Foule assassine

karen-k

Foule assassine

 

 

La clameur de la foule jaillit subitement comme un cri sec annonçant le couperet.

Du sang, c'est cela qu'elle réclamait, un coupable, c'est lui, il faut l'exécuter.

Un frisson parcourut mon échine, la folie de la foule m'avait toujours terrorisée, son chant carnassier glaçait tout mon corps, impuissante j'allais devoir assister à ce pugilat.

Mon âme se rétrécit dans mes pieds, mes yeux se brouillèrent, bloquée dans cette marée humaine je ne voulais pas voir.Mes yeux roulaient dans leurs orbites cherchant désespérément un point pour s'accrocher et ne pas laisser entrer ce spectacle dans ma mémoire.

Mais si mes yeux ne voyaient pas, mes oreilles continueraient d'entendre et mon nez sentirait quand même la sueur de cette foule assassine ivre  d'avoir trouvé un but commun et qui s'apprêtait à commettre le pire.

Les secondes s'émiettaient impuissantes et pesaient chacune un peu plus enfonçant mes épaules qui rétrécissaient à vue d'œil.

Je devenais de plus en plus petite écrasée par l'effroi de la situation.

Soudain, ma tête qui avait atteint pratiquement le sol à force de ressembler à une enclume chargée de chacun des cris de la foule cogna une autre tête, une toute petite, minuscule.

J'ouvrai mes yeux ouverts et acceptai de voir les yeux emplis de douleur et d'effroi qui me scrutaient à présent.

Des yeux nés de l'amour qui enivre. Ce visage d'ange au teint cristallin bouffé par ce regard interrogateur semblait chercher en moi et en ma minuscule tête une réponse à ce qui se passait.

Mes pensées oxydées par les années n'étaient pas parvenues à effacer la teneur d'un tel regard et ma minuscule tête n'eut qu'une envie, prendre dans ses bras ces deux yeux, les voiler d'innocence et de naïveté à nouveau, les faire repartir à zéro, avant ce moment tragique où nous étions pris tous les deux pour aimer, pour protéger, pour casser ce que ce monstre multi-têtes mouvant et écrasant était en train de détruire.

La fragilité de l'un pèse peu face à la force écrasante des autres, tu es bien peu de chose mon ange, mais pour toi je vais être tout, je vais effacer toute cette obscurité qui nous baigne.

Subitement, je sentis mon corps se déployer, mes mains devenaient géantes, elles s'enroulèrent comme un cobra autour de l'enfant et le ramenèrent contre ma poitrine.

Mes yeux s'agitèrent pour trouver un endroit où aller cacher mon petit, la foule ne me faisait plus peur, je la maudissais et la pourfendais.

Mes oreilles s'étaient bouchées, je n'entendais plus rien, mes yeux fixés dans ceux de cet être, je marchais à l'aveuglette faisant confiance à mes épaules devenues dures et brutales bousculant ceux qui étaient sur notre chemin.Je ne les voyais même plus, ils étaient devenus invisibles.

Nous atteignîmes enfin un parc à l'abri de la marée humaine et nous nous assîmes.

À l'abri, assis, unis, nos corps se mirent à trembler déchargeant leur peur.

Cette peur qui pue, cette peur qui mange, cette peur qui marque.

"Viens mon bébé , je vais te baigner dans ce fleuve et tu vas oublier..."

Nous nous éloignâmes de la foule marchant confiants main dans la main, comme si nous nous étions toujours connus...deux vagabonds solitaires sans famille ni attaches en quête d'un dortoir pour la nuit qui s'annonçait.

L'enfant ne semblait pas s'inquiéter, la ville à feu et à sang ne ressemblait plus à rien mais chacun d'entre nous avait bloqué son regard dans celui de l'autre pour ne pas voir.

La lumière douce du soir rendait les nuages roses et s'était alliée à nous pour maquiller l'horreur du spectacle que nous traversions,"autistes dans notre bulle d'amour", baignés de lumière pour faire fuir l'obscurité nous avancions avancions avancions comme si quelqu'un nous attendait quelque part.

La petite main s'agrippa à ma robe et dans un geste spontané se blottit contre moi.L'enfant m'invitait à le porter, des heures que nous marchions et il était fatigué.

Je le pris et l'embrassai, blottissant son petit visage chaud au creux de mon cou.

Une brise du soir rafraîchit mon visage et me fit sentir les larmes qui coulaient depuis combien de temps je ne savais pas.

Tendue dans l'effort, je n'avais qu'un but nous mettre à l'abri.

Une maison encore debout attira mon regard, droite au milieu des gravats et du sable.

La porte ouverte m'invitait au repos. J'y entrai.Mes pas résonnèrent dans le vacarme du silence de ce lieu déserté.

C'est là que mes jambes soulagées s'allongèrent et que mes bras fiers d'avoir porté posèrent au sol l'ange maintenant endormi.

 

  • Je le fais, je le fais ,theâtreuse amatrice aussi....

    · Il y a presque 11 ans ·
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    karen-k

  • Un texte de violence qui calme à la fin... Lire à haute voix, avec le ton, ce qu'on a écrit quand le texte est fini: le théâtreux amateur passionné que je suis vous propose ce conseil qu je tente de m'appliquer à moi-même... L'ange endormi... merci!

    · Il y a presque 11 ans ·
    Oiseau... 300

    astrov

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