gardienne de mort

marie-roustan

Toi, la sphinge de pierre dure, tu m’effrayes !

Il y a deux mille ans, à l’entrée de la ville antique d’Arausio, tes yeux vides interrogeaient le passant, fouillaient à l’intérieur de son âme.

Te voilà abattue, avec tes ailes brisées dans la boue séchée, ta tête emportée par la crue et déposée sous des graviers, quelque part dans la plaine.

Pourquoi es-tu là maintenant ? Pourquoi étais-tu perchée sur la toiture de ce mausolée démantelé ? Qui t’avait commandée ? Qui t’avait sculptée ? Qui gardais-tu ?

J’aime l’homme qui te méprise parce que tu es monstrueusement femelle.

J’aime cet homme semblable à Apollon lauré qui resplendit dans le ciel et toi, je te hais parce que tu es gardienne de mort.

Phryxus te méprisait aussi, sans doute, lui qui a voulu d’une rotonde pure et classique, tout près de toi. Sa monstruosité à lui, elle était dans la démesure.

Toi, tu réveillais, dans l’homme qui passait au-dessous de toi, la peur de la femelle démoniaque.

Tu étais à la fois la maternité et la mort, source de vie : des êtres meurent pour que d’autres vivent.

La succession des saisons est gage d’éternité, mais pas pour nous, pauvres mortels.

Toi, qui rassemble en ton être ce qui vole, ce qui court et ce qui nourrit, tu es immortelle et sans âge. C’est pour cela que je te hais. Tu avais un visage de jeune fille mais ta patte griffue retient encore cette tête décharnée qui fut toi autrefois.

Moi, au contraire, je suis née et je mourrai. Il naitra, trop tard après moi, l’homme que j’aurai pu aimer. Mais pourquoi le temps ne peut-il attendre, pourquoi est-ce que je sens dans mon être, la marque de ce temps que je ne maitriserai jamais ?

Il m’effrayait, l’homme qui m’aimait et me désirait.

Cet homme que je n’ai pas aimé, revit-il autre part ?

Toi la sphinge, sais-tu s’il est heureux ?

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