Folle nuit.
Ian Curtis
Ils étaient trois sur ce toit. Un vent léger balayait leurs cheveux. Stephen dix-neuf ans, Kévin dix-huit ans et Kelly vingt ans. Ils ne se connaissaient que depuis trois mois, leurs vies avaient été bien différentes, et pourtant ce soir-là ils prirent la fuite ensemble.
‘'Les infirmiers ne seront pas tendres à notre retour, soupira Stephen qui était allongé près de ses deux amis allongés eux aussi.
-Essayons de ne pas penser tout de suite au retour, cela fait si longtemps que cette liberté nous manque, alors silence, déclara Kelly d'une voix calme et les yeux fermés''. Trop longtemps écartés de ce monde qui ne voulaient pas d'eux, les trois complices avaient décidés de se l'approprier durant quelques heures. Ils avaient profité d'une permission de sortie d'une heure pour prendre le large afin d'oublier leur routine et toutes ces règles propres à leur condition de patient. Ce n'était pas une évasion, mais une pause nécessaire pour la suite de leur avenir à l'hôpital.
‘'Savez-vous l'heure qu'il est ? demanda Kelly qui s'était relevée. Minuit. Ce qui veut dire que normalement nous devrions être couchés depuis une heure.
-La vie n'est-elle pas merveilleuse ? s'interrogea Stephen.
-Non''. Cette réponse lapidaire émanait de Kévin. Pauvre âme torturée, Kévin errait depuis si longtemps dans les couloirs d'un hôpital qu'il avait oublié la sensation du vent fouettant son visage et le vertige dû à l'immensité de ce ciel noir. Il s'était isolé dans un coin du toit. Ne faisant que boire et fumer, il n'arrivait pas à profiter de ce moment. Cette petite escapade ne parvint à aucun effet bénéfique sur l'esprit tourmenté de Kévin. Profondément désespéré par sa vie agitée, la souffrance était son quotidien et rien ne semblait pouvoir l'en délivrer. Perturbé depuis la mort de sa mère dans un accident de voiture, trois ans auparavant, il n'avait jamais accepté d'avoir survécu.
Kelly et Stephen représentaient deux cas différents de celui de Kévin. Kelly avait été conduite dans l'établissement psychiatrique après un joyeux saut sur les rails d'un métro. Cela ne relevait guère d'une tentative de suicide. Kelly aimait la vie au plus haut point. Trop consciente de sa mortalité, elle adoptait malgré tout un comportement loin de la prudence. Menacer sa vie, prendre le risque d'être fauché en plein envol pour se persuader que l'immortalité existait peut-être. Après une soirée, forte en consommation de drogues en tous genres, sur le chemin du retour, Kelly se mit à entendre une voix dans sa tête et qui se mit à diriger son corps. Cet épisode fut révélateur d'une sévère pathologie naissante, ce qui l'amena au cloisonnement. Elle avait beaucoup changé durant son internement, oscillant entre moments de lucidité, d'intelligence et folie pure en quelques minutes seulement.
Stephen souffrait d'hallucinations. Il partageait avec Kelly cette obligation d'un lourd traitement médicamenteux. Nul ne savait pourquoi Stephen en était arrivé là. Sa volonté de fuir le monde avait été si forte, qu'il s'était enfermé dans une réalité bien éloignée de celle de ses congénères. Le jeune homme n'était pas fou, sa conception des choses était simplement différente. Trop peu d'avis lui accordèrent ce droit à la marginalité, c'est pourquoi lui aussi était à présent cloîtré dans un hôpital.
‘'Stephen, Kévin je pense qu'il est temps que l'on rentre, Kelly prononça cette phrase avec un étonnant détachement''. Stephen se releva prêt à partir aux côtés de sa comparse, tandis que Kévin toujours dans son coin semblait absorbé par la vue qui s'offrait à lui. Il leur tournait le dos et ne
répondait pas aux appels de Kelly. Ce n'est qu'au bout de quelques minutes qu'il se retourna. ‘'Et si on sautait ?
-Serais-tu fou ? ricana Kelly.
-Il me semble que ça n'a pas encore été diagnostiqué. Vous voulez retourner là-bas ? Faire semblant de vivre et subir toutes les règles imposées ? Nous pourrions être libres pour de bon et non pour quelques heures. A mesure qu'il parlait, Kévin se rapprochait de ses deux amis. Il posa sa main sur la joue froide de Kelly. Crois-tu vraiment que vivre avec ton traitement est une meilleure solution que ce que je propose ? Qui sait ce qui nous attend ailleurs, mais ce ne pourra pas être pire qu'ici''. Stephen terrassé par la fatigue et pas une extrême lassitude, n'opposa aucune résistance. Kelly, probablement elle aussi perturbée par le manque de son traitement quotidien, se montra plus démonstrative en riant et donnant la main à ses partenaires. Sans doute était-ce le plus mauvais moment pour Kelly de s'envoler vers ses délires schizophrènes, elle qui jadis aimait tant la vie.
Ils se tenaient la main sur le rebord du toit. Kévin se demanda si Kelly et Stephen réalisaient ce qu'ils allaient faire. Avaient-ils conscience d'être au bord du vide ? Kévin envahit par le remords se dit que la culpabilité ne durerait plus que quelques secondes. Le vent fouetta une dernière fois son visage.
Oh waow, c'est saisissant ! J'adore bcp bcp !
· Il y a environ 10 ans ·littlerebel
Beau et douloureux à la fois, récit bien mené, j'aime beaucoup!
· Il y a plus de 10 ans ·dilettante
Oh il fallait pas te sentir obligée de me rendre un commentaire sympa, MAIS merci :p
· Il y a plus de 10 ans ·Ian Curtis
On ne se sent pas obligé.
· Il y a plus de 10 ans ·On le fait parce qu'on le veut.
Et je me permet de te le dire à mon tour : J'aime beaucoup!
Tomu
Merci beaucoup !
· Il y a plus de 10 ans ·Ian Curtis