Friend Zone
lereilly
SYNOPSIS
« Je préfère qu’on reste amis. »
Thomas a beaucoup plus eu l’occasion de prononcer ces mots que de les entendre, lui qui enchaîne les conquêtes éphémères sans le moindre remord. Brillant trentenaire à la tête de son propre cabinet d’architecte, beau garçon, sûr de lui, il ne comprend pas pourquoi sa dernière cliente repousse ses avances. Sandra aurait dû accepter un diner avant de passer à la casserole. Au lieu de ça, la farouche brunette vient d’exiler Thomas en quelques mots dans un endroit qu’il ne connait que de nom : la Friend Zone. Là où personne ne vous entend flirter.
Non seulement Sandra ne semble plus l’entendre ou le voir, ne s’adressant qu’à l’ami et collaborateur de Thomas, mais il lui semble impossible de la toucher, comme si l’univers l’avait placé sur un plan différent. Rapidement, le quotidien jusqu’ici bien réglé du trentenaire se peuple peu à peu de filles étranges. La nouvelle caissière de sa superette est désagréable avec lui, triche sur ses achats pour lui faire payer plus. A son club de gym, un duo d’habituées se met à lui mener la vie dure et manque de le tuer à coup d’haltères. Caroline, la jeune femme qui vient d’emménager à côté de son appartement semble le haïr au point de lui pourrir la vie au quotidien.
Une confrontation plus tard suite au boucan nocturne de trop et Caroline lui avoue la vérité. Toutes ces femmes sont issues du passé de Thomas, ce sont toutes celles à qui il a choisi dire qu’il préférait rester ami au lieu de leur donner leur chance ou d’assumer son manque d’intérêt. Il les a bannies dans la Friend Zone où elles attendent leur vengeance depuis des années. Elle-même a été repoussée lorsqu’elle lui avait demandé d’être son cavalier au bal de fin de collège, quinze ans plus tôt. A présent qu’il est prisonnier dans la Friend Zone avec celles qu’il a bafoué, elles vont s’en donner à cœur joie maintenant qu’elles peuvent lui parler, le toucher, l’atteindre.
D’après Caroline, la seule solution pour Thomas est de changer, de devenir le genre d’homme qui arriverait à toucher celle qui l’a rejeté. Pour s’extirper de la Friend Zone, il doit devenir meilleur et conquérir Sandra. Accompagné et aidé par l’ombre de son passé, Thomas apprend, réfléchit, repense à ses actions et commence à se poser les bonnes questions. En retraçant son passé sentimental, il relie celles qu’il a repoussé et commence à comprendre pourquoi. Au passage il réalise à quel point son meilleur ami est malheureux derrière la façade qu’il affiche en public. Ce chemin pavé de repentance et d’excuses lui permet de petit à petit réapparaitre dans le réel de Sandra, qui finit par accepter un second diner avec lui. Et plus parce qu’affinité.
Le lendemain matin, Thomas est perdu. D’une part parce qu’il regrette sa soirée et ne comprend pas pourquoi il n’a absolument rien ressenti de la nuit. D’autre part parce qu’il n’arrive plus à joindre Caroline, qui semble avoir disparu de la surface de la Terre. Rapidement il comprend. En séduisant Sandra il est repassé de l’autre côté et a laissé son flirt de jeunesse dans la Friend Zone. Pile au moment où il prend enfin conscience que c’est avec elle qu’il devait être, que tout ce qu’elle lui a appris était pour elle, il n’arrive plus à la voir.
Abandonnant Sandra, il retourne chez lui au pas de course et tambourine à la porte de sa voisine. Sans réponse de sa part il essaie d’enfoncer la lourde porte qui refuse de céder. Architecte, il connait les points de contact entre leurs deux appartements et se lance dans la démolition en règle d’une partie du mur mitoyen. Mais le deux pièces est complètement vide. Caroline a comme déménagé dans la nuit, emportant avec elle toute trace de son existence. Thomas s’effondre à genoux et finit par se confesser au néant. Les larmes aux yeux, il avoue ses regrets, ses sentiments, son amour qu’il comprend enfin.
Lorsqu’il rouvre les yeux, les meubles ont réapparu, Caroline aussi est là. Depuis l’autre côté elle a tout entendu et offre ses lèvres à celui qu’elle a tant attendu. Elle aussi s’est échappée de la Friend Zone.
Il lui suffisait simplement de conquérir le cœur de celui qui l’y avait envoyé.
DEBUT DU ROMAN
Une jeune rousse dort, nue, à califourchon sur les draps froissés de Thomas. Mais le trentenaire s’en fiche. Fraîchement sorti de la douche, uniquement vêtu d’un pantalon sombre lâché sur ses hanches, il s’occupe lui. Il savoure le moment. Le couple de minutes durant lesquelles il prépare son café est sacré, n’appartient qu’à lui. Dans la pénombre de sa cuisine américaine, Thomas écrase les grains de cafés sous la presse de sa fringante machine à expresso. Cadeau de ses trente ans, auto-cadeau, étant donné que l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Derrière sa petite mèche de cheveux bruns, il ne peut s’empêcher de sourire à la vision des muscles de son bras en plein effort.
De la chambre un bruit. On s’étire, on se défroisse.
Thomas verrouille sa dose de café, effectue les derniers réglages de température et de pression. La belle italienne se met en branle, secoue ses pistons, se réchauffe. Le plan de travail vibre le temps de la chute d’un épais liquide noir, recueilli dans une tasse en porcelaine. Thomas tend la main vers l’anse du récipient puis s’interdit plusieurs secondes. Une ultime goutte vient s’amortir dans les quelques millimètres de mousse à la surface du café. Il est temps. Le trentenaire se saisit du fruit de son labeur matinal, le porte à son nez pour stimuler ses papilles, faire durer le plaisir et décupler l’envie. Il s’apprête à boire quand,
- Déjà debout ?
En deux mots, l’invitée du soir devient intruse du matin.
Sophie a eu la décence d’enfiler sa culotte de la veille avant de prendre appui le long de la poutre verticale qui sépare pièce à vivre de la chambre. Cheveux longs ondulés, deux seins qui sont une insulte faite à la gravité, un ventre de jeune fille et des jambes d’une longueur inversement proportionnelle à son curriculum, la conquête de la nuit est en attente. Thomas préfère prendre le temps de s’offrir du temps. Il ne réagit pas plus que son corps. Les yeux clos, il se noie dans le café, comme si, en ce moment précis, rien d’autre n’avait d’importance. D’ailleurs, c’est le cas. A peine le breuvage descendu il jette à la jeune femme les vêtements qu'il avait réunis sur la table dès son réveil. Sophie attrape au vol, par réflexe, le lancer de jupe, chemisier et soutien-gorge.
Sonnée, elle courbe ses lèvres en une expression de surprise qui pourrait passer pour un cœur, ou, autre chose.
- Sérieusement ?
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- Tu m’as mis en retard. Donc oui, sérieusement.
Thomas marche d'un pas décidé le long de la rue de la République, comme s’il pouvait semer Sophie. Le soleil de juin illumine la capitale des Gaules, rendant le grand brun difficile à perdre. Sa conquête trottine péniblement à sa suite sur huit centimètres de talons, incapable de parfaire son maquillage, trop occupée à froncer les sourcils. Entre deux reprises de souffle, elle se prépare à proférer une protestation. Thomas préfère l’interrompre avant même son premier mot.
- C’est un compliment. En tout cas prend-le comme tel.
Il se pose brièvement la question de savoir si qualifier leur soirée de bon exercice de cardio est un argument supplémentaire valable. Le bon sens vient lui rappeler que non. Alors qu’elle insiste.
- Tu n’arrives jamais en retard au travail ?
Si, tout le temps. Un des avantages à être fondateur associé d’un cabinet d’architecture. On arrive quand on veut.
- Non, jamais. Un des inconvénients à être fondateur associé d’un cabinet d’architecture. On n’arrive pas quand on veut.
- Alors qu’on aurait pu… Tu sais. Où est passé ton goût de l’aventure ?
- Sûrement dans un tiroir de mon bureau.
Le feu est rouge au prochain passage clouté. Le couple malgré Thomas s’arrête pour laisser passer bus et voitures. Si sa mémoire a évacué la plupart de ce que Sophie lui a confié de sa vie hier dans le bar, il se souvient distinctement qu’elle travaille à l’autre bout de la ville. Le trentenaire concentre son regard sur la bouche de métro à cent mètres de l’autre côté de la rue. Son parasite bouffi d’œstrogènes va devoir l’emprunter pour aller… pour aller quelque part. Toujours est-il qu’il n’a que quelques minutes à tenir avant de reprendre le cours normal de sa vie.
Vert. Il presse le pas. Elle lui saisit le bras.
- Tu m’appelles dans la matinée pour me dire si tu l’as retrouvé ?
Agacement.
- Quoi ?
- Ton goût du risque.
- …
Sophie fait la moue. Elle lui en veut pour quelque chose. Mais du point de vue de Thomas c’est elle qui est incompréhensible.
- Dans ton tiroir. De bureau.
Oh, ça.
- Pourquoi est-ce que j’ai l’impression que tu ne fais pas d’efforts ? C’était pas mal cette nuit non ? On aurait pu prendre le temps de parler un peu. Peut-être continuer nos discussions.
En arrêt devant le gouffre menant à la ligne A, Thomas fait remonter deux doigts le long du cou palpitant de la jeune femme. Poussant son menton par en dessous, il lui fait lever le visage. D’instinct, programmée par des heures de lectures de magazines féminins, elle ferme les yeux. Sa bouche manque celle de Thomas qui vient se lover contre son oreille.
- Je crois qu’on ne s’est pas compris. A ce compte là, je préfère que l’on reste amis.
Quand le cœur de Sophie ralentit suffisamment pour qu’elle reprenne ses esprits, elle est déjà dans le tram, une correspondance plus tard.