Folle journée sur l'A666

tarick

1 : La folle journée est racontée par le fils. Il conte avoir faussement perdu son père, puis vraiment sa mère pour, en fin de compte, véritablement retrouvé cette dernière. Cependant, il n’en est pas sûr. Sa perception de la réalité est floue et perturbée par son interaction avec les autres personnages du récit.

2 : La folle journée est racontée par la fille. Elle conte avoir faussement perdu son père, puis retrouvé sa mère pour, en fin de compte, véritablement perdre la trace de son frère. Cependant, elle n’en est pas sûre. Sa perception de la réalité est floue et perturbée par l’imminence de son accouchement.

 3 : La folle journée est racontée par le père. Il conte avoir faussement perdu sa femme, puis retrouvé son fils pour, en fin de compte, véritablement perdre la trace de sa fille. Cependant, il n’en est pas sûr. Sa perception de la réalité est floue et perturbée par crises d’épilepsie.

4 : La folle journée est racontée par la mère. Elle conte avoir faussement perdu son fils, puis retrouvé sa fille pour, en fin de compte, véritablement perdre la trace de son petit-fils. Cependant, elle n’en est pas sûre. Sa perception de la réalité est floue et perturbée par une intervention chirurgicale.

5 : La folle journée est racontée du point de vue du petit-fils. Il conte avoir faussement perdu la vie, puis trouvé la lumière pour, en fin de compte, véritablement perdre la sensation d’exister. Cependant, il n’en est pas sûr. Sa perception de la réalité est floue et perturbée par son absence de conscience.

6 : La folle journée est racontée du point de vue du gitan. Il conte avoir failli perdre la vie, puis avoir retrouvé la lumière pour, en fin de compte, véritablement perdre la trace de son homme talisman. Cependant, il n’en est pas sûr. Sa perception de la réalité est floue et perturbée par la consommation de narcotiques.

7 : La folle journée est racontée du point de vue du Pr Lapéruche. Il conte avoir failli perdre un patient, puis avoir sauvé une infirme avant de procéder à un improbable accouchement. Cependant, il n’en est pas sûr. Sa perception de la réalité est floue et perturbée par sa personnalité schizophrène.

8 : La folle journée est racontée du point de vue de la dame rousse. Elle conte avoir failli perdre un contrat, puis avoir sauvé une mission avant de procéder à un improbable retournement de situation. Cependant, elle n’en est pas sûre. Sa perception de la réalité est floue et perturbée par l’entremise de sa sœur jumelle.

9 : La folle journée est racontée du point de vue du gendarme nain. Il conte avoir failli perdre son emploi, puis l’avoir sauvé par une arrestation spectaculaire avant de perdre la trace de sa véritable cible. Cependant, il n’en est pas sûr. Sa perception de la réalité est floue et perturbée par ses tendances suicidaires.

10 : La folle journée est racontée du point de vue de l’inspecteur aux pinces de crabe. Il conte avoir sauvé une kidnappée, avant de perdre de vue le ravisseur pour finalement lui mettre définitivement le grappin dessus. Cependant, il n’en est pas sûr. Sa perception de la réalité est floue et perturbée par ses tendances mythomanes.

Je referme mon magazine culturel dans un geste d’impatience. Depuis dix minutes, ma mère, ma sœur et moi poireautons devant le relais routier. Je demande à ma sœur, enceinte, d’enlever les écouteurs qui lui bouchent les oreilles et le cerveau :

- Il est où le Vieux ?

- En pause pipi.

- Depuis taleur ?

-Je sais pas moi. Va jeter un œil si tu veux.

Elle remet ses écouteurs. Malgré moi, je vais inspecter le petit coin avec mon large duffle-coat dont la couleur, plus que l’aspect, pourrait faire de moi un Colombo en herbe.

Dans le vide-vessie, un homme à l’allure de gitan range son arrosoir et quitte les lieux sans se rincer les mains. Si j’avais été un véritable agent de police, je lui aurais mis un P.V. pour ce grave manquement à l’hygiène publique. En attendant, toujours pas de Papa en vue. Normal, il ne doit pas aimer dégainer en public, d’autant plus que son sens de l’hygiène le pousse à essuyer le bout du flingue. Soit, je vais devoir toquer aux portes des cabines occupées.

Trois cabines semblent occupées. Je commence par vérifier que les cabines aux portes entrebâillées n’abritent personne. Une idée me frappe au moment d’entamer mon porte-à-porte. Pourquoi ne pas appeler « Papa » assez haut et fort pour qu’il m’entende ? Au moins, lui ne se bouche pas les tympans avec des écouteurs. Je l’appelle une fois, deux fois, trois fois. C’est adjugé, il ne m’a pas entendu.

Je me vois obligé de toquer à l’une des portières refermées. Commençons par la cabine de droite pour revenir ensuite vers la sortie. « Toc Toc Toc »

- C’est occupé !

- Papa ?

- Le Papa de qui ?

- Je me suis trompé, désolé.

- Arhmf.

Le monsieur était sous le coup d’une grosse commission. La porte du milieu s’ouvre au moment où je m’apprête à toquer. J’ai failli la récupérer en pleine poire, mais la possibilité de voir mon père en sortir m’empêche de réfléchir à l’incident auquel j’ai échappé.

C’est un gros bidon qui sort de cette cabine située au centre de l’allée. Mon père aussi a un bidon, mais le sien est gonflé à l’hélium. Celui-ci est mou. L’étranger mou du bide est plus jeune que mon paternel, porte une moustache et me lance un regard noir. Il a compris qu’il était l’objet de mon attention. Bêtement, je jette tout de même un œil sur le trône qu’il vient de quitter. Lorsque l’on cherche une chose, ou une personne, ou encore une personne-chose, nous avons tendance à vérifier les coins les plus saugrenus en premier.

Plus qu’une seule cabine. La cabine où mon père se doit d’être. Une cabine pour handicapés. Il a dû la choisir pour prendre ses aises. S’est-il endormi comme tant de dictateurs sur le trône ? Lui qui était pressé de repartir. Je toque, sûr de mon fait. On ne me répond pas. Je recommence en donnant plus de force à mes coups. Toujours rien. Cette fois j’assène de véritables coups de semonce.

Deux personnes accourent de l’extérieur des toilettes avec des tuniques d’ambulanciers.

- Que se passe-t-il ? lance une de ces deux personnes en me dévisageant.

- Je cherche mon père.

L’infirmier ne saisit pas le sens de mes propos. Toujours est-il que la porte s’entrouvre finalement et qu’une personne à mobilité réduite en sort, tête baissée et bonnet bleu sur le crâne chauve.

Je me dépêche de ressortir devant le relais routier. Ma sœur est seule, les mains sur son ventre rebondi et toujours branchée à son appareil. Je la prends par l’épaule :

- Le daron n’est pas aux toilettes.

- Et alors ?

- Et alors faut qu’on le retrouve.

- Il va revenir. Il est peut-être allé acheter un truc.

- Réveille-toi. Ça fait une heure qu’on l’attend. Je commence à m’inquiéter.

Nous regagnons la boutique du relais routier. Mon père est grand. Malgré ses 70 ans, il a la carrure d’un boxeur. Sport qu’il a pratiqué dans sa jeunesse. Mon père a la peau caramel, les cheveux grisonnants, les lunettes de l’Inspecteur Derrick et la démarche fatiguée par le poids de l’âge. S’il avait été dans la boutique, il nous serait apparu de loin. Il n’y était pas. Nous décidons d’alerter le personnel. Nous décrivons notre père et les interrogeons sur sa présence. Notre inquiétude grandit rapidement avec la succession de réponses négatives. Tout se passe comme si mon père n’avait jamais mis les pieds dans la boutique et les parties communes du relais routier. Les employés de la cafétéria se rappellent bien du monsieur à l’apparence antillaise, mais aucun d’entre eux ne l’a revu depuis notre départ.

Devant notre inquiétude, des employés se joignent à nos recherches. Le tour du propriétaire est rapidement bouclé. Papa n’est pas dans le relais routier. Nous réfléchissons à prévenir les gendarmes. Mon père a disparu sans laisser de traces.

Une grande dame portant des lunettes nous conseille de jeter un œil à l’extérieur de la station :

-Il y a une casse automobile derrière la station. Peut-être s’y est-il rendu ?

C’est la seule piste à explorer, nous suivons la caissière aux cheveux artificiellement roux. Elle est mince, mesure près de 2 mètres et a une voix aigüe qui est loin de nous rassurer.

Derrière le relais routier, un étroit chemin de terre bosselée mène à la casse. Les voitures y circulent difficilement. Je partage ma surprise avec notre guide :

-C’est normal que la route soit si mauvaise ?

- Je crois que la casse est illégale. Donc plus elle est difficile d’accès, plus elle peut demeurer confidentielle.

- Illégale ?

- Vous en connaissez beaucoup des casses en pleine autoroute ? Je crois que c’était une nationale qui a été privatisée au profit d’un grand groupe autoroutier. Les anciens propriétaires se sont sentis lésés et c’est leur manière de se rendre justice.

Ma sœur quitte des yeux l’écran de son téléphone :

- Je ne pense pas que Papa ait pu faire tout ce chemin avec son problème aux genoux.

- Hmmm, fais-je en serrant les lèvres.

C’est alors que nous entendons des grognements provenant du haut de la colline derrière laquelle la casse devrait se trouver. Mon père s’y tient, essoufflé. Un objet scintille 40 mètres à sa droite. Je n‘ai pas le temps de tergiverser. Ma sœur s’est élancée, malgré son gros ventre, à la rencontre du paternel. Arrivés à sa hauteur, nous lui demandons des explications sur sa mystérieuse virée.

- Je suis venu voir s’il y avait des pièces moins chères pour la voiture.

- Sans prévenir personne ? lui reproche ma sœur.

- Si, j’ai prévenu votre mère.

- Mais non, elle nous l’aurait dit.

- Je vous dis que je l’ai prévenu. D’ailleurs, c’est elle qui m’a montré le sentier que j’ai suivi. Elle pensait qu’il y aurait une source d’eau ou des fruits et voulait que je lui en rapporte.

- Sérieux ? dis-je surpris.

- Mais oui ! affirme-t-il avant de demander : et vous avez laissé votre mère toute seule alors qu’elle est malade ?

Ma sœur et moi échangeons des regards gênés. Notre enquête impromptu nous a fait oublier Maman, elle qui ne parle pas un mot de français et ne se déplace qu’à l’aide d’une canne.

Nous nous hâtons de la rejoindre. Plusieurs fois, nous devons ralentir pour que notre père tienne la cadence. J’essaie de retrouver l’objet scintillant, mais il ne réapparait pas à ma vue. Pour l'oublier, j’interroge ma sœur au sujet de ma mère. Ma frangine ne se souvient pas des derniers gestes de Maman. Une légère ombre plane sur nous.

De retour à la station, nous constatons que Maman n'y est pas. Nous refaisons le tour. Le personnel est partagé entre la désolation et l’irritation : comment deux jeunes adultes peuvent-ils perdre tour à tour leurs deux parents?

Cette fois nous alertons les gendarmes. D’autant plus que ma mère est une personne à mobilité réduite. Une personne qui ne se déplace jamais sans sa canne, et qui ne bouge qu’en y étant obligée.

Les gendarmes nous interrogent. Ma sœur et moi avons des dépositions concordantes. Quant à mon père, paniqué par l’idée d’une enquête officielle, il passe des aveux qui nous étaient inconnus.

Ma mère parlerait un français plus que correct. Du moins, elle aurait travaillé, un quart de siècle plus tôt, en tant que gouvernante dans une grande maison française, les Dreyfusse. De plus, ma mère aurait le permis de conduire. Ces révélations nous laissent sous le choc.

Les gendarmes décident d’installer un large périmètre de recherche. Dans la version officielle, mon père s’est égaré après déjeuner dans les champs qui jouxtent la station-service. Les gendarmes ne m’interrogent pas sur la casse illégale. J’en déduis que personne n’en a parlé dans sa déposition. Une battue est organisée. Nous prenons part aux recherches. Chose extraordinaire, la casse n’existe plus au moment où les enquêteurs atteignent l’endroit où elle était censée se situer. Certes, je n’avais jamais vu la casse de mes propres yeux. Toutefois, la caissière nous l’a indiqué et mon père a affirmé y être allé.

Je réfléchis un instant. Depuis notre retour au relais routier, je n’ai pas revu la girafe rousse. Pourtant, tous les occupants de la station-service sont interrogés puis regroupés dans la cafétéria. C’est étonnant. Dois-je en parler aux enquêteurs ? Je décide de garder le silence pour ne pas compromettre mon père qui a, lui également, sous-entendu l’existence de la casse.

Nous arrivons à un hangar vide. Les enquêteurs m’expliquent que la bâtisse remonte au temps de  l’ancienne route nationale, la N999. Je n’ose pas avouer que je le savais. Nous entrons dans le bâtiment inoccupé.

Les enquêteurs relèvent des traces de pas, dont celles d’une canne. J'en suis interloqué. Dans l’arrière-cour, la canne et des vêtements sont retrouvés. Ce sont ceux de Maman.

Je reconnais la canne noire par son pommeau caractéristique et son inclinaison rappelant la Tour de Pise. Ma mère a toujours empoigné le pommeau dans le mauvais sens, si bien que la canne a fini par tenir en biais. Affectueusement, je surnomme Maman « Maître Yoda » en raison de la forme qu’a prise sa silhouette avec l’âge. J’ai toujours soupçonné la mauvaise utilisation de sa canne d’y avoir contribué.

Un gendarme accourt avec un sachet à la main. Il a retrouvé des cheveux, sans aucun doute ceux de Maman. J’ai du mal à garder l’équilibre. Le monde s’effondre autour de moi.

Les enquêteurs sont pris de court. « Ça recommence », « ça recommence » répètent-ils sans arrêt. Qu’est-ce qui recommence ?

J’essaie d’interpeler les gendarmes. Ils sont trop occupés à transmettre des ordres, ou des informations. Ils mettent en place des barrages routiers, demandent des renforts, forment une cellule de crise.

Ma sœur se rappelle à mon bon souvenir:

- De toute façon, toi, tu t’en fous !

- L’important c’est de la retrouver, pas d’être triste.

Elle prend mes paroles pour une agression et m’assène un coup avec la paume de sa main. Mes propos ont néanmoins le mérite de mettre un terme à ses reniflements sonores. Un enquêteur vient à nous. Il explique devoir nous interroger plus longuement. L’enquêteur est un nain aux épaules et hanches plus courtes que l’extrémité de ses membres. Il a une démarche déséquilibrée et porte son corps dans le désordre. Allure qui contraste avec son visage aux traits saillants, son regard intense et sombre ainsi que sa chevelure ondoyante. Ma sœur adopte une attitude charitable alors que j’ai du mal à dissimuler ma surprise.

Bien qu’ayant noté avec un sourire en coin nos réactions, l’enquêteur enchaine sur les raisons de sa venue. Il nous explique que ce n’est pas la première fois qu’une personne invalide disparait sur l’A666. Ce phénomène a commencé lors de la construction de l’autoroute une dizaine d’années plus tôt. Un jeune homme avait perdu ses mains en étant transporté à l’hôpital. Il disparait mystérieusement sur l’autoroute avant d’être retrouvé avec des pinces de crabe à la place des mains sans que personne ne sache où il avait passé les trois semaines de sa disparition. S’il n’y a médicalement aucun miracle à remplacer des mains par deux prothèses métalliques, le jeune homme explique à l’époque avoir été touché par la grâce. Il fait la une des journaux et beaucoup de gens voient en son cas un miracle divin. Il y a même des illuminés pour parler d’une intervention extraterrestre. Depuis, des gens disparaissent sur l’A666 et ne sont jamais retrouvés. Les gendarmes ne savent pas si ces disparitions sont volontaires ou le fruit d’une organisation mafieuse qui en profiterait pour maquiller ses crimes. De lourds soupçons pèsent sur l’homme aux mains de crabe, dont la personnalité est  jugée déséquilibrée par les enquêteurs.

Ironie de l’histoire, l’homme aux mains de crabe est devenu détective privé et offre ses services aux familles des disparus. Il se targue d’avoir résolu deux cas de kidnapping sans que l’on sache les conditions de leurs disparitions. En résumé, l’A666 attire les âmes crédules et les petits filous.

L’enquêteur nain nous demande si notre mère avait affiché des signes laissant prévoir une disparition volontaire. Non. Chez qui allions-nous ? Une tante que nous visitions pour la première fois. Cette réponse interpelle notre interlocuteur, mais il ne précise pas sa pensée. Il m’interroge ensuite sur ma rencontre avec la personne handicapée. Ai-je bien retenu les traits de son visage ? Non, elle avait le visage blafard, et le crâne rasé sous un bonnet. Je n’ai pas prêté attention à ses traits. Pouvait-elle être ma mère ? Non, je ne le crois pas. La rencontre s'est déroulée dans les toilettes des hommes alors que je venais de la quitter avec ses vêtements et cheveux.

L’enquêteur insiste. Sur la vidéosurveillance du relais routier, l’ambulance est le seul véhicule à quitter la station dans la tranche horaire qui correspond à celle de la disparition. Un appel sur le cellulaire du brigadier-chef interrompt la discussion. L’ambulance a été aperçue sur une bretelle de l’autoroute A666. Il se hâte de nous quitter. Je propose à ma sœur de les suivre avec le véhicule familial. Mon père est allongé sur une banquette de la station-service. Nous lui subtilisons les clés du véhicule familial.

Nous suivons les gendarmes grâce aux gyrophares qu’ils enclenchent et au passage qu’ils libèrent dans leur sillage. Un hélicoptère fait son apparition. Il descend pour n’être plus que quelques mètres au-dessus du cortège. Je crois apercevoir une pince métallique qui salue les enquêteurs depuis l’hélicoptère. Je repense à l’histoire du détective privé aux pinces de crabe. Se pourrait-il qu’il sauve Maman ? Je ralentis pour rester à quelque distance du cortège et ne pas attirer l'attention sur notre présence. Après deux kilomètres sur l’autoroute, un véhicule panique à l’approche des gendarmes et de l’hélicoptère.

Au moment où le cortège passe à sa hauteur, ledit véhicule fait demi-tour pour prendre la route à contre sens et gagner en vitesse. Les gendarmes sont déjà loin et ne s'intéressent pas à lui. Le chauffard ne s’en est pas rendu compte. Le museau de sa voiture est tourné vers la voie créée par le récent passage des gendarmes. Voie qui mène droit sur nous. Il fonce en klaxonnant. Je l’esquive au dernier moment. Le véhicule commence à aller beaucoup trop vite, heurte une glissière de sécurité, fait un vol plané et atterrit sur le toit. Je descends voir ce qu’il en est. Il y a une seule personne à l’intérieur. Elle est retournée et a la pâleur de la mort. C’est le gitan qui ne s’est pas rincé les mains plus tôt aux toilettes de la station-service. Il tient un briquet et essaie d’allumer une cigarette. Le réservoir fuit à l’arrière. Je l’extirpe du véhicule. D’autres automobilistes sont sortis de leurs voitures et se précipitent vers nous.

Je reviens vers le véhicule familial afin de repartir à la recherche de Maman. Le véhicule n’est plus là. Au loin, j’aperçois ma sœur qui suit le chemin tracé par l’hélicoptère. Le gitan tente de sauver ce qu’il a dans le coffre avant que les flammes n’emportent tout. Il manie d’opaques sachets plastiques. De la drogue? Des explosifs? Cela expliquerait son attitude. Il n’a pas le temps de tout récupérer et mime aux gens de s’éloigner de son véhicule qui prend feu.

Les bras chargés, le gitan tente de me mettre une tape dans le dos avec son coude. À son regard éclairé, je comprends qu’il me bredouille des remerciements. Je suis pressé, lui marmonne un « de rien » et me dirige vers la voiture la plus proche. C’est un 4x4 de fabrication low cost. Je demande au conducteur de me conduire dans la direction empruntée par l’hélico un peu plus tôt. Le conducteur refuse.

- Qu’est-ce qu’il y a mon ami ? me demande le gitan.

- Ma mère a disparu.

- Elle est malade ?

- Oui.

- Alors suis-moi.

Il prend le volant du 4x4. Le propriétaire s’apprête à nous interpeler quand le gitan lui lance un regard sévère :

- Tout doux l’ami, c’est une urgence.

Aux commandes, le gitan roule de nouveau à contre sens. Cette fois, il a la prudence d’emprunter la bande d’arrêt d’urgence en bordure de la forêt de pins. Son véhicule explose derrière nous. Je ne sais toujours pas ce qu’il contenait. La déflagration a tout de même le don de me réveiller de ma stupeur. Je lui signifie que ma mère est de l’autre côté, dans la direction où se dirigeaient les gendarmes et l’inspecteur aux crochets de crabe. Il secoue la tête.

- Ta mère là-bas, me dit-il en désignant un point de la forêt.

Dix minutes plus tard, et alors que je garde un silence craintif, il emprunte une sortie. Pour ce faire, il entreprend un demi-tour des plus serrés. Je me cramponne d’une main à la portière, de l’autre au tableau de bord. Il lui faut cinq nouvelles minutes pour rejoindre le point qu’il désignait dans la forêt.

- Ta mère ici, me dit-il en désignant l’édifice qui nous fait face.

C’est une ancienne construction en béton. Un manoir de briques sombres s’étalant sur 600 m2.

- Ma mère est là-dedans ?

- Si ta mère est malade et a disparu, alors oui.

Nous franchissons le portail du bâtiment. Une dame vient à notre rencontre. Je reconnais la dame rousse rencontrée au relais routier. Elle nous demande l’objet de notre visite :

- Je viens voir Maman.

- Elle est là, mais elle ne peut pas vous recevoir pour l’instant. On la prépare pour l’intervention du Pr Lapéruche.

Mon téléphone sonne. C’est ma sœur. Elle a suivi les gendarmes dans leur enquête:

- On a retrouvé Maman ! m’apprend-elle toute joyeuse

Ma sœur se trouve 30 km plus au nord sur l’A666.

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