Faire tomber la poudre
Mathieu Jaegert
En France, on n'a pas de pétrole mais on a de la neige. Et quand elle tarde, on a des idées. La preuve à l'approche de Noël alors que les estomacs font le plein. Tout le contraire des pistes de ski désespérément vides et vertes. Au grand dam des dameuses. Alors, en l'absence de l'humidité convoitée et pour limiter les pertes sèches, ça phosphore dur dans les chaumières et les chalets de montagne. Chacun apporte son grain de sable – inutile sur les routes – à la recherche de solutions rares même si ce ne sont pas les pistes qui manquent dans ces domaines non skiables. Le regard noir et l'or blanc en tête, les professionnels scrutent l'horizon, implorant tour à tour le ciel, leur bonne première étoile, et leur chamois de bronze. A défaut de records de fréquentation, on pulvérise quelques flocons à coups de canons qui font parler la poudre tant bien que mal, et on pratique déjà des rabais sur le peu de blanc restant. En vain. Les pierres apparentes ne roulent pas et n'amassent rien. Ni mousse ni neige. La situation s'enlise. Névés faiblards, pentes herbeuses et cimes décimées sans amorce d'embellie. Le matériel est remisé, les équipements en sommeil et les bâtons dans les roues et non en main. La pénurie perdure et l'inquiétude grimpe avec les températures. Les saisonniers tournent en rond, s'accrochant au moindre espoir et au thermomètre.
A la veille de la Saint Sylvestre, la tension monte d'un cran. Trop peu c'est trop peu, un sommet extraordinaire – néanmoins toujours dépourvu de neige – est convoqué sans délai. Quand certains décrètent l'Etat d'urgence, d'autres pointent l'urgence de l'état des crêtes. C'est soudain le branle-bas qu'en bas, la situation étant moins critique en altitude. Des mesures rapides – logique, la couche flirtant avec le zéro pointé – sont prises. Il s'agit de foncer droit au but, tout schuss, sans tortiller. Quand on ne peut patiner, hors de question de badiner. On racle les fonds de caisse et les sous-bois pour rabattre l'or blanc des pistes de ski nordique vers les descentes de disciplines plus nobles et aux juteuses recettes. En résumé, on sacrifie le fond pour ne pas toucher le fond et s'épargner une saison sans relief. Tous les habitants sont mobilisés, leurs luges et leurs skis confisqués en attendant des jours meilleurs, au profit du touriste grincheux mais à choyer coûte que coûte. Les présentateurs météo, eux, sont sommés d'y mettre du leur et du leurre pour contenir l'avalanche de désistements. La modification de la constitution de la neige est adoptée illico. Hélico, même. Les hélicoptères de la France entière sont en effet réquisitionnés pour livrer aux plus défavorisés par cet hiver impitoyable de quoi subvenir à leurs besoins. On balaye ainsi d'un coup de raquette les bonnes intentions de la conférence climat, la faisant passer de COP à syncope, le tout sous l'égide du Ministre en charge du tourisme. Celui même qui avait présidé aux destinées de ladite COP. On s'assoit sur les promesses, on fait fi des accords. Les résolutions emmitouflées sous une épaisseur de mauvaise foi seront de retour au printemps. En attendant, place au bla-bla de façade et à la neige de culture pour gla-gla et glissades. Discours retors et cargaison dans le vacarme du rotor. De quoi redonner un aspect immaculé et pâle à la montagne. Ou pale.
Evidemment, cette histoire mal embarquée possède une fin.
Une bonne.
Une bonne chute de neige.
Bravo, ça devient du délire cette histoire de neige en montagne, quand elle manque, et elle manquera de plus en plus souvent, faut sortir les brodequins et les VTT, c'est pas plus mal et plus écolo !
· Il y a presque 9 ans ·Dominique Arnaud
En apprenant la nouvelle, je me suis dit qu'un texte s'imposait...
· Il y a presque 9 ans ·Mathieu Jaegert