histoire sans nombril ni queue
Guy Alexandre Sounda
L'affaire est trop belle. Jteuse. Presque incroyable. Si vous me l'aviez conté il y a deux jours je ne vous aurais pas cru d'un seul doigt. J'aurais ouvert simplement mes yeux. J'aurais craché trois fois. C'est tout. Je l'aurais pris pour une enfoirade brodée à la va-vite pour noircir "monsieur notre très cher Papa National". Je l'aurais pris pour une petite salivette crachée par les ringards de l'opposition, ces gentils loosers incapables de nous pondre un seul projet crédible et définitivement potable. Plus insatiables qu'eux n'existe pas. Toujours entrain de fulminer dans les coins. Entrain de palabrer pour des bricoles. Toujours et toujours à l'affût du beurre et de l'argent du beurre. Y en a marre à la fin ! Y a pas d'autres mecs sous le paillasson ? D'autres moins verbeux ?
Comme dirait l'autre : "donnez-nous de vrais opposants, nom de dieu de merde ! De vrais opposants qui savent s'opposer ! De vrais opposants couillus et poilus ! Allez, assez de petites frappes et de petites gonzesses qui nous mâchent les mêmes crevettes à la radio tous les jours ! Si nous avions eu des opposants dignes de ce nom eh bien nos pommes ne seraient pas cuites comme elles le sont maintenant !"
Je vous dis : l'affaire est trop belle. Trop crémeuse. Onctueuse. Elle fera des jaloux dans la sous région. Les gens vont se chercher des poux sous mes aisselles pour en connaître la formule. Une érection présidentielle à gros coups de reins Cfa ? Gros menteur ! Jamais dans ce pays on avait vu une telle performance ! A gros coups de reins Cfa ? Non, jamais ! Il y a eu des érections à petits jets d'eau d'encre dans le nord du pays. Des érections molles et flasques dissimulées sous les draps communs de la république. Des érections forcées et truquées à base de noix de cola et de gingembre.
Des érections tricotées par des marabouts des hautes montagnes et avalisées par les nations nordiques de la haute Romandie. Des érections chauffées à coups de salopette sous l'œil goguenard des observateurs extracommunautaires. Mais bon dieu une érection aussi raide et joliment coriace de la première à la dernière boutade, jamais ! Je vous le dis, demain elle nous fera des petits, cette érection-là : sept mômes allongées les unes sur les autres au milieu de nulle part, sept jumelles qui parleront une même langue et brouteront les mêmes légumes, les mêmes morceaux de cailloux ! Et chacune des sept nous fabriquera sept gamines et tant pis pour les jaloux ! Ils pourront toujours jaser et beugler jusqu'à Yongo !
Il faut dire que personne dans le pays ne s'attendait à cette connerie-là. Les gens se disaient : oh cette fois-ci, c'est fini, le soudard ne passera pas, le peuple en a marre, marre d'avaler la même sauce gombo, marre de chercher des étoiles de mer dans des ruisseaux infestés de cancrelats. Au fur et à mesure que les mois s'approchaient du fameux 12 juillet les gens se grattaient les mains et se tapotaient les joues en murmurant de courtes prières. Dieu, faites qu'il s'en aille, ce type ! Faites qu'il se casse en cent mille morceaux de bois à brûler le soir. Regardez ce qu'il nous a fait seigneur, oh regardez bien ! Et les opposants braillaient un peu plus que de coutume et des fois ils se mélangeaient les cordes mais personne n'y faisait attention. Tout le monde était occupé à maudire, à maugréer, à fulminer, à jaser, à pérorer autour de la fameuse date.
"- Est-ce un matin ou une nuit, le 12 juillet ? Comment ça une nuit ? Ça n' peut pas être une nuit, une date aussi cruciale, ce sera un matin pur et dur, un matin comme au premier matin du monde ! Je ne suis pas du même avis moi ! Quoi ? Le 12 juillet sera une nuit torride, une nuit ensoleillée, même les mouettes ne voudront pas dormir ! "
...Les élucubrations allaient bon train. Les mois aussi. Papa National ne disait mot. De temps en temps il se contentait d'allumer un sourire goguenard sur ses lèvres présidentielles que la télé diffusait à longueur des samedis. Les opposants et leurs épouses enrageaient. Les caméras de la république ne s'approchaient jamais d'eux. Ils pouvaient de midi à deux heures pousser des hurlements de gueules tapées jamais un seul cameraman ne pointait son œil. La tension montait. Les uns criaient ouvertement à la fraude. Les autres préféraient se taire. Dans ce pays, il ne vaut mieux pas montrer ses dents à tous les vents. Ça peut vous coûter la peau du cul. J'en sais quelque chose. Laissez tomber je ne vous dirai rien ! Les discours se faisaient la concurrence. Les mots se cognaient contre les mots. Les promesses entre elles se donnaient des coups de poings mortels : lunes de miel au bord de la méditerranée, oies sauvages dansant la rumba en culotte à la télé, ordinateurs à des prix populaires et démocratiques...
" - Je vous le jure sur les deux les mamelles de maman ! Si vous votez pour moi ici et maintenant, je ferai de vos bambins de petits chiches admirablement beaux et heureux ! Et dès que je poserai mon pied gauche au palais je mettrai ma main droite sur la manette et une lumière jamais vue et jamais rêvée éclairera toutes les poches de vos destins vidés par trente ans de...
" - N'écoutez pas ces menteries à deux balles ! Venez demain plutôt à mon meeting ! Vous entendrez des mots jamais entendus ! Des mots qui chantent a capella du matin au soir ! Des mots qui dansent du ndombolo pur et mûr ! Des mots démocratiquement savants ! Avec moi et sous moi notre pays, la république démocratique du Gombo redeviendra potable et..."
Le 12 juillet s'approchait à grandes eaux bleues. On le voyait qui dandinait au bout de la rue. Et surprise et des surprises : papa national s'était mis lui aussi au petit jeu des promesses. Hé, tous mes opposants le font alors pourquoi pas moi ? Allez ! Mangues mures et greffées en peaux de phoque. Raisins de Chine dans des pots de yaourt québécois. Mayonnaise du Togo par barques entières au large du fleuve gombo. Allocations familiales en robe sous marine. Allez ! Le pays roulait dans la farine des promesses. Le sol des campagnes était tapissé de promesses enluminées et parfumées. Les gens du village de maman ne savaient plus sur quel rein danser. Ils n'avaient jamais vu des bestioles aussi curieuses. Elles rampaient et poussaient partout. Même dans les chiottes. Les gosses n'allaient plus au champ ni même à l'école. Une cargaison de promesses fumées bouchait tous les sentiers.
Tiens, je me souviens avoir ramassé un rouleau de promesses sous ma porte ce matin-là en allant à la boulangerie. Richement brodées en fil de soie. Elles sentaient le jasmin et la goyave des îles. Maman m'a vu les tripoter les unes après les autres. Et hop ! Elle s'est mise à beugler hors d'elle. Ah si vous l'aviez entendu beugler. Comme un chanteur d'opéra ! C'est la première fois que je l'ai vu me brandir une voix aussi étrange. Velouteuse. Rocailleuse. Pierreuse...
" - Ne touche pas à cette camelote ! T'entends ? Ne plonge pas tes doigts dans cette sauce à rats ! Euh écoute maman...Ferme ta gueule et obéis !"
Le fameux rouleau a fini sa petite vie dans le fossé. Froissé. Chiffonné. Le voisin d'en face était dégouté :
"- bordel, vous devez avoir des grains de riz dans la tête ! Vous savez à qui il appartient, ce rouleau, hein vous le savez ? Franchement non ! A Papa national, couillon ! Il vous fera votre fête quand il sera réélu ! Ça coute des tonnes de sueur et de salive, ce genre de promesses !"
" - Bon et alors ? avait retorqué maman. On s'en tape ! Ça fait trente qu'il nous fabrique la même moisissure ! Vous pensez que son bric à broc changera quelque chose ?"
Ah sacrée maman ! Le 12 juillet deux mille neuf érections présidentielles a fini par se pointer. Un dimanche matin. Il avait un gros retard, le bougre. Nous étions déjà levés. Neuf heures que nous étions déjà levés. Neuf heures à attendre dehors et partout. Sous les ponts. Au creux des vagues. Dans les marchés. Neuf pénibles heures à se tourner les dents et la langue. Y en avait qui menaçaient de rentrer définitivement chez eux. Tant pis pour les érections ! D'autres éructaient des injures chauffées à blanc.
Putain de 12 juillet de mes deux ! Qu'est ce qui m'a foutu une date aussi bancale ? Quoi, il n'a pas d'horloge, cet imbécile ? Il sait pas que les gens ont d'autres chats à botter ? Y a pas que les érections sur terre, nom d'une pipe ! Bref les gens bavaient d'impatience lorsqu'enfin il s'est pointé à dix heures douze minutes et onze secondes exactement. Il avançait à pas de caméléon. Il devait être épuisé. C'est pas facile de marcher trois ans sur des routes de Yongo. Ah oui !
Quoi, vous osez douter ? Je vois bien que vous ne les connaissez pas, ces farceuses ! Elles tourbillonnent pendant des jours et des jours autour des vasières de Bissi en claironnant dans un patois que personne ne pige puis elles s'engouffrent deux lundis de suite dans une clairière à fourmis et débarquent au milieu d'un immense terrain vague tapissé de cadavres frais. Personne ne sait comment ils font pour rester aussi frais qu'une pastèque. Les anciens du village de maman prétendent que ce sont des morts de la fameuse révolution du dix huit mars mille neuf cent soixante dix huit criquets. Ils refusent de pourrir. Ils roulent du matin au soir pour nous donner mauvaise conscience.
"- Moi j'y crois pas d'un seul petit doigt. Jamais on a vu un macchabée garder propres ses yeux sous le soleil pendant plus de dix ans ! Ne faut pas non plus me prendre pour une bouteille de vin quoi ! Vous ne me referez plus le coup de Lazare, nom d'un chien !"
Oh je m'égare ! Revenons vite à la tronche de l'affaire : le 12 juillet a pris sa place dans son cagibi en bois blanc, derrière des paravents et des marchepieds abracadabrants gardés par quatre cents gendarmes de la garde ripoublicaine du haut de leurs regards chanvrés. Les gens entraient et sortaient. La mine blasée. Ils n'avaient pas grand chose à lui dire. Franchement. Par exemple maman est restée devant lui pendant des heures. Elle n'avait rien à lui murmurer. Les érections fussent-elles présidentielles c'était vraiment pas sa tasse de café. Elle n'a jamais connu de véritables érections de toute manière. Les gens ne disaient mot. Ils passaient à de tour de rôle. Un peu comme à l'église. Silencieusement. La mine terreuse. Et d'ailleurs lui aussi ne pipait mot. Vous savez de qui je parle ? Du 12 juillet ! Comme s'il n'était pas content d'être là. Il faisait la gueule en quelque sorte. Comme s'il voulait autre chose. Comme si les bouts de papier maculés d'encre et de petits drapeaux que les votards lui glissaient dans les narines ne suffisaient pas.
"- Qu'est ce qui nous flanqué un 12 juillet pareil ?"
Les gens s'étaient remis à babiller quand soudain s'est approchée une femme aussi belle qu'un ange. Les anciens du village de maman prétendent que c'est la fille cadette de Papa national déguisée en princesse des sables mouvants. La fille cadette du Soudard ? Elle tenait une caisse. Elle est entrée silencieusement dans la petite salle. Elle l'a ouvert. Délicatement. Les votards ont ouvert leurs yeux. Presque au même moment. Pas vrai ça ! Hé, tu vois ce que je vois ? Non pas vraiment ! Regarde bien, bouffi ! Des billets de reins Cfa ? La femme a plongé ses doigts dans la caisse. En un clin d'œil les billets se sont mis à pleuvoir. Neufs et pimpants. Craquant et ruisselants. Les votards bourdonnaient. Se bousculaient. Se rentraient dedans. C'est à qui ramasserait le plus grand nombre de reins Cfa. Chut...
Il pleut des milliers de tonnes de reins Cfa sur la ville. Les votards sont aux anges. Papa National exulte. Il va gagner. Pour la deux cents dixième fois. Les opposants font la gueule. Ils savent que leurs carottes sont brulées. Définitivement brulées. Les oies parlent d'un complot international tricoté dans une bicoque, au n° deux cents vingt trois de l'avenue de la révolution...
L'affaire est trop belle. Mais j'ai la vague à l'âne. Une affaire juteuse. Mais trop mal. Une affaire presque incroyable. Si vous me l'aviez murmuré il y a deux jours je ne vous aurais pas cru d'un seul doigt. J'aurais ouvert simplement mes yeux. J'aurais craché trois fois. C'est tout. Je l'aurais pris pour une enfoirade brodée à la va-vite pour...Oh et puis merde alors !
Guy Alexandre Sounda
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agreable
· Il y a environ 14 ans ·Remi Campana