Filature

petronille

Je n’ai pas mis les bonnes chaussures ce matin. Le chef aurait pu me prévenir que ça risquait de durer. Yen a, ça me fait tellement cavaler que j’ai pas le temps de casser la croûte. Celle-ci, par exemple. Je me trompe rarement. Une fille dans les trente ans, pas mal roulée, enfin pour ce que j’en vois, parce que avec leur manie maintenant de porter des bottes, impossible de savoir si les jambes, c’est des poteaux ou des super gambettes qu’on aurait envie de caresser… Des bottes rouges, qu’elle a. Encore une qui n’a rien à foutre que se balader, faire du shopping comme elles disent. Je me demande pourquoi faut la suivre, celle-là… Un mari jaloux, probable. Ah ! Elle s’arrête. Regarde une vitrine de pompes. Entre. Moi, sur l’autre trottoir, à la guetter dans le reflet de la pharmacie en face. Debout avec mes fichues godasses neuves et la couture qui m’appuie sur les orteils. Bon, elle sort. Avec un paquet. Forcément, elle sait dépenser. Moi, je note tout, son trajet, ce qu’elle fait, j’ai pas à comprendre, le patron dit c’est sans importance, tu notes et tu fermes ta gueule.

Trois heures que je lui cavale après, elle a des réserves cette fille ! Toujours pareil, elle entre dans une boutique, j’attends, elle ressort avec un paquet, elle continue. Elle arrêtera quand elle aura mal aux pieds. Comme moi. Tiens, du nouveau, elle entre dans un bistrot. Avant d’entrer à mon tour, j’attends un peu. Soudain un mec sort en courant, j’entends des cris, je regarde à travers la vitre, c’est déjà la bousculade à l’intérieur, avec un type allongé, la tête couverte de sang… Merde, et ma fille ? Les flics arrivent, barrent l’entrée, j’arrive plus à voir… Mais voilà une ambulance. On sort une première civière. Le type. Une deuxième, maintenant, et j’aperçois les bottes rouges qui dépassent de sous le drap. C’était vraiment pas la peine de me faire tant courir pour finir comme ça…

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