[extrait] Le retour de l'épouse prodigue

sadnezz

La voix de la jeune épouse tira Judas de ses conclusions pour les appuyer. Son regard froid et vide vint s'écraser sur le visage laiteux et faussement stérile d'Isaure. Ce masque d'indifférence, que Judas savait cacher faiblesses et inexpérience, des failles indissociables de l'âge et de la force ennemie. Redoutable petite comédienne servant ses devoirs comme s'ils ne lui avaient pas cassé le nez quelques mois auparavant.

Pauvre de toi...

L'estomac moribond, l'appétit tari, le Maitre des lieux n'avait plus à se nourrir que de la sombre ambiance qu'il jetait sur sa demeure en y revenant, et des pluies de tourments, acides et diluviennes, qui allaient s'abattre sur le manoir Vernolien. Il salua la jeune femme d'un geste exempt de toute chaleur et se détourna d'elle, entrainant Hugo dans son sillon.


Pourquoi tant d'efforts? Tu ne peux pas tomber en disgrâce à mes yeux... Tu l'as toujours été.

- Allons manger. Ensuite, nous partirons chasser avec mon fils. Tu verras comme cet enfant est vigoureux.

Vigoureux. Le seul mot que Judas n'ait jamais aux lèvres à propos de son héritier. Un enfant avec une tête, deux bras et deux jambes oui, mais vigoureux. Comme une nécessité absolue se suffisant à elle même. Comme si tout le reste pouvait bien ne plus être, tant que ce fils ne devenait pas l'enfançon chétif et mourant qu'Isaure avait en réalité mis au monde, quelques jours après l'Anaon. Dans son ombre, Judas laissait une épouse plus seule que jamais face au silence de son quotidien. Une mère de substitution du même âge que le jeune Limier, incapable de satisfaire le seigneur, et qui n'aurait jamais d'autre statut que celui de fardeau d'une vie.

Le duo entra dans la demeure, poursuivit son chemin jusqu'aux cuisines. L'homme désigna au jeune garçon quelques plats qui attendaient fumeux et sobres que l'on vienne les savourer à même les casserons. Il l'abandonna à son repas, rien ne pouvant le rassasier, affamé d'un appétit moins substantif, appelé par d'autres desseins. Les bottes de cuir entamèrent l'ascension d'un escalier, pivotèrent lentement au détour d'un couloir et s'immobilisèrent sur le seuil d'une chambre... Le silence était bercé de quelques bruissements légers, et une main enfantine dépassait d'un lit de bois soigneusement ouvragé, présent Parisien d'un père à son fils. Elle semblait saisir le vide, rêveuse, détentrice des secrets de l'âme poupine aux rêves opaques. Le visage de Judas se pencha sur le petit corps d'Amadeus, et les mains vinrent s'en saisir, délicates.

- Je suis revenu, mon fils...

Le visage Judéen se fendit de l'unique sourire qu'il s'offrait depuis des jours, des mois... Sourire ayant traversé les tumultes des déconvenues et du désabusement, offert au visage à moitié endormi du petit Amadeus-Foulques Kenan Von Frayner. La voix de feutre aux détours sans souffle finit de réanimer les deux galets cobalt - héritage Anaonien contre tout espoir Isaurien - qui acheva d'attiser la fierté du sabaryte. L'ombre de Judas aurait pu paraitre monstrueuse lorsqu'elle embrassa celle de l'enfant, et son sourire acéré et ses onglés affûtés... Mais les monstres n'engendrent-il pas le sommeil de la raison?

- Il est temps de devenir un petit homme.

Mon petit homme.

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