Histoire d'une mite - k

Laure Cassus

suite

 

…Ca ne faisait pas cinq minutes qu'il avait plié la table et les chandeliers que la mite réalisa soudain qu'elle venait de faire une erreur. Une erreur pour elle-même d'abord qui serait désormais surement privée d'attentions fantasmatiques de la part de son compagnon, et pour lui surtout qui n'avait pas reçu beaucoup d'encouragements à part un corps à corps.

Elle réalisa que rendre son miton malheureux n'était vraiment pas une bonne idée, elle avait fait sa 1 ère communion après tout, et puis cela la rendait tristoune de le décevoir. En plus, cette petite nausée d'elle-même finirait bien par se voir sur son teint avec le temps et quel modèle ce serait pour les enfants d'avoir des parents déçus de leur sort !

Comment rattraper le coup se prit-elle à penser ? L'amour physique ok il a eu sa dose (l'on savait compter la fréquence moyenne du mâle), la progression sociale c'est pas si mal, avoir des enfants et une compagne ça reste le nec plus ultra, la certitude qu'en appliquant le prestige de l'ascendance sur autrui et son total dévouement à la croissance des subordonnés on acquérait le respect des pairs qui s'étaient fait le même plan à moitié non pourri tout bien proportionnellement reconsidéré.

Il restait l'amour au sens propre, l'attention, la fascination, la séduction, la danse des êtres et des instants. Elle n'avait pas l'impression d'avoir tellement agi de ce côté-là. La dernière fois qu'elle s'était sentie une mite féminine c'était avant de le rencontrer, quand elle s'éclatait sur les étagères à juger tous les pulls d'un simple regard et à se faire des soirées technos carbos. Peut être faudrait-il qu'on sorte un peu se déchirer la tête, réfléchit-elle. Cette mère de famille était assez réaliste sur les plaisirs de l'existence.  

Aussi décolla-t-elle soudain du fauteuil pour aller se poser sur un smartphone en mode vibreur sur le guéridon. Elle n'y connaissait pas grand-chose en clavier tactile mais elle comprit plutôt vite quelle piste de danse cela pourrait devenir. Il restait à trouver quelques amis pour servir de faire valoir et surtout de motivation à se faire les plus beaux possibles. Mais ils n'en avaient pas. Ils n'en avaient jamais eus d'ailleurs. A vivre caché dans des chandails on ne rencontrait pas grand monde d'intéressant. L'altérité et ses problèmes, ses joies et ses surprises c'était un autre monde pour eux.

Alors il me faut partir draguer dans les plinthes et les corniches, là où se trouvent d'autres miniatures comme nous. C'est ainsi qu'elle prit son premier selfie sans faire exprès, à force de se regarder sans fin dans le miroir du téléphone jusqu'à se sentir assez présentable pour aller à la rencontre des autres.

Elle commença par les moutons qui trainaient sous le canapé. S'approchant elle réalisa qu'ils portaient bien leur nom même si ce type de toison n'était pas du tout appétissant. Il devait bien y avoir quelque parasite à y séjourner tout de même. Elle appela : y a quelqu'un ?

Sa voix se perdit dans le néant.

Ohé…..

Toujours rien.

Puis soudain un reniflement énorme s'agita entre les embrasses dorées de la parure basse du canapé. Une truffe humide composée de deux énormes cavités se déplaçait en essayant d'entrer plus avant sous la toile de jute.

La mite debout sur ses pattes arrières ne bougeait pas. La truffe reniflante arriva tellement près qu'elle finit par adhérer. Au collant. Et la voilà telle un timbre poste parcourant tout le terrain du dessous de canapé, plaquée et incapable de remuer.

Le chien finit par laisser tomber, il remonta son collet et gémit avant de se coucher en carpette. La mite profita de l'accalmie pour nettoyer ses ailes de cette humidité douteuse et partit à la rencontre des puces.

Celles-ci se trouvaient derrière les oreilles en plein exercice de méditation.

- salut, fit la mite.

- chut, asseyez vous, prenez la pose.

Elle s'exécuta et partagea la séance de coaching qui consistait à canaliser son énergie vitale vers le centre de l'abdomen plutôt que vers les pattes et la tête. Cet exercice avait pour fonction de limiter l'excentricité erratique des sauts quand les puces se retrouvaient en cavale sur un organisme.

Très intéressant pensait la mite. Le petits en feront aussi tiens ! 

Au bout d'un laps de temps qui lui parut trop prolongé, la mite se leva et bouleversant toute préséance demanda à voix haute si elles avaient déjà organisé une boum.

Les mites d'un même élan dirent OUI moi, oui moi et elles se mirent à sauter dans tous les sens, se déhanchant les unes devant les autres en se passant une patte après l'autre devant les yeux dans une lenteur parfaitement désynchronisée des oscillations de leur bassin.

Le coach hagard était dissimulé sous les électrons redevenus libres autour de lui, pauvre noyau trahi.

La mite était aux anges, elle leur expliqua qu'il y avait un dansefloor de fou sur le guéridon et qu'on pourrait s'y retrouver un de ces quatre.

Ouais carrément fit une puce gothique sans s'arrêter de pogoter, vous êtes combien ?

On est deux.

Ouah ha ha, que deux ?

Oui enfin on est 8 en fait.

Ha bon, bah c'est nickel ! et toi coach tu viens avec tes élèves du jonc de mer et c'est marre !

Une fête de fin d'année ? Pourquoi pas,  oui ...  c'est vrai qu'on est presqu'en juin.

Ouais mais alors pas de buvette pour parents, on fait pas kermesse.

Comme vous voudrez après tout.

Ils prirent tous ensemble un grand verre d'eau pure pour finaliser leur séance, et la mite dit au revoir avec en promesse la préparation d'une nuit de folie entre puces de la diversité et mites multigénérationnelles.

Aux retrouvailles avec son miteux, elle apparue tout excitée par l'envie de lui annoncer le truc et lui voyait bien qu'elle débordait d'énergie. Elle fit son récit et il s'enthousiasma comme souvent. Il avait lui-même hâte de rencontrer le coach qui lui semblait être un type sérieux parfaitement recommandable.

Restait la question des petits.

C'est pas un souci, pensa la petite mite. Ils vont apprendre à danser très vite et puis ce ne sera pas la première fois que ce sont les mômes qui font la soirée non plus !

Et il chercha du Led Zepellin, une musique de nuit qui plaisait aux enfants en bas âge à l'arrière des berlines.

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