GENESIS

Je me souviens.

Marie est venue sur Terre en hiver, présent d'Epiphanie à un foyer sevré d'amour. Elle a offert à la communauté ce que chacun lui réclamait de façon muette.

Pour leur être agréable, elle a revêtu chacune des panoplies qu'on lui a prêtées :

Obéissance

Frugalité

Abstinence

Travail

Pénitence

Enfant-amie de tous, docile, attentive, elle s'est fondue dans le moule de la conformité, présenté comme le modèle unique à suivre.

Individualité, Originalité et Liberté étaient bannies.

Elles représentaient une menace pour la cohésion du groupe et, par conséquent, sa survie.

Adulte, Marie travaille sans relâche, laborieusement, aux ordres de la hiérarchie. Elle reçoit des instructions qu'elle suit à la lettre, consciencieusement, du matin au soir, cinq jours sur sept. C'est ce qu'on attend d'elle.

Ses journées se ressemblent. Elles sont floues, dans des nuances de gris. Chaque matin, elle rejoint la fourmilière pour y recevoir les nouvelles instructions et les appliquer. Chaque soir, elle quitte le chantier et retrouve la liberté.

Elle est secrétaire, dans un petit local, dans une grande entreprise, pour un grand patron. Voyez comme elle s'active :

Elle classe,

Elle frappe des courriers,

Elle répond au téléphone,

Elle frappe des courriers,

Elle classe,

La routine…

Ses journées sont vides d'intérêt. On ne lui demande pas de rêver. Il s'agit d'exécuter les tâches qui lui sont assignées. Au fil des années, les courriers se sont allongés, les procédures alourdies, les formulaires multipliés. Tout cela a-t-il un sens ? Elle prépare le café aussi, dès qu'elle arrive à son poste. Ca, au moins, c'est utile, à tous. Elle est là bien avant les autres. Elle fait parfois les courses de son patron, ce qui lui permet de respirer un peu, à l'air libre. Et puis, un service en vaut bien un autre. Elle le lui rappellera !

Le local possède une fenêtre qui l'éclaire juste assez pour permettre l'accomplissement des tâches qui lui sont affectées. Quelle tromperie ! La lumière ne pénètre pas en tel endroit. Pour absorber la lumière, il faut s'échapper de ce monde usinier. Dehors, il y a la vie en couleurs.

Enfin mature, sa conscience entend Janus qui frappe. Gardien des passages, avec une vision simultanée du passé et du futur, il l'invite à prendre un nouveau chemin et facilite la transition de son état d'esclave à celui d'affranchie. Elle a passé la moitié de sa vie humaine à apprendre à s'insérer dans la communauté, pour la satisfaction de cette dernière. Il est temps, pour la moitié qui lui reste, de vivre pour sa propre satisfaction, en devenant créatrice de ses jours. La transition a duré plus de dix années, depuis le songe d'une nuit d'été jusqu'à un soir de septembre où l'esprit a perdu ses repères. Elle aperçoit le bout du tunnel. Il y a tellement de lumière qu'elle en est aveuglée. Toutes les aventures vécues dans le tunnel l'ont forgée pour ce moment. Elle a plusieurs routes devant elle et se prépare pour le saut dans l'inconnu.