Heureux les simples d'esprit

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Au cours de catéchisme, monsieur le curé nous avait appris la loi du Talion, œil pour œil, dent pour dent. Après ma communion, je ne l'ai plus revu. Parce que mon papa est un anticlérical de première. Une fois faite ma béat, la beuverie organisée à la salle des fêtes de Bertry, il n'y avait plus d'intérêt à ce que j'aille à la messe. C'est dommage. J'arrivais toujours à gratter dix minutes pour me bécoter avec Valérie. De plus, Monsieur le curé est parti rejoindre Monseigneur Lefebvre. Notre femme de ménage, une grenouille de bénitier, était dans tous ses états pontificaux. Elle espérait que mon papa serait en mesure, via les relevés de son compte en banque, de retrouver sa trace. Je savais qu'il était en Suisse. Je n'ai pas d'idée s'il s'est rendu en pèlerinage au zoo de Bâle.

Moi, j'adorais qu'il distribue la bonne parole. Non pas qu'elle me soit tombée sur le coin de la tronche. Celle qu'il professait le soir à coups de poings me suffisait. Il y avait régulièrement interro écrite et j'obtenais à coup sûr des 10/10. Ma passion pour l'histoire et la géographie l'emportait. Je potassais dans le Quid pour affiner mes connaissances sur la Palestine et je cherchais dans les pages consacrées aux sciences et techniques la possibilité de marcher sur l'eau. Le bon pasteur reçu lui aussi la douche froide paternelle quand il évoqua l'idée que j'intègre le séminaire. Je pense même que ce jour-là, il a eu les foies.

Mais revenons aux applications pratiques de la justice de réciprocité divine. Je n'étais évidemment pas en mesure de répondre aux affronts de mon papa. J'avais donc contourné le problème par des pitreries qui le mettaient hors de lui.

Tout le monde y  passait. Je me souviens de mon cahier de correspondance en sixième et des annotations qui, quand j'y repense, ont un goût nostalgique à la Pagnol ou à la Doisneau : « Prend la salle de classe pour un champ de bataille et son frère pour cible » ; « La salle d'étude n'est pas un terrain d'aviation » ; « Il existe des régions plus touristiques que le Nord de la France ». La prof d'EMT avait un jour déboulé dans le bureau de mon papa, brandissant le pistolet en plastique avec lequel je l'avais menacée. Elle tenait sa vengeance de ses blouses maculées d'encre dont j'aspergeais le dos à coups de stylos plume. Je ne serais pas complet si j'omettais le jour où j'avais mis la panique en ramenant un chat que j'avais trouvé sur le chemin de l'école. Sans oublier les blousons de mes camarades assis devant moi. Quand la saison hivernale pointait le bout de son nez, je me mouchais dans les doigts puis je leur balançais ma morve. Au plus elle était verte, au mieux était le contraste et l'effet visuel ; une sorte d'Action Painting dont jamais personne ne reconnut mes talents.

Sur le chemin de retour, itou. Le père de Jean-Christophe tenait une quincaillerie et il avait pu se procurer une dizaine de cadenas. Nous avions donc accroché tous les vélos du collège, prenant soin de jeter les clés dans un caniveau. La longue avenue Jean Jaurès était le lieu idéal pour des parties de sonnettes au pas de course.

Même l'appartement trouvait grâce à mes facéties. Comme il était au-dessus de la banque, nous ne payions pas les notes de téléphone. A l'occasion, quand mes parents partaient en courses, l'Afrique Noire recevait au hasard des indicatifs téléphoniques trouvés dans l'annuaire, mes appels masqués. Un chiffon pour me changer la voix m'éviterait, je l'espérais, être démasqué si, un jour, la gendarmerie débarquait à la maison sur dénonciation.

Comme quoi, finalement, c'était bon d'être un enfant.

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