Fernet-Branca

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Fernet-Branca

extrait de “Ivres mots”, sketches absurdes,

A: Elle était belle Monsieur... Certains jours, elle avait comme une...

B: Commune à qui?

A: Comment: "comme une acquis"?

B: Je ne sais pas, comment...

A: Cà c'est la meilleure!... Vous me posez une question et...

B: Et donc ce n'est pas moi qui peut vous répondre. C'est vous qui me dites: "Certains jours elle avait commune", alors moi je vous demande: "commune à qui", en notant d'ailleurs au passage que vous auriez dû dire: "était commune" et non pas: "avait commune", mais l'émotion excuse tout.

A: Certains jours, virgule, elle: pronom personnel, avait: du verbe avoir à la troisième personne du singulier de l'imparfait de l'indicatif, comme: conjonction de coordination, une: article indéfini. Est-ce suffisamment clair à présent, ou dois-je passer à l'analyse syllabique?

B: Vous l'auriez précisé au départ, on n'aurait pas nagé dans une incertitude aussi anxiogène qu'impropre à la communication.

A: Le seul ennui est que c'est un peu long...

B: Oh bah bien sûr, maintenant le seul souci c'est: rentabilité et rapidité. Alors on ne prend même plus le temps de parler correctement.

A: Vous me permettrez de m'inscrire en faux. Loin de m'exprimer incorrectement, j'estime au contraire que je m'exprime selon la plus rigoureuse orthodoxie syntaxique. C'est vous plutôt, qui semblez méconnaître les règles les plus élémentaires de la bonne compréhension.

B: Ce qui veut dire?...

A: Vous êtes long à la détente.

B: Cà c'est vrai. Finalement sous vos airs cuistres, vous êtes plutôt fin psychologue...

A: On le dit...

B: Non, c'est vrai, on discute de choses et d'autres et en un clin d'oeil, zoum pan, vous diagnostiquez mon problème: je suis long à la détente.

A: Un enfant s'en apercevrait.

B: Oui, mais justement, je n'ai pas d'enfant, sans doute parce que je suis long à la détente.

A: Si long que ça?

B: Ah, mais Monsieur, vous n'imaginez pas à quel point!... Tenez, un exemple: quand je suis en vacances, eh bien je ne commence à me détendre réellement que la dernière semaine. Avant ça, pas question. J'ai comme une boule, là, au creux de l'estomac, qui m'empêche de jouir pleinement de mes journées.

A: La dernière semaine...

B: Jamais avant.

A: Et quand vous n'avez qu'une semaine?

B: Je reste au travail, ça m'évite d'avoir la boule pour rien.

A: C'est pas bête...

B: N'est-ce pas? Mais en général, j'évite. Il faut dire qu'avec les années, j'ai développé une certaine stratégie.

A: Ah oui?...

B: Oui. Maintenant, je prends mes vacances par tranches d'une semaine et un jour, comme ça, je n'ai la boule qu'une journée et j'ai toute la semaine pour m'en remettre.

A: Cà doit être une grosse boule pour nécessiter une semaine de détente...

B: Difficile à dire...

A: Quand même, vous avez bien dû vous en rendre compte depuis le temps.

B: En fait, je n'ai jamais cherché à savoir...

A: Vous n'êtes guère curieux. Moi, il me semble que si j'avais une boule, comme ça, qui me gâche une partie de mes vacances, j'essaierai au moins de savoir quelle taille elle a.

B: Ce n'est pas ça qui est important, la taille!

A: Ben qu'est-ce que c'est alors?

B: C'est sa dureté.

A: Sa dureté?

B: Oui. Une grosse boule molle ce n'est pas très gênant. Bien moins gênant qu'une petite très dure.

A: Grosse molle ou petite dure, une boule ça reste une boule.

B: Je ne vous dis pas le contraire, mais vous admettrez tout de même que c'est la mienne et pas la vôtre. Je la connais donc quand même mieux que vous.

A: Mais, moi aussi j'avais une boule, Monsieur.

B: Tiens donc?...

A: Parfaitement. Une boule superbe, de grande classe et toute en contraste...

B: Une boule à facettes en quelque sorte...

A: Ricanez, ricanez... Vous ne m'empêcherez pas de penser que la mienne valait toujours mieux que la vôtre.

B: Qu'est-ce qu'elle avait de plus?

A: Elle était belle, Monsieur... Certains jours elle avait comme une...

B: Commune à qui?

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