Frêle

Caïn Bates

          La première fois que je l'ai vu, il se tenait debout dans un coin de la pièce. Les lueurs du feu qui ronronnait dans la cheminée illuminaient une partie de son visage avec des tons rougeâtres et projetaient son ombre sur le mur qui nous séparait de l'extérieur. Son ombre était gigantesque et couvrait presque la surface boisée, elle était presque monstrueuse et semblait déchirée à  plusieurs endroits, comme une tapisserie arrachée.

     «Qui êtes vous?! Que... que voulez-vous?!»

       Il resta immobile, silencieux, comme si il n'était qu'une statue déposée là . Je m'approchais lentement vers la table pour y attraper mon couteau quand je vis ses yeux me suivre. Quand il a vu mes doigts se refermer sur le manche, il poussa un léger soupir et agrippa le tisonnier accroché près de lui et se rapprocha de moi. À l'idée qu'il s'approche, je tressaillis et décida de m'asseoir, plus il s'approchait et plus je  m'apaisais. Une fois face à  moi, il plongea son regard sombre dans le mien et une migraine atroce parcouru mon crâne. Une fraction de seconde plus tard, il avait disparu mais des frissons me parcoururent quand je vis le tisonnier planté dans le bois de ma table fracassée.

       La seconde fois que je le vis, il attendait devant ma porte, immobile une fois de plus. Le soleil commençait déjà  Ã  se coucher derrière la colline et un vent frais se levait progressivement. Un corbeau se posa sur un arbre non loin, son coassement me sortit violemment de mes pensées, cette «créature» était elle un sombre présage?! L'autre fois, il ne s'en était pas réellement prit à  moi. Je décide de m'approcher et me rétracte quelques pas plus tard, il grognait. N'obtenant aucune autre réaction je repris ma progression et son grognement reprit légèrement plus plaintif. J'étais presque rassuré qu'il ne bouge pas et ce bruit n'avait rien de vraiment menaçant finalement. Mon pied buta contre une pierre et il releva soudainement la tête, révélant une mâchoire très abimée de laquelle sortait une fumée assez claire, son souffle peut être. Il se remis à grogner mais la fumée s'accumulait devant son visage dissimulé puis le corbeau s'envola en coassant de plus belle avant de disparaître.

     «Bon... bonjour, que puis-je faire pour toi étranger?!
-Frêle...»

    Malgré sa réponse énigmatique, j'essaya de plus belle.

     «Que désires tu?! Qui est frêle?!
-Fr... Frrrrrrr... Frrrrrrrêle.
-Frêle, oui. Qui est frêle?! Moi?! Une de vos connaissance?!»

     Il hocha légèrement la tête, comme si il réfléchissait avant de lever lentement le bras dans ma direction.

    «Frêle... Frêle... Frrrrr...»

      Sa voix était tremblante, comme si il pleurait. Il chuchota ce mot un moment avant de s'évanouir dans la brume du soir.


    Je me souviens l'avoir vu une bonne centaine de fois, il apparaissait souvent le soir  à intervalles de plus en plus régulières. À l'approche de l'hiver, il venait 2 à  3 fois par semaines avant de s'absenter des mois durant.


      La dernière fois que je l'ai vu, c'était il y a quelques minutes. Il était là, devant ma porte, je l'apercevais depuis mon lit. Son souffle ressemblait à  celui de la brise hivernale qui soufflait dehors. Il s'approcha du feu lentement et souffla légèrement et le foyer s'éteignit. Il s'approcha ensuite de moi et se mit à  gémir.

       «Bonjour Frêle, comment vas tu?!»

      Comme à  son habitude, il me répondit de son râle, celui ci devenait toujours plus plaintif. Ce soir, il avait l'air d'un soupir d'agonie. Il a mit presque une minute pour traverser la cahute, une minute qui me sembla interminable. Une fois à mon côté, il s'est assis au pied de mon lit, a posé sa tête encapuchonnée sur ma couverture et a poussé un dernier soupir. Je le croyais endormi.

     «Tu me rends visite depuis si longtemps Frêle. Pourquoi?!»

    Bien sûr, je ne m'attendais pas à  ce qu'il me réponde vraiment mais je savais qu'il tenterait au moins de pousser son gémissement mais là , rien. Seulement le silence, le même foutu silence que ces jours où il s'absentait. Je luttais contre le sommeil, malgré son aura amicale, je savais que m'endormir près de lui m'apporterait un funeste destin. J'ai répété ce mot tant de fois dans ma tête, à chaque essai, j'avais l'impression qu'il tentait de bouger. C'est au moment de m'endormir que je me suis rappelé les mots de mon frère:

       «Allez frérot, il faut que tu manges ou tu ne passera pas l'hiver. Il faut que tu prennes des forces, tu es si frêle.»

      Lui aussi, je le croyais endormi cette froide nuit de décembre. Mais là , je le revoyais ôter sa capuche et me sourire en me tendant un sac rempli de viennoiseries. Il n'était pas mort finalement, il dormait juste dans ma frêle mémoire.

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