Extrait 2 : Et Dieu créa le sillon interfessier
Sandie Khougassian
Une silhouette étirée et creuse se dessina sur le seuil du magasin. Une sorte de Walking man passa la porte. L'homme était très âgé, ses pas lents accusaient un millésime mille neuf cent trente. Son teint était pâle presque vitreux, les veines couraient sur son visage comme les lignes bleues du Transilien SNCF.
Soit Alzheimer s'était calé dans ses souliers et je devais assurer sa redirection soit, j'allais lui vendre un chèque-cadeau pour l'anniversaire de son arrière, arrière, arrièreeeeeeeee petite fille. Quelle gourde !
– Monsieur.
– Bonjour, je voudrais savoir si vous faites des massages ?
– Oui.
– Et, c'est vous qui faites les massages ?
Le ton non voilé de sa question m'agaça, je lui jetai un NON à la gueule gros de trois cents kilos.
– Et, quel est votre petit nom ?
– Thiena.
– C'est joli Tina.
– Non Thiena. T.H.I.E.N.A. Bon, vous me demandiez la carte de nos massages ?
– Oui.
– Massage du dos, massage à la bougie, massage crânien, massage californien...
J'enchaînai alors sur la lecture hachée monocorde de nos massages, tel un robot humanoïde en exercice.
– Non, non, pas ça, vous faites des massages ? Vous savez, comme en Thaïlande ! Du body body ! Enfin, vous ne connaissez pas votre métier ? Je choisis d'abord la fille, la masseuse me lave complètement, ensuite, elle me masse TOUTE nue avec TOUT son corps et, elle...
À défaut de ne pouvoir lui couper la langue, je lui castrais, dans le vif, la parole. C'en était déjà trop.
Le rideau de peau pesant lourdement sur ses mirettes se leva brusquement. Ses pupilles se dilataient comme si la situation cocaïnait à haute dose les hémisphères de son cerveau. Le blanc de ses yeux était écarlate tel un prédateur sanguinaire d'un scary movie américain. Son petit mètre cinquante se déplia comme ravivé par l'électrochoc d'une non lointaine réminiscence. Et quel souvenir !
Dans son dernier périple érotico-exotique, le pépé n'avait pas fait que de la marche à pied. Pour le breakfast et l'apéro du soir, les madeleines de Proust étaient chargées de gingembre. Apparemment, son cœur n'avait pas lâché. Encore du sexe à l'huile de thé vert ! Mais il était hors de question que je balise le tarmac en Gaulle.
À Smileland, la prostitution, ce n'est pas moins de deux millions de Smilepeople dont trois cent mille Smileminors au service de l'industrie du sexe, soit entre 2 et 14% du PIB du pays selon l'Organisation internationale du travail (enquête menée en 1998) !
« Ne te retourne pas, ça ne te fera pas mal... », à vingt euros le trou, le royaume garde le sourire. Chaque année, huit cent mille touristes sexuels font le bonheur des voyagistes internationaux et des caisses publiques de l'État. Welcome au Pays de l'homme libre !
Sans remonter à l'origine historique ni au contexte socio-culturel de la pratique dans chaque pays, je dirais que nos politiques, qu'elles soient libérales ou non, jouissent allègrement de la mondialisation du cul. On ferme les yeux et on spécule sur le derrière du paupérisme...
J'étais terriblement mal à l'aise. Mes oreilles tanguaient. Une partie de mon cerveau bouillonnait de rage et l'autre donnait la nuance nécessaire à ce qu'il me restait de raison. Je n'allais tout de même pas cogner un p'tit vieux !
– Écoutez monsieur, je pense que vous ne frappez pas à la bonne porte. Nous ne pratiquons pas du tout ce genre de massage.
– Allez, dites-moi combien ? J'ai l'argent. Je peux payer ! Votre prix sera le mien. Allez, ne faites pas votre effarouchée. Ça me rend fou !
Le vieil homme sortit une grosse liasse d'argent de sa poche intérieure.
– Quoi !?? Vous devriez sortir immédiatement avant que je ne m'énerve pour de bon. Ne remettez plus jamais les pieds ici. C'est bien compris ?
– C'est comme ça que vous traitez vos clients ?
– Pardon, c'est une plaisanterie ???
– En tout cas, je ne vous félicite pas pour l'accueil ma p'tite demoiselle.
– Moi, je ne me félicite pas d'avoir à faire à des vieux salaces dans votre genre ! Au revoir monsieur.
Walking man capitula. Il tourna les talons et claqua amèrement la porte d'entrée.
Ma pression artérielle était à son zénith, mon cœur tambourinait La Marseillaise tous azimuts. Oui, à chacun sa révolution... J'avais vaincu le dinosaure mais pas le problème. Il allait sûrement réitérer son manège jusqu'à trouver la bonne porte et la bonne Podjanee. Une seule certitude, même à quatre-vingts ans passés, si vous ne le savez déjà, la machine en dessous de la ceinture fonctionne toujours, c'est rassurant ! Mais j'aurais préféré que le vieux porte un toast à sa testostérone toujours active, loin, très loin de moi.
C'est une une tranche de vie, bien écrit, le narrateur fait face avec humeur et humour à une certaine adversité ; d'en parler permet sans doute d'évacuer le trop-plein de stress, et finalement, il vaut mieux que ça se passe ici, en France, entre personnes adultes qui peuvent dire non si ça ne leur convient pas, plutôt que dans un pays lointain où la misère pousse des jeunes et parfois des enfants dans une certaine forme d'esclavage... Dans la même veine, peut-être d'autres textes vont venir ? merci
· Il y a environ 6 ans ·bobditbob