Graffiti

awne

Un petit texte relativement court qui mêle bons sentiments et quelques éléments de mon récent voyage...

Une bombe de peinture à la main, une lampe-torche coincée entre les dents. Son amie, Lorelei, fait le guet pour lui à quelques mètres. Camouflée derrière sa capuche, elle baisse la tête au moindre passant qui circule dans la rue, anxieuse de se faire repérer. Elle est effrayée à l'idée de se faire choper par les flics. Elle sait pertinemment que la prochaine fois qu'elle est attrapée en train de commettre une infraction, elle passe par la case maison de correction. Lorelei mord sa lèvre inférieure et jette un regard en coin vers son compagnon. « Grouille, bordel ! » lui assène-t-elle.

Décidément, Lorelei ne comprend rien à rien. Voilà ce que pense Wolfgang à l'instant précis où celle-ci lui crache sa réplique. Elle ne pige pas que ce que je réalise, c'est de l'art. Et sur cette pensée, l'adolescent poursuit son œuvre, exalté à l'idée d'observer la tête des curieux demain, effarés par sa peinture. Oh, ne croyez pas qu'il s'agit là de quelque chose de pernicieux ; Simplement polémique. Avec application, Wolfgang utilise sa bombe et fait immerger son idée sur ce mur. Il est déjà heureux rien qu'à l'idée de faire soulever les mécontentements avec son street art. Peut-être ne demeurera-t-il que quelques heures sur ce mur, peut-être ne sera-t-il pas vu par énormément de personnes mais au moins il aura été vu. Et il aura créé une opinion.

« Wolf, faut qu'on se casse ! » déclare soudainement Lorelei en accourant vers lui. L'intéressé ne relève pas la tête de son travail, continue minutieusement son tag. Il est comme en transe, il ne se focalise plus sur ce qu'il se passe autour de lui, il y a juste lui et son art. C'est tout. La jeune fille l'attrape par l'épaule, ramenant Wolfgang à la réalité. Elle le secoue un peu tout en lui expliquant qu'une patrouille de police se dirigeait vers eux. « Et merde ! » Lâcha Wolfgang en fronçant les sourcils, frustré. Ils devaient déguerpir. Même s'il voulait à tout prix finir sa peinture, il savait bien qu'il ne pouvait pas prendre de risques, rien que pour Lorelei. Il enfourne rapidement ses affaires dans son sac à dos et tous deux partent en courant dans la direction opposée à celle des agents. Ils bifurquent sur plusieurs croisements avant d'atteindre le centre-ville de Berlin. Lorelei et Wolfgang s'enfoncent dans la masse, parmi les groupes de potes, les fêtards, les amoureux, les solitaires. Les voitures, elles, ne cessent jamais leur course folle, pressées et dangereuses, se grillant la priorité les unes aux autres. Les deux compères passent à côté de l'horloge astronomique, l'un des restes majeurs de l'ancienne république démocratique d'Allemagne sans y faire réellement attention. Ils finissent par se poser dans un Burger King, où ils commandent leur repas du soir. Lorelei commence à grignoter son burger au poulet tandis que Wolfgang aspire d'une seule traite son soda. Le silence règne entre eux. Lorelei est encore chamboulée par l'idée qu'elle avait failli se faire attraper, Wolfgang perdu dans ses pensées. Il était amer. Déçu de ne pas avoir pu terminer ce qu'il avait entrepris. Le début de son tag allait sûrement se faire nettoyer avant même qu'il ait eu la chance d'y retourner. Et avoir ne serait-ce l'idée que d'y rôder de nouveau après alors qu'ils seront désormais vigilants, se doutant que des « racailles » traînaient dans le coin pour salir leurs murs, c'était foutu. Il soupire, ce qui attise la curiosité de Lorelei. Celle-ci le réconforte, lui disant qu'il pourra toujours retenter un de ces quatre. Il hausse les épaules, dépité et repart dans son mutisme.

Les deux jeunes se quittent aux abords de l'hôtel de ville, devant l'imposante fontaine de Neptune, une des plus populaires de la ville. Plus loin, la Fernsehturm de Berlin domine de par sa taille le reste de la ville. Wolfgang a du mal à percevoir la pointe à cause du noir encre sans une quelconque étoile qui tâche le ciel. Les mains dans les poches, le blond continue de marcher, son sac à dos posé sur une épaule, maugréant contre la police. Il s'avance dans les rues, qui petit à petit se vident. Les gens sortent des cafés, des restaurants. Les amis et fêtards se sont déjà infiltrés dans les boîtes de nuit. Le jeune homme arrive enfin chez lui. Il se dirige directement vers son lit, fatigué, et s'endort d'une traite.

Le lendemain matin, Wolfgang se réveille, des idées noires plein la tête. Il peste encore par rapport à hier. « Fais chier » cesse-t-il de crier dans son esprit. Sa tasse de café noire à la main, il parcourt du regard le paysage qui s'offre à lui. La ville sommeille encore, bien qu'on soit samedi et qu'il soit 8h30. On aperçoit quelques clochards partir furtivement de leurs abris de fortune, un ou deux joggeurs réaliser leur exploit matinal, des vieux se diriger lentement vers la boulangerie du coin. Quelques touristes sont déjà là, prêts à dégainer leur perche à selfie pour se prendre devant les monuments et envoyer ça directement sur leur Instagram. Wolfgang ferme les yeux. Il hésite. Est-ce qu'il doit retourner sur le lieu de son crime pour voir s'il a été effacé ? Après mûre réflexion, il enfile son bonnet, ses gants, son écharpe. Emmitouflé et prêt à faire face à l'hiver rude, il s'engouffre au-dehors, son sac sur le dos. Il parcourt le chemin de la veille en sens inverse, passe devant des magasins qui commencent seulement à ouvrir leurs portes, devant des bâtiments en construction ou en rénovation. Il évite quelques passants désorientés, des étrangers sans doute. Il dépasse la cathédrale, tourne plusieurs fois à gauche, passe un pont. Puis il arrive à destination. Et là, c'est avec étonnement qu'il découvre que son graffiti est intact. Mieux encore : des badauds se sont regroupés autour, curieux, et semble le commenter. Wolfgang se rapproche, comme si de rien n'était. Il se faufile parmi les gens et écoute ; Son œuvre a l'air de faire bonne impression. Elle crée une opinion. Comme il le souhaitait. Un sourire apparaît sur les lèvres du jeune homme : son pari est réussi. Il a posé une problématique à travers son art et les gens ont répondu. Il tourne la tête et aperçoit deux jeunes le prendre en photo. Wolfgang est fier. Sans doute vont-ils le diffuser sur internet, sur les réseaux sociaux. Il est heureux. Extatique de savoir que ce qu'il pourrait sembler être banal, un simple amas de peinture chimique entreposé sur un mur décrépi ait l'effet escompté.

Maintenant, me direz-vous : quel est donc ce tag, ce chef-d'œuvre évoqué depuis si longtemps ? Simplement une représentation de ce qu'est la vie humaine, une vie difficile, douloureuse, teintée de désespoir et de haine, de dégoût et de rivalité. Mais aussi d'amour, d'espoir, de bonheur, de tolérance et de compassion. Tout être humain est doté de défauts mais aussi de qualités et c'est ce qui représente la vie. La vie ne peut être dépourvue de mauvais côtés et ne peut avoir que de bons côtés : c'est le mélange des deux qui fait de nous ce que nous sommes, qui nous fortifient et nous rend meilleurs. Ainsi donc est l'existence humaine.


© Awne, 2017.
Image prise par mes soins à Berlin.
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