[extrait] Le retour de l'épouse prodigue

sadnezz

La monture est délaissée sans soins aux petites mains qui ne manqueront pas de venir s'en occuper. Les gants ont été changés, plus ouvragés, plus tapageurs. L'histoire ne raconte pas ce qu'il est advenu de leurs prédécesseurs. Les yeux noirs sont deux trous dans l'âme, béants et vides, pourtant plus mordants que jamais. Floués. Ils se posent sur un Hugo qui a été mis à l'écart d'une mise à mort. Une qui ne lui était pas réservée.

Judas n'a plus coeur à faire semblant. Se contenter. L'essence même de ce qui faisait de lui un époux supportable par son absence avait foutu le camps au sortir de la Bretagne. Maintenant que plus rien ne l'occupe sinon cette funeste humeur totalement indissociable de ses moindres faits et gestes, le seigneur n'a plus de réelles limites. La moindre des contrariétés tend à éclore sans retenue, et à se déchainer. Sans pudeur. Sans écho. Judas est un malade dont plus rien ne resserre la camisole. Les amantes, les secrets, tout n'était que garde fou. Désormais meurtri, l'époux jaloux sait combien la haine se distille dans les veines, qu'il coupera au premier qui intentera à ses derniers desseins.


Qu'y a-t-il de plus terrifiant que le deuil d'un amour? Comme un naufrage, là bas, où personne ne peut plus le raconter que les mille et mille dépouilles noyées... Un navire qui ne rentre jamais. Les espoirs des vivants scrutant un horizon sans réponse. Silencieux à jamais, moribonds. Eclaté et perdu. Comme un coeur qu'on a tu, emporté par le fond. Un échec sans témoins et de l'or gaspillé, au moins.

- D'ici trois nuits, à mon retour de la chasse, tu iras prendre mon fils dans son lit. Tu l'emporteras près de Moulicent jusqu'à l'étang des Danseuses, plus au nord. Tu le confieras à Anaon sans poser de questions puis tu rentreras te coucher comme si tu n'étais jamais sorti.

Judas avait parlé à voix si basse, qu'il était difficile de le comprendre. Il posa de nouveau sa main sur l'épaule du jeune homme, l'emportant comme on emporte son fils vers une mère qui ne l'aimera jamais, pour être l'objet bâtard d'une attention plus douce et illégitime que celle qu'elle n'aura jamais. Isaure était prévenue de la présence imposée d'Hugo, Hugo lui n'était pas prévenu de la détestable présence qu'émanait Isaure. Ce qui prenait des airs de substitution n'était que l'amorce de l'expression d'une aversion qui ne se contenait plus. Où tout pouvait châtier pour châtier, quitte à se priver. Quitte à s'égarer.

- Tu es chez toi maintenant.

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