marine d’escouade, avec ses escadrons, ses patrouilleurs, l’armée de terre, avec ses unités tactiques d’assaut et de reconnaissance, et les unités d’elites, ainsi que l’armée de l’air, avec ses chasseurs, et ses traqueurs.

Tout à ses pensées de gloire et de reconnaissance militaire, il inspectait son vaisseau. SON vaisseau. Cela lui faisait toujours étrange de dire cela, il allait devoir s’y habituer ! Si la mission était couronnée de succès, et qu’il revenait avec cette armure, la promotion serait immédiate: Commandant de la marine supérieure. Et ce vaisseau resterait le sien.

Il se retrouva à son bureau. Machinalement, il alluma son ordinateur, et compulsa les derniers rapports d’activités de l’unité d’élite sur le terrain. Contact repris avec l’ennemi. Contact visuel ou physique ? Aucune autre explication. Pas clair. Réglementaire, mais pas clair.

Tout aussi machinalement, il consulta les fiches des cinq hommes. De bons soldats. L’unité d’élite ne prenait que les meilleurs. Stago... Aucune fiche ? Le colonel se gratta la tête. il n’y avait aucune raison pour qu’un soldat n’ai pas de fiche. Aucune. Il allait devoir fouiller cet ordinateur pour trouver la cause de ce problème...

***


La montagne. Elle était maintenant au pied de celle-ci. L’ouverture qu’elle avait prise pour sortir était plus loin que celle qu’elle avait emprunté avec les deux mutants la veille, pour entrer. Question de sécurité. Elle continuait à passer les environs au scanner, s’attendant à tomber sur d’autres terriens. Personne. Elle continua, en direction de la grotte des humains, la seule qu’elle connaissait. De là, elle pourrait les pister et les retrouver dès la levée du jour.

***

Il était redescendu à la grotte. Des bruits de pas. Se cacher, vite. Il avisa le rocher derrière lequel s’était réfugié Stago avant de fuir. Il attendit, le coeur battant. Humains ? Mutants ? Terriens ? Sans arme, il était mort si cette dernière hypothèse se confirmait.
- Merks, un rocher n’a jamais empêché un detecteur de chaleur de fonctionner !

Il eut un soupir de soulagement. Androucha ! Il sortit de sa cachette. La silhouette familière se découpa dans la lumière blafarde des lunes.
- Tu n’imagines pas combien je suis ravi que ce soit toi.
- Content de me voir ?
- C’est toujours mieux qu’un terrien.
- C’est pas un compliment, mais toujours mieux qu’une insulte ! Tiens, fit-elle en lui lançant l’arme du terrien mort, ça te sera utile.
- Merci. tu l’as eu où ?
- J’ai tué un de ces terriens.

L’homme caché dans les bosquets sentit son coeur bondir dans sa poitrine. Son pote était mort ! Son frère d’arme venait de se faire assassiner ! Il leva son arme, ajusta son tir.

Androucha ne comprit pas tout de suite la signification du petit point rouge qui apparut soudainement sur sa visière. Ce ne fut que quand elle en vit un autre sur le front de Merks qu’elle comprit. Elle bouscula l’humain aussitôt, le jetant à terre, lui faisant ainsi éviter la balle qui alla éclater dans le rocher. Elle fit volte face et leva son arme. Où était-il ?
- Ca va pas non ! cria Merks.
- Tais-toi, je viens de te sauver la vie. On a de la visite.
- Où ? Je vois rien !
- Moi non plus. Ce n’est ps normal. MOn viseur devrait le voir... Je... Ah c’est ça le point rouge alors.
- Quel point rouge ?
- Sur ma visière. J’ai un radar qui m’indique la position des entités vivantes alentours.
- Parfait, descend le !
- Mais je le vois pas !
- Bon merde !

Merks saisit l’arme que venait de lui donner Androucha, et lacha une salve de balles droit devant lui en arc de cercle. Un bruit sourd. L’humain et la mutante virent apparaitre un corps qui tombait dans les buissons.
- Un camouflage optique ! Evidemment.
- Mais... Mon detecteur de chaleur...
- ne risquait pas de fonctionner ! Le camouflage optique absorbe les émissions de chaleurs des corps. Par contre, une visée infrarouge aurait mis en évidence cette absorption !
- Ah...
- C’est pourtant vrai que tu n’as pas l’habitude de te battre. Je croyais que tous les mutants étaient des sauvages aguerris aux méthodes de guérillas ?
- Et qui t’a raconté cette bétise ?
- Les cours de l’armée de terre !
- Vous êtes vraiment... Alors vous vous laissez manipuler sans rien dire, vous croyez tout ce qu’on vous dit ?
- Quand c’est un supérieur, oui. On a aucune raison valable de le mettre en doute.
- Et vous avez des raisons valables de le croire ?
- C’est notre supérieur !
- Evidemment... Bon. Ca en fait deux.
- T’en a déjà tué un ?
- Oui. D’après toi, elle vient d’où l’arme que je t’ai donné ?
- Logique. Bon. il en reste trois, avec Stago.
- Comment tu sais ça ?
- Un de mes hommes est revenu avec plein de sang. Il a assisté à la mort d’un des tiens.
- L’un des notres aussi.
- Il nous a dit qu’il avait vu cinq hommes. Donc, il en reste trois.
- Ça parait logique. Mais il y en avait combien à l’origine ? Je veux dire... Nos hommes ne les ont peut-être pas tous vu.
- Possible. Mais j’espère que si. On fait quoi maintenant ?
- Je ne peux pas demander de l’aide aux miens. La mort de ce gars passe mal. Ils pensent que je suis responsable.
- Le petit groupe de survivants ne veut pas entendre parler de demande d’aide aux mutants.
- Bon... Et toi ?
- Moi... Il y a deux jours je devais te tuer. Tu m’a sauvé la vie. à plusieurs reprises, je compte même plus...
- Et bien il y a eu le premier chasseur, celui de stago, ensuite, il y a eu l’attaque des terriens au pied de la montagne, et maintenant, ca fait trois. Sans compter que j’aurais pu te tuer, disons que ca fait quatre.
- Merci de tenir les comptes... Et le terrien que j’ai abattu, ca compte ?
- On commence un tableau de chasse, où on retrouve les autres ?
- Hey la mutante, ton caractère, tu peux le garder ! Au fait... Tu ne vas pas leur donner ton armure, hein ?
- J’y ai pensé. Mais... Apparamment, je suis la seule à pouvoir m’en servir.
- Tant mieux. Ne leur donne pas. Dieu seul sait ce qu’ils pourraient en faire.
- Oui, je sais...
- Elle vient d’où d’ailleurs cette armure ?
- Elle était dans l'entrepôt militaire de la ville 41.
- Je sais, on t’a tiré dessus quand tu t’es enfuie. Je voulais dire, elle arrivait d’où avant ?
- Je l’ignore. Je ne savais même pas que c’était une armure. C’était juste un cube pour moi au début. Quand je l’ai effleuré par mégarde, elle s’est réveillée, et m’a enveloppée. J’ai paniqué.
- Ah. Je comprends mieux ta fuite.
- Merks ?
- Oui ?
- Ce Stago, il faut vraiment le tuer ? Ces terriens, il faut vraiment les tuer ?
- C’est eux ou nous !
- Je sais pas...
- La mutante ! C’est eux ou nous ! Sinon, ils vont revenir, et toute l’armée cette fois.
- Mais si on les tue, ils vont revenir aussi, et avec beaucoup de renforts.
- On avisera. Il faudra les vaincre un par un. Il faudra se battre. Leur faire peur ça peut être efficace.
- Bon. On va récupérer les camouflages optiques alors. Prend l’arme et le camouflage de celui-là. Je vais chercher le camouflage de l’autre. On se retrouve ici même dans dix minutes. Je fais vite. Mais... Admettons: on retrouve Stago, on l’élimine, et après ?
- Après je sais pas. Après j’ai peur qu’on parte dans une guerre perdue d’avance. Seuls contre une armée entière ? Contre des centaines de chasseurs ? C’est foutu d’avance. Tu a bien vu leur puissance de feu. Ils ont rasé les quarante et une villes de cette planète en une journée !
- Oui je sais. Mais là... ils ne vont pas lâcher des missiles sur toute la planète sans savoir où frapper, si ?
- Non, ce serait du gâchis et tout-à-fait improductif. C’est pour ça qu’on doit éliminer Stago. Lui sait à peu près où nous trouver.
- C’est entendu. Et après...
- Après tu partiras. Je t’ai promis que je ne cherche plus à prendre ton armure. Maintenant, je veux surtout que ce Stago ne l’ai pas.
- Bien... Merci... Merks.
- Tous les humains ne sont pas des monstres... Androucha.

Elle s’enfonca dans la nuit. Merks soupira. Une mutante. La seule personne avec qui il pouvait vraiment parler. Etrange tout de même.

***


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