Filante nuit d'ivresse

sergedecroissant

Le canapé m'aspire, la fatigue remplace l'ivresse et les paroles de  mes camarades deviennent un baragouinage incompréhensible. Tous parlent politique, se prennent pour Gandhi ou Mandela et se plaisent à refaire le monde de leur discours reniflant la bien-pensance et le diplôme universitaire, j'suis pas allé à l'université moi! Elle m'a vomi avant même de m'ingurgiter, l'université! Où est-ce moi qui la régurgite sans en connaître le menu? Peu m'importe! J'ai bien l'impression que c'est l'école à devenir con, si je m'en réfère à leurs élucubrations hasardeuses. Peu m'importe! je ne supporte plus leur discours et les vapeurs de l'alcool m'emportent, mon cerveau est dans le formol, il faut que je sorte avant qu'ils ne se mettent à l'analyser! Il me faut de l'air! Je leur sors une dégueulasserie, que je ne pense même pas, sur les bienfaits du régime de Pol Pot, et je sors, par la même occasion, et non sans mal, mon vieux cul de ce boudoir à niaiserie certifiée. Je jouis des regards de dédain et des remarques sur mon incivilité que ces gentils idiots, que j'aime comme mes frères, ne manqueront pas de me lancer, une fois mon ignominie hors de portée.

J'ouvre la porte et descends lentement les marches du porche, la rambarde me sert de garde-fou, ma stabilité laissant à désirer. Enfin, je respire, c'est l'overdose d'air, mes poumons n'y sont plus habitués. Clic clac pffft d'un seul geste, avec classe, régularité et précision, tel un archer de sa majesté, je sors une tige et me l'allume, une garrot, une clope, une blonde, un clou de cercueil, comme Hemingway les appelait. Un sens aigu de la métaphore qu'il avait le Ernest! De toute façon je préfère mourir étouffé par le tabac que par la connerie ambiante, faudra que je me rappelle d'en allumer une autre une fois celle ci écrasée.

Damn! Qu'elle est belle la nuit, en ce mois d'aout! J'ai toujours préféré la nuit! Son silence, seuls les insectes gueulent de toutes leur force, c'est beau une chorale d'insectes, comme un concert de jazz, on se joue des normes, chacun y va de son improvisation, et on se laisse aller à les écouter, les plus gros "crrrrrisseurs" faisant office de cuivres. J'aime comme la noirceur transforme les choses, la mignonne maison bourgeoise devient demeure des Adam's, les arbres, verts et pleins de vie prennent une allure menaçante, ils bouffent l'obscurité de leurs branches biens fournies. La flamme de mon briquet, danseuse en habits de lumière, prend toute son importance dans les ténèbres qui l'entourent, et se met au rang des étoiles.

Un de mes amis, guilleret et titubant, vient m'apporter une bière, cherche à entamer la conversation, puis, face à la laideur de mon alcoolisme, légèrement plus prononcé que le sien, trouve un prétexte pour me quitter. Je ne met pas à pleurer pour autant! "Casse toi l'ami! Je fais l'amour à la nuit! Et elle est bonne la garce!" Je bois ma bière d'un trait et fourre mon mégot dans son cadavre pschhhh... Clic clac pffft, une promesse est une promesse! Mon esprit part en couille, comme dans le "son" d'Express D, et mon corps aussi, faut que je m'allonge avant que ce dernier ne décide de le faire à ma place... L'herbe du jardin me chatouille les oreilles, ça sent la terre ici, ça sent le vrai, le vivant, le matelas n'est pas un "dunlopilo", mais sa raideur me rappelle mon humanité, ou plutôt mon animalité, j'y suis bien, je pourrais mourir ici.

Damn! Qu'elle est belle la nuit, en ce mois d'aout! J'ai toujours aimé la nuit!  Au dessus de moi, les rares étoiles qui ont reçu des lumières de la ville le droit de paraître, semblent s'exercer à rester immobiles, sans vraiment y parvenir. Peut être le bourbon me joue-t-il des tours? C'est fort probable. Le blanc des nuages se marie au noir à la perfection, sans doute pour donner une leçon aux détracteurs du métissage, fumée nocturne aux reflets bleu de klein, certains sont fouillis, ont la liberté artistique de dessins d'enfants, d'autres, plus travaillés forment des motifs tribaux, tatouages de nacre sur la nuit d'ébène. L'un d'entre eux attire mon attention, un visage colérique barbé de sagesse, est-ce le visage de dieu? Si c'est bien lui pourquoi est il en colère? Du fait de mon alcoolémie? Ô tout puissant, roi des rois, créateur du sombre et du clair, je n'ai fait que boire le sang de ton fils! Mes blasphèmes me conduiront en enfer, aussi sur que cet amas de vapeur en suspension n'est pas le visage du divin...

D'un coup mes pensées vaseuses d'irrévérences sont interrompues, un segment de lumière, rapide comme l'éclair, cherche à fendre le ciel, j'en ai enfin vu une! Une étoile filante! Quelle beauté! Vue de mon gazon elle m'a paru infiniment petite, mais elle m'a fait prendre conscience de l'immensité de ce qui nous entoure, la puissance de l'univers et la futilité de notre existence, révélées en une fraction de seconde. Si court, mais si plein d'émotion, j'en chialerait comme une pucelle en fleur! Cela vaut tous les artifices, rien n'est plus frappant, à mes yeux, que cette tête d'épingle à la traîne d'or. Si j'étais capitaliste, je l'achèterai, ce moment, aussi éphémère que l'est ma vie à l'échelle de notre globe humide, je l'achèterai, pour bien me rappeler que je ne suis même pas une fourmi, un excrément d'acarien tout au mieux, et que malgré tout mes efforts, bâtis sur les efforts des autres, malgré une armé d'efforts enrôlée, bon gré mal gré, dans la bataille de ma grandeur, la nature me surpassera toujours par sa splendide perfection.

Mes paupières se ferment d'elles même, l'air pur ne me tient plus éveillé, je n'ai pas la force d'allumer une autre sèche. Je crois que je vais dormir là, sur cette douce pelouse, entouré de magnificence, de l'univers et sa majesté, la seule majesté, celle qui n'a jamais demandé à ce qu'on l'appelle ainsi. Je vais passer dans le royaume des songes, il faut vite que je fasse un voeu, paraît qu'il faut en faire un après tel céleste spectacle, je ne suis pas superstitieux mais je ne suis sur de rien, donc soit, avec un peu de chance il se réalisera! Voilà c'est fait, je le garde pour moi, demain je...

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A celui ou celle qui se sera émerveillé(e) devant la même étoile que moi.

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Si quelqu'un se demande ce qu'est "mon esprit part en couille" d'Express D, il suffit de taper ces données sur le moteur de recherche d'un très célèbre site de partage de vidéos, cela n'a pas vraiment de rapport avec le texte, et je doute que ça plaise à tout le monde.

;)

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