Happy New Year

Anthony Nw

Happy New Year


Ce texte a été rédigé dans le cadre exclusif du concours « Comédie romantique » proposé par Flammarion sur le site Welovewords.com.        


Début du roman (7496 signes)         
Synopsis (3398 signes)         
Totalité du document (11134 signes, espaces non compris)         


Début du roman :


     La systématisation du mariage d’amour donna naissance à une génération de paumés. C’est ainsi qu’Alice et Martin passèrent le réveillon du nouvel an en compagnie de quelques sans abris, réfugiés au fast food du coin le temps d’une soirée. De ces deux personnages, seul Martin avait pleinement conscience de sa situation. Dans vingt minutes, il rejoindrait l’aéroport, où son vol pour Kuala Lumpur s’apprêterait à décoller. Martin aurait très bien pu déjà y être. Sa réunion à Paris n’avait duré que de 14h00 à 14h30 et il n’y avait été question que d’un changement de pneumatiques et d’un achat de couvre-culasses. Puis Martin avait prit un café avec une déléguée du personnel, flâné sur les Champs Elysées en prétextant chercher un cadeau pour son père, et avait atterrit là, sur ce simili-bar à connections Wi-Fi intégrées. Martin n’aimait pas l’idée de passer les fêtes dans un aéroport. La voix mécanique souhaitant la bonne année aux voyageurs en transit l’aurait mit mal à l’aise. En revanche, Martin aimait les hamburgers.  
     C’est simple un hamburger, c’est en tout cas ce qu’en pensait Alice. Deux tranches de pains, un steak de cinquante grammes, une lamelle de cornichons, quelques oignons et un peu de sauce. C’est un produit tout à fait naturel, dont les valeurs nutritionnelles sont très clairement affichées sur l’emballage, et dont les qualités de conservations font preuve d’une exemplarité enviable, comme la femme qui l’a jadis mise au monde.
     Si Alice est actuellement dans ce fast food, c’est parce que Jules Domenech, nouveau contact Facebook de sa mère depuis maintenant trois semaines, n’est pas venu réveillonner avec elle ce soir. Jules avait pourtant promis, mais sa femme n’avait pas cédé. Elle était persuadé qu’il n’allait pas lui acheter des fleurs en cette heure si tardive. Jules n’était donc pas sorti et c’est Alice qui avait du prendre le relais. Comme toujours, il lui avait fallu consoler sa gentille maman, et la péniche du nouvel an était cette fois partie voguer sans elle, emportant tous ses amis dans sa coque, à plus de dix mètres des bords de Seine.    
     Martin tenait entre ses mains un exemplaire du Figaro et Alice observait fixement l’écran de son netbook. Pourtant, il était inéluctable qu’en cette soirée du nouvel an ces deux personnages aient envie d’offrir leurs bouches à une oreille. C’est Martin qui, le premier, prit la parole.     
      - Que devient un profil Facebook lorsque son propriétaire décide de s’absenter définitivement ?
     Il s’était levé, mais ne dominait Alice qu’avec modération. Secrétaire, elle lui répondit par instinct, sans hésiter, négligeant le fait que ce soit un inconnu qui l’interpelle ainsi.         
     - Je suppose que ses proches le ferment pour lui. Bien sûr la société conserve les données enregistrées, mais au moins le compte n’est plus accessible. Il est invisible.        
     En prononçant cette dernière phrase, Alice cliqua sur la demande de confirmation quant à sa requête. Oui, elle allait supprimer Jules Domenech de sa liste d’amis. Elle lu ensuite le statut de sa mère à voix haute.   
     - « Ma fille navigue et moi je sombre. »             
     Alice s’était déplacée et avait fait fit de son réveillon pour secourir sa mère. Non, elle n’allait pas commenter ce message en cliquant sur « J’aime ». Elle dirigea le pointeur de sa souris vers la croix rouge avant de se rétracter, puis elle répondit : « Courage maman. Bisous ♥ ». Ces mots, elle ne les prononça pas à haute voix. Pour qui ? Martin était déjà parti.           
     C’est à ce moment précis qu’Alice prit conscience de l’existence de celui qui n’était désormais plus à ses côtés, un jeune homme discret qui aimait aller contact des autres, mais qui ne voulait jamais s’imposer dans une sphère intime sans y avoir été invité au préalable. Martin était assis seul à quelques tables de là, plongé à nouveau dans son journal, par delà lequel on pouvait distinguer des sourcils d’un brun régulier, proches d’un regard sombre mais attentif. Les nouvelles étaient sans doute mauvaises, ce qui pouvait rendre service dans bien des cas.            
     Lorsqu’Alice se leva et le croisa, il put voir qu’elle portait une robe de soirée. C’était une robe noire, d’une élégance importante, qui ne lui semblait pas destinée. Des lignes argentées brillaient, contrastant curieusement avec un visage doux, sans tranchant, venu de l’Aude où d’on ne sais où. Il était alors évident pour Martin que cet accoutrement n’était qu’une tenue de camouflage. Alice appartenait au siècle dernier, plus précisément à l’année 1921, durant laquelle elle avait du recevoir sa huitième robe à fleurs. Pour autant, Martin n’avait aucune envie de la renvoyer dans son époque. Il appréciait volontiers ces escapades d’acier qui courraient le long du tissu pour souligner la longueur de ses jambes et les courbes de ses hanches.        
     Martin s’était à nouveau concentré sur la lecture de son article, une étude sur la solitude frappant les citadins dès les premiers mois de leur retraite, lorsque la main d’Alice, posée sur son épaule, l’en tira.          
     - Ma mère est un peu comme ça elle aussi, seule. Elle tente de se cougardiser pour échapper autant que possible à sa condition et je suis là pour palier les pots cassés. Enfin, généralement ces pots sont plutôt des portables.       
     Martin se retourna et répondit.    
     - Cougardiser ?  
     Alice reprit.           
     - Vous savez, les cougars, ces femmes qui tentent de séduire tout ce qui se tient sur deux pattes à l’âge où il leur en faudra bientôt une troisième.
     - Une troisième ?  
     Martin était un peu perdu, l’idée qu’Alice fasse référence à une canne allait bientôt émerger en lui, mais elle prit les devants.   
     - Je suis désolée, j’ai tendance à me confier trop rapidement. Je vous offre un demi-hamburger pour me faire pardonner ?   
     Martin n’avait plus très faim et aurait pu décliner l’invitation d’un simple geste. Il préféra, au contraire, saisir l’opportunité de manière quasi-professionnelle.       
     - Tout à l’heure… Je ne voulais pas vous gêner, c’est pour ça que je suis allé me rasseoir. On a du mal à communiquer oralement, alors je vais prendre votre numéro. On ne sait jamais, ce sera peut-être plus facile. 
     - Si vous voulez. Vous avez un stylo ? Répondit Alice, ravie d’être décontenancée. 
     - Non, mais j’ai du papier. Renchérit Martin.      
     Tandis qu’Alice fouillait son sac à la recherche d’un objet susceptible de cracher de l’encre, Martin déchira soigneusement le coin du carton qui contenait feu son sandwich. Après quelques secondes de ces activités puériles et manuelles, Alice finit par dégainer. C’était un crayon rose orné d’une mignonne petite tête de chat qui la fit rougir et fit sourire Martin. Puis elle prit le carton au dos duquel on pouvait encore distinguer les lettres IG MAC et, sans y voir la moindre référence à une quelconque friandise à la pomme, y inscrit une dizaine de chiffres.     
     Martin intervient.  
     - Attend.    
     Il fit délicatement glisser le crayon entre ses doigts, le retourna, et frotta les oreilles du chat contre le premier zéro, qu’il modifia aussitôt en un +33. Vive, Alice comprit alors que le costume de Martin n’était pas un costume de réveillon, c’était celui d’un bureaucrate, voyageur de surcroit. Elle en déduit également que s’il était dans ce fast food ce soir, plutôt que dans n’importe quel autre lieu plus festif, c’était sans doute en raison d’une affaire qui l’avait conduit en ville. Aussi, elle ne put s’empêcher de poser la question dont la réponse ne pouvait que la décevoir.            
     - Vous repartez bientôt ?  
     Ce à quoi la sentence s’appliqua immédiatement.         
     - Mon avion décolle dans moins de deux heures.          
     Alice attrapa le gobelet de Martin et le vida cul sec. Hélas la boisson sucrée n’avait pas suffisamment vieilli et manquait cruellement du moindre fruit. Alice avait agit les yeux fermés et ne les rouvrit qu’après le baiser que Martin déposa près de sa paupière droite. Décidément le type était maladroit, mais il ne manquait pas de charme. De dos, il semblait d’ailleurs mieux armé qu’à l’origine. Alice lui dit au revoir et la porte du fast food se referma.           

     - Froid, froid, il fait froid. Pisser, pisser.   
     Martin n’avait pas voulu partir aux toilettes avant de quitter Alice. Il ne faut jamais devenir humain avant d’aller au lit. Il faut savoir faire l’effort de tenir son personnage, sans quoi la sueur gagne trop vite en odeur.        
     Par chance, un square faisait face aux néons fast-foodiens et sa grille était basse. Martin s’y infiltra sans savoir qu’Alice l’observait toujours. Désormais seul face à un chêne, il contribua humblement à sa pousse sans plus de formalités. A mesure que les dernières gouttes de chaleur fuyaient son corps glacé, Martin gagnait en confiance. Cet « au revoir » laissé sans réponse était certainement d’une grande finesse. Les filles aiment les films hollywoodiens et les taxis peuvent bien attendre une minute ou deux.      
     Martin, lui, en attendit tout de même une bonne quinzaine.       
     - Vous êtes en retard ! Gronda-t-il à l’adresse du chauffeur.     
     - Et le compteur tourne, alors montez avant que je ne change d’avis. Lui rétorqua un prolo à casquette qui arborait un air des plus antipathiques […]        


Synopsis :

     Le soir du réveillon 2012, Martin et Alice se rencontrent dans un fast food. Lui, est un commercial en transit qui doit prendre l’avion dans quelques heures. Elle, a raté la péniche qui emportait ses amis vers leur fête commune, afin de consoler sa mère de l’un de ses éternels déboires amoureux. Très vite, ils se quittent, mais chacun sent qu’il est trop tôt, qu’il faut vivre quelque chose durant cette soirée, avant que leurs numéros ne périssent parmi ceux que l’on n’a jamais composés.     
     Dans le taxi qui le conduit à l’aéroport, Martin s’énerve après son chauffeur, part en claquant la porte, et oublie l’attaché-case qui contenait son téléphone portable. Ne lui reste plus que sa veste, un journal, et le petit morceau de carton au dos duquel est inscrit le numéro d’Alice. Martin est perdu en plein Paris, peut-être acceptera-t-elle de le conduire à l’aéroport ? L’occasion est trop belle pour ne pas être saisie. Les deux le pensent et n’ont pas besoin de se le dire, mais Alice doit d’abord retourner voir sa mère qui va de plus en plus mal et Martin se voit dans l’obligation de l’accompagner.    
     Découvrant ce beau trentenaire inattendu, la mère d’Alice recouvre immédiatement ses facultés de prédatrice. Elle le drague, discrètement, puis plus ouvertement, poussant sa fille à admettre qu’il est son fiancé. Drôle au départ, la situation devient embarrassante sur la route qui conduit Alice et Martin à Roissy, surtout lorsque ce dernier apprend qu’Alice n’a que dix-neuf ans. Même factice, cet engagement soudain a heurté le non-dit nécessaire à tout début d’histoire, et c’est sans regrets que Martin quitte la voiture de sa belle, lorsque celle-ci crève à huit-cent mètres du terminal.               
     Alors qu’il entame son petit jogging nocturne, notre homme pressé aperçoit son ancien taxi et peut y récupérer son attaché-case. C’est un signe, il n’a plus rien à faire ici et n’aura même pas besoin de réimprimer son billet. Alice, qui a fait un petit détour par l’épicerie pour se ravitailler, hurle dans les rues de Paris. L’ivresse, sa mère, et son incapacité à vivre cette histoire ont eu raison de sa raison.            
     Mais l’avion de Martin ne décolle pas. Les pistes sont couvertes par trente centimètres de neige, on n’avait pas vu ça depuis au moins douze mois. Il doit donc se résoudre à chercher un hôtel en ville, mais avant il compte bien rappeler Alice. Il se dit qu’il n’a pas été correct avec elle et que c’est peut-être sa peur de l’engagement qui l’a fait fuir si rapidement. Bourrée, Alice l’insulte sans même savoir à qui elle s’adresse. Martin s’inquiète, obtient le nom du lieu où elle se trouve, et la rejoint. Depuis son taxi, le chauffeur qui avait volontairement provoqué sa dispute avec notre personnage, observe la scène d’un œil attendri.        
     Alice est sur les quais de Seine, à trente mètres d’une péniche qu’elle ne peut rejoindre. Martin arrive et se confie à elle. A plusieurs reprises il lui avait mentionné son père, racontant à chaque fois une histoire différente. En vérité, son père est mort à Bangkok il y a deux jours et c’est la raison pour laquelle il voyage le soir du nouvel an.     
     Alors qu’il était là pour venir en aide à Alice, redevenue sobre entre temps, c’est désormais lui qui semble avoir le plus besoin de son réconfort et de ses soudains élans de maturité. Fini les pleurnicheries. Il y a un zodiac à leurs pieds, alors pourquoi ne pas le détourner dans un dernier geste d’enfant ?          
     Martin et Alice passent une nuit bien meilleure qu’espérée, mais au petit matin les pistes sont dégagées et le prince se doit de jouer les cendrillons. Arrivés à l’aéroport, Alice décide finalement de prendre un billet et de l’accompagner aux funérailles. Nous sommes proches de l’happy end mais il n’aura encore pas lieu, tous les billets sont réservés à ceux qui n’ont pas pu avoir leurs avions plus tôt.  
     L’Airbus décolle et Alice rejoint sa voiture, elle aura désormais tout le temps de regonfler son pneu. Ce n’est pas facile pour une jeune fille sans assistance, mais Martin qui n’est pas monté dans l’avion est là pour lui donner un coup de main. C’est ce qu’aurait voulu son père.

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