Femme de l'être

nulie


Nina fume derrière sa fenêtre. Elle laisse s’envoler le nuage danstoute l’atmosphère de la pièce, les rayons du soleil font apparaitre toutes les poussières. Elle fume sa braise sans parler, Nina tient entre ces mains la chaleur, mais son visage et sa peau sont froids. Elle est éteinte, pas comme sacigarette qui danse en particule, qui rougit quand elle la porte à ses lèvres, quand la cendre s’effondre en silence sur le radiateur. Nina lit beaucoup, plusqu’elle ne parle. Parfois, elle passe des journées entières attachée à son fauteuil en cuir déchiré, collée à ses livres lus et relus, ne buvant qu’une tasse de thé fumante. Lentement, je crois même qu’elle finit par avaler sa boisson froide, et ça l’enfonce de plus en plus dans sa froideur.  Elle parle pas beaucoup, pas du beau temps ni de la pluie, pas vraiment de ce qu’elle fait et voit. Elle parle pas avec les autres, les autres qui me disent qu’elle est froide, éteinte, comme la cendrede sa cigarette. C’est un peu ça qu’on voit sans la connaitre, son petit nez froid, et son silence froid, mais ce n’est pas tout à fait ça .Quand elle me regarde de sa mine enfantine, avec sa frange trop longue qui cache ses yeux verts, elle me parle. Des fois pas longtemps, juste pour me citer son livre, elle choisit sa phrase pour sa résonnance sur la vie, mais je crois qu’en fait elle les choisit parce qu’elle lui ressemble. Elle veut me les lire justement pour me dire que c’est elle. Avec les mots des autres elle me parle, voilà, elle me parle. Je le regarde sans vraiment répondre, je suis pas sûr d’ailleurs qu’elle attende une réponse, Nina c’est comme une radio dérèglée. D’un seul coup on entend sa voix, elle parle, machinalement pour citer d’autres, elle te sort de l’ennui pour quelques minutes d’évasion. Et puis elle retourne à son monde, comme elle est venue, en un instant. Elle fume pas beaucoup, et pas souvent, mais je crois qu’elle le fait pour s’évader. Quand je réfléchis à cequ’elle est, pourquoi je suis là assis sur le fauteuil d’en face enrobé dans le silence interminable de notre vie, j’aime à voir que c’est parce qu’elle me nourrit. Elle ne fait pas que lire, elle sait être vivante plus que ceux qui me disent qu’elle est froide et éteinte, mais parfois elle a simplement besoin de rééquilibrer sa vie, alors elle lit pour qu’on lui parle directement, qu’on parle à ses blessures, à son état d’âme mal à l’aise souvent, à l’impression de solitude qu’elle traine toujours avec elle, à ses yeux mouillés pour un rien, à ses peurs de vivre trop fort. Elle lit pour pas penser qu’elle a la trouille.Nina fume et lit parce qu’elle ne sait pas relâcher son corps, relâcher ses angoisses le temps d’une idée folle. Elle lit donc, et ça l’a fait grandir et voyager, je crois aussi qu’elle aurait aimé savoir faire ça : écrire une phrase, une seule au milieu d’autres, qui résonne comme une leçon de vie, comme un conseil à suivre, comme un électrochoc à l’habitude. Et elle se soigne, assise sur son fauteuil, avec sa tasse de thé et ses doigts à peine humides qui tournent des pages, des pages et des pages, de livre. Elle se perd dans les caractères imprimés pour ne pas voir que par la fenêtre est déjà passé une journée, une nuit, une saison, une année. Elle est un peu paradoxale Nina,parce qu’elle flippe beaucoup c’est vrai, mais elle sait être totalement souriante, vivante, euphorique pour profiter de la vie. C’est surement la trouille qui la bouffe qui, au fond, lui donne l’envie de vivre. La consciencene lui fait pas perdre de vue qu’on a le droit d’être heureux, d’avoir envie de vivre et qu’on a surtout le devoir d’Etre. Alors finalement elle profite beaucoup plus de la vie, que ces autres qui me disent qu’elle est froide, elle en profite mieux parce que chaque fois qu’elle vit, elle sait pourquoi elle est là, et pourquoi elle s’est volontairement engagée dans ce moment qui fait palpiter le cœur. Nina fume derrière la fenêtre, sans l’ouvrir, et la fumée monte lentement dans l’ambiance de la pièce, et elle me parle sans me regarder,elle parle silencieusement avec ses gestes, et ses cheveux qui frottent contre son pull. Nina c’est pas une femme, c’est beaucoup trop stricte de dire que c’est une femme, c’est une fille. Une fille qui soigne son âme avec des livres, avec des chansons ou des tableaux parfois, comme on soigne son corps avec des médicaments. Nina aime trop les mots, elle les aime sans conditions, mais c’est pas son métier, je veux dire, elle ne les critique pas. Elle les aime parce qu’il couvre son cœur, son âme, et ses yeux pétillent quand elle me regarde pour me lire une ligne, une petite ligne qui dit beaucoup. Et sous sa frange trop longue, et ses yeux verts cachés, elle est ma femme de l’être.


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