Hitler, le fantasme du voyage dans le temps

Steve Grau

Tout le monde aimerait tuer Hitler dans le passé. Mais seriez-vous prêt à tuer un homme ? A supporter les conséquences d’un tel changement sur votre vie ? Et a tout arrêter si le résultat empirait ?

 

 

     Un homme apparut comme par magie dans une petite rue au centre de Munich. Âgé d'une trentaine d'années, il s'appelait Erick et avait le cheveu court et des lunettes. Il tenait surtout une sphère métallique dans ses mains qu'il se dépêcha de cacher dans son sac. Il en ressortit à la place son deuxième téléphone et vérifia qu'il était bien neuf heures trente. Il marcha dans la rue principale et s'arrêta devant un grand immeuble d'une dizaine d'étages. Il composa le numéro des pompiers pour y signaler un incendie. En moins de quelques minutes, leurs sirènes se firent entendre et leurs camions s'arrêtèrent devant l'immeuble. Des flammes jaillirent soudainement d'une fenêtre du premier étage, dans un timing parfait et ils se précipitèrent à l'intérieur. Leur intervention rapide leur permit d'évacuer tout le monde et d'empêcher l'incendie. Erick se dirigea instinctivement vers les quelques blessés regroupés en bas. Il remarqua en particulier une femme et ses deux enfants dont il ne put détourner le regard. L'image de leurs corps sans vie, asphyxiés par la fumée il y a deux ans, le hantait encore. 

Dans ce moment de faiblesse, il faillit croiser une personne en particulier ! Lui. Il mit sa capuche et partit précipitamment. Sa version du passé, à l'époque secouriste bénévole, venait d'arriver sur le site. Au lieu de trouver un incendie meurtrier qui avait tué plus d'une centaine de personnes, il se retrouva à ne rien faire tellement il y avait peu de blessé. Erick s'arrêta au tournant de la rue pour s'observer de loin. Ce n'était pas comme se regarder dans le miroir où dans une vidéo. C'était réellement un autre « lui » qui bougeait et respirait à quelques mètres de là. 

Erick retourna à l'endroit où il était apparu et ressortit la sphère de son sac. Des symboles lumineux apparurent sur toute la surface au contact de ses mains. Il régla une date et une heure puis disparut en un éclair. Il réapparut au même endroit, deux ans plus tard. Il revérifia l'heure sur son deuxième téléphone acheté pour l'occasion. Il était revenu une minute après son départ. Il retourna sur les lieux du drame. Le chantier pour la construction d'un nouvel immeuble était maintenant remplacé par l'ancien toujours flambant neuf. Il avait réussi.

Erick rentra chez lui et ouvrit une bière pour fêter son exploit. Il venait de changer la réalité. Et surtout, il avait sauvé cent huit vies. Il avait eu peur de ne rien pouvoir changer à cause d'un paradoxe temporel, mais ce ne fut pas le ca. Il remarqua son tableau dans le salon, vide de toutes photos de l'incendie. Avant son voyage, il y avait accroché un maximum d'informations pour se préparer. Dans cette nouvelle chronologie, il n'en avait pas eu besoin. Il se leva et fouilla son appartement, mais ne croisa personne. Il devait y avoir une autre version de lui qui n'avait pas vécu l'incendie dans cette nouvelle réalité. Pourtant, il n'était plus là. Il devait l'avoir simplement remplacé en retournant dans le présent. Il avait donc passé deux années légèrement différentes, où il n'avait pas été témoin de ce drame. Tout était encore nouveau pour lui, il ne connaissait rien au voyage dans le temps. La sphère avait simplement apparue devant lui dans la rue, par un pur hasard. En l'examinant, il avait découvert que des scientifiques du vingt-troisième siècle l'avait envoyée dans le passé pour une expérience. Elle aurait dû repartir toute seule dans le futur, mais elle ne l'avait jamais fait. Erick réalisa tout le pouvoir qu'il avait sur le monde. Il pouvait changer la réalité, il avait un pouvoir presque divin. En fait, il avait vraiment un pouvoir divin …

 

 

       Erick était orphelin depuis son plus jeune âge, baladé de famille en famille d'accueil pendant toute son enfance. Sa mère morte d'une maladie incurable et son père n'ayant jamais pris ses responsabilités, le voyage dans le temps ne pouvait l'aider en rien. Cela ne l'avait pas empêché de grandir et de se construire une vie. Il avait un travail honnête dans une papeterie, des amis pour sortir dans les bars et des histoires d'amour aussi brèves que passionnées. C'était un homme généreux qui était bénévole pour de nombreuses causes humanitaires. Il avait même passé deux ans en Afrique pour aider les médecins de la Croix-Rouge. Pourtant, il n'avait jamais fait quoi que ce soit de vraiment important. Aujourd'hui, il avait déjà sauvé une centaine de personnes d'une mort atroce et il était décidé à ne pas s'arrêter là. 

Une semaine après son sauvetage, Erick se trouvait au 34 rue de Schleissheim à Munich. Il se cacha dans une petite ruelle sombre où il n'y avait personne. Il sortit la sphère temporelle de son sac et la régla sur le 12 juin 1913, à onze heures. Sa mission longuement réfléchie était simple : tuer Hitler dans le passé. C'était la mission la plus populaire du voyage dans le temps. Il hésita avant de faire le grand saut. S'il réussissait, le monde qu'il retrouverait en rentrant serait totalement différent. Toutes les personnes qu'il connaissait ne seraient peut-être jamais nées, lui y compris. Mais cela sauverait aussi les cinquante millions de morts de la Seconde Guerre mondiale. Jamais il n'arriverait à se regarder dans le miroir s'il passait à côté de cela. Sa vie ne comptait pas autant. Et cette machine devait bien être arrivée devant lui pour une raison. Il passa à l'acte et activa le voyage temporel. 

En un flash aveuglant, il se retrouva dans la même rue, cent cinq ans plus tôt. Le changement de repère fut brutal. La rue était encore plus petite et sombre. Certaines portes et fenêtres n'étaient plus aux mêmes endroits et la peinture était devenue plus pâle. Même l'odeur avait changé et était moins commode avec les poubelles qui traînaient partout. Erick rejoignit la rue principale. Plus que le décor, les gens paraissaient différents. Les robes étaient longues et laissaient à peine entrevoir les chaussures. Les hommes portaient la moustache avec des cheveux courts coiffés sans gel. Les vêtements étaient généralement plus sombres et les chapeaux étaient bien plus en vogue. Erick baissa la tête pour se faire remarquer le moins possible. Il était habillé d'un vieux manteau et pantalon noir dans lesquels il ne se sentait vraiment pas à l'aise.

Erick avait trouvé l'adresse d'Hitler à cette époque, un an avant la Première Guerre mondiale. Il entra dans l'immeuble et monta au troisième étage. N'ayant pas trouvé son numéro de chambre sur Wikipédia, il toqua à toutes les portes. Seul un vieil homme lui ouvrit et il ne connaissait pas Hitler. Il fit de même aux autres étages pour le même résultat. Il ne se découragea pas pour autant et descendit dans la rue. Tracer l'itinéraire précis d'Hitler à cette  époque était impossible, mais Erich savait qu'il aimait peindre dans la ville. Il marcha une bonne demi-heure à la recherche de sa cible. Il le trouva finalement sur la place centrale, en train de peindre l'hôtel de ville sur un grand tableau. Il ressemblait à n'importe quel autre artiste de son époque. Erick regarda dans son sac. Son arme était chargée et la sécurité était levée. Il ressentit un immense frisson lui parcourir le corps à l'idée d'ôter une vie. Il se ressaisit en pensant à toutes les atrocités qu'il allait commettre. Il resta prêt de lui et attendit qu'il s'éloigne de la foule. Hitler termina sa peinture et en commença une nouvelle, au grand agacement d'Erick. Cinq minutes plus tard, une femme fit maladroitement tomber ses sacs de courses à côté d'eux et le jeune Hitler se comporta comme un vrai gentleman en l'aidant à ramasser ses affaires. Erick fut surpris de sa réaction, lui qui s'attendait à trouver un homme aigri et associable. À sa grande surprise,Hitler s'approcha de lui et lui adressa la parole.

— Vous n'êtes pas du coin ?

— Non. Ca se voit tant que ça ? demanda-t-il timidement.

— Oh oui, dit-il en le regardant de la tête au pied. Vous avez même un drôle d'accent. Qu'est-ce qui vous amène dans cette belle ville ? 

— Je cherche du travail dans la mécanique, répondit-il en répétant son histoire préparé à l'avance.

— Comme tout le monde, sourit-il. Venez, allons boire un verre. Vous ne pouvez pas visiter la ville sans connaître les meilleurs bars.

Erick fut surpris de sa proposition et acquiesça bêtement. Hitler rempila sa toile et lui parla d'un très bon bar pas loin de là. Erick le suivit dans les rues de la vieille ville en essayant de ne pas se perdre. Pendant un moment, ils se retrouvèrent seuls dans une petite ruelle. Erick reconnut la parfaite occasion de passer à l'acte et se raidit. Il attrapa l'arme dans son sac pour tuer l'homme qui marchait à ses côtés. Malgré toute sa volonté, il ne put passer à l'acte. Il débattait encore avec sa conscience lorsque des passants arrivèrent. Il avait raté sa chance.

Hitler posa ses affaires devant un bar sans penser une seconde qu'on pourrait le voler et ils entèrent à l'intérieur. Il lui offrit à Erick un verre et lui parla de tout et n'importe quoi. Erick resta très anxieux malgré l'alcool. Ce n'était pas donné à tout le monde de parler au plus grand meurtrier de tous les temps. Hitler quant à lui se laissa aller et lui raconta toute sa vie.

— Je ne suis pas allemand en fait, je suis né à Viennes en Autriche. Je voulais étudier l'art, mais j'ai était rejeté par toutes les écoles où j'ai essayé d'entrer. Je suis venu ici pour intégrer l'académie de Munich.

— Vous n'avez jamais voulut faire autre chose ?

— Non, j'ai toujours voulu vivre de ma passion. J'arrive à survivre en vendant mes peintures pour l'instant.

— Votre ville natale ne vous manque pas ? 

— Un peu, mais je ne peux pas y retourner.

— Pourquoi ? 

— Je n'ai pas envie de me faire enrôler dans l'armée. J'ai omis de m'inscrire pour faire mon service militaire et je n'ai pas envie qu'il se rappelle de moi.

— La guerre ne vous intéresse pas ?

— Bien sûr que non, je n'ai pas envie de porter les armes ! s'énerva-t-il. Et encore moins pour les Habsbourg !

Erick se surprit à avoir de la compassion pour lui. Ce n'était encore qu'une pauvre âme innocente et pacifiste. Il ne vit rien du futur dictateur sanguinaire qu'il allait devenir. Il ne pouvait vraiment plus le tuer maintenant. Dans un éclair de génie, ou peut être à cause de l'alcool, il décida d'essayer de le changer. 

— Je dois vous montrer quelque chose.

Erick sortit des journaux de son sac à dos, ainsi que de vielles photos qu'il lui donna. On y voyait la Seconde Guerre mondiale, le nombre de victimes et les atrocités des camps de concentration.

— Qu'est-ce que c'est que ça ? 

— Le futur. Je viens de l'an 2018. Vous allez devenir le Führer de l'Allemagne et vous déclencherez la Seconde Guerre mondial. Vous allez causer toutes ces atrocités. Je sais que ça fait beaucoup à encaisser, mais … 

— Qu'est-ce que c'est que ces histoires ? Ce sont des documents falsifiés ! 

— On ne peut pas trafiquer des photos Monsieur Hitler. Ca, c'est vous en 1942 et …

— C'est plus envisageable que votre histoire du futur ! 

— Je … Regardez-les s'il vous plaît, bégaya-t-il. 

— Pourquoi vous acharnez-vous sur moi ? Qui êtes-vous ? 

— Je suis juste quelqu'un qui veut vous empêcher de causer autant de morts ! 

— Non, c'est de la foutaise ! hurla-t-il en jetant les papiers en l'air. Partez ! 

— Je ne peux pas.

Hitler sortit tandis qu'Erick ramassa vite ses papiers, ne souhaitant pas laisser des affaires du futur à n'importe qui. Hitler partit en furie et Erick le suivit discrètement. Il n'était pas habitué à ce genre de situation. Il n'avait jamais été violent et ne savait pas se battre. Il n'avait même jamais rien volé dans un magasin. Mais il avait une arme. 

Hitler tourna dans une petite rue déserte. Erick prit son courage à deux mains et avança précipitamment vers lui. Il le frappa de toutes ses forces à la tête avec la sphère temporelle. Hitler tomba en avant, sonné par le choc. Erick examina la sphère, effrayé par l'idée de l'avoir cassée. Il la programma lorsqu'Hitler lui donna un coup de pied. Il se releva rapidement pour lui donner un coup de poing au menton qui lui fit perdre la sphère des mains. Il continua ensuite de le frapper de toutes ses forces. Erick tenta de répliquer, mais ne put rien faire contre la fureur de son adversaire. Un policier arriva soudainement dans la rue et leur ordonna d'arrêter. Hitler recula aussitôt, laissant Erick parterre, le visage en sang. Il se précipita sur la sphère pour la ramasser et le policier dégaina son arme.

— Lâchez cette grenade ! Tout de suite ! 

Erick se jeta sur Hitler et le policier tira. Le temps que la balle les atteigne, ils s'étaient déjà évaporés.

 

 

            Erick et Hitler réapparurent au même endroit, cent cinq ans plus tard. Il avait réussi. Hitler avait disparu en 1913 et était considéré comme mort depuis. Finalement, il avait retiré Hitler de l'histoire sans le tuer. Ce dernier fut complètement déboussolé.

— Qu'es-ce qui s'est passé ? Où es-ce qu'on est ?

— A votre avis ?

— Vous venez vraiment du futur ?

— Oui.

— Et j'ai vraiment fait toutes ces choses horribles ?

— Plus maintenant, nous sommes dans un nouveau futur où vous n'avez rien fait de mal.

Erick rejoignit la rue principale, mais ne reconnut rien autour de lui. Il avança plus loin tandis qu'Hitler le suivait d'une manière hébétée.

— Je ne reconnais rien du tout, déclara Erick.

— Comment ça ?

— Il y avait un coiffeur ici et maintenant, c'est une banque. Plus rien n'est à sa place, même les marques ont changées.

— Qu'est-ce qui s'est passé ?

— Vous avez marqué l'histoire, vous en retirez à tout changé.

— Et moi, qu'est ce que je vais faire maintenant ?

— Rien de mal, j'espère.

— Mais, ma vie ? Vous m'avez tout enlevé ! 

— Vous aurez une bien meilleure vie à cette époque. L'Allemagne ne connaît plus la guerre et la technologie est beaucoup plus évoluée et confortable. Et les vilaines moustaches sont interdites aussi. Ainsi que les génocides.

Erick marcha dans cette nouvelle ville qu'il découvrait, toujours suivit par Hitler. Chaque nouveauté lui prouvait le succès de sa mission. Il traversa plusieurs rues sans arriver à se repérer. Même si le tracé des routes n'avait pas changé, les immeubles étaient tous différents. Il remarqua cependant qu'ils étaient moins hauts. La mode aussi avait changé. Les blousons en cuir noir étaient beaucoup plus répandus, ainsi que les cheveux longs. Lui et Hitler ne passaient pas inaperçus avec leur style ancien. Erick s'arrêta finalement devant un quartier de maisons, incapable d'avancer.

— Que se passe-t-il ?

— Mes parents habitaient ici. Il y avait des immeubles avant. Que des immeubles.

— Où sont-ils ?

Erick se sécha les yeux, rattrapé par la lourde réalité.

— Ils n'ont sûrement jamais existés.

— Comment ça ?

— La Seconde Guerre mondiale a changé la vie de tout le monde. Les gens qui y étaient morts ont eu d'autres vies, d'autres enfants. Toutes les personnes que je connais ne sont peut-être jamais venues au monde. Même moi.

— Pourtant, vous êtes bien là !

— Le voyageur temporel ne subit pas les changements de réalité, les paradoxes semblent impossibles. Cela ne rend pas les choses plus simples, soupira-t-il.  

— Vous avez perdu votre vie pour moi ?

— Vous n'imaginez pas à quel point vous avez été horrible, répondit-il avec mépris. Oui, j'ai tout perdu pour sauver toutes vos victimes. J'ai tout perdu à cause de vous ! Et personne ne le saura jamais.

— Je n'ai rien demandé.

— Estimez-vous heureux de vivre. Beaucoup de gens à ma place  vous auraient simplement tué quand vous n'étiez qu'un bébé ! 

Erick fit demi-tour d'un pas énervé et Hitler se résolut à le suivre. Il sortit son téléphone et composa le numéro de ses parents. Il réalisa cependant qu'il ne captait absolument aucun réseau. Sa carte SIM n'avait jamais été enregistrée dans ce nouveau monde. Les cartes SIM n'existaient peut-être même pas, un autre format de puce téléphonique s'étant sûrement développé à la place. Il essaya sur son deuxième téléphone, en vain. Il remarqua alors que les gens se dirigeaient vers l'hôtel de ville et décida de les suivre. Il découvrit qu'un défilement militaire traversait la ville et s'en approcha. Les troupes allemandes pavanaient en formation devant les civils derrière des barrières. Il devait y avoir des centaines de soldats, avec des chars et des hélicoptères. Erick se raidit d'un coup en apercevant leur emblème militaire. C'était une croix gammée.

— Je reconnais ce symbole, il était sur vos journaux, remarqua Hitler.

Erick ne comprenait pas comment une telle chose était possible. Son sacrifice ne pouvait pas avoir été vain. Il fut subitement arraché à ses pensées lorsqu'une bombe explosa dans le public à une vingtaine de mètres. Les gens partirent en courant dans le plus grand des chaos et il faillit se faire piétiner. Les soldats envahirent ensuite la zone à la recherche du responsable. Erick aperçut finalement des cadavres mutilés autour de lui et ne put s'empêcher de vomir. Tout partait en vrille et il ne contrôlait plus rien. Hitler le retrouva dans la foule.

— Je pensais que tout devait aller mieux sans moi ? hurla-t-il dans ce vacarme.

— Bien sûr que les choses vont mieux !

Erick se dirigea vers un groupe de quelques vieillards plus loin.

— Excusez-moi ? Vous savez qui a fait ça ?

— Encore ces sales islamistes ! râla un vieil homme.

— Ils nous atteignent même ici avec l'armée à côté, continua une vielle femme.

— De mon temps, ce n'était pas comme ça !

— Vous pensez vraiment que des islamistes auraient été capables de faire ça ? répliqua un autre. C'est l'œuvre des russes ou des japonais !

— Depuis combien de temps ça dure ? demanda Erick.

— Depuis aussi longtemps que je vis mon garçon, d'où venez vous enfin ?

Erick partit précipitamment lorsqu'il aperçut des soldats fouiller les civiles. Personne ne devait trouver sa sphère temporelle. Ils pourraient la prendre pour une bombe, pire, comprendre ce que c'était. Il traversa plusieurs rues à la recherche d'un parc et s'écarta d'Hitler en prétextant avoir envie d'uriner. Il enterra la sphère dans le sol puis repartit. La sphère maintenant en sécurité, il devait savoir à tout prix ce qui était arrivé à l'histoire. 

 

 

         Hitler avait suivi Erick jusqu'à une librairie près du parc. Même s'il ne pouvait pas supporter cet homme qui lui avait tout enlevé, il n'avait pas d'autre choix que de rester avec lui. Ce monde lui était totalement étranger et dangereux et seul Erick pouvait le ramener à son époque. Erick alla au rayon des bouquins d'histoires et les feuilleta avec ardeur. Plus il en lisait, plus il semblait en détresse. Il lui arrivait même de hurler de colère de temps en temps, se faisant remarquer par tout le monde. Hitler avait beau lui demander ce qui n'allait pas, Erick ne lui répondait même plus et s'était complètement fermé. Jusqu'à ce que ce soit lui qui s'énerve.

— Écoute-moi sale voyageur temporel incompétent ! hurla-t-il avec son accent bien à lui. La moindre des choses que tu pourrais faire, c'est de me dire ce qui se passe !

— Il se passe que l'histoire est imprévisible, dit il en refermant son bouquin. Sans ta politique antisémite, Einstein ne quitte pas l'Allemagne en 1933. Il n'envoie pas non plus la lettre à Roosevelt qui ouvrit le projet Manhattan.

— C'est quoi ce foutu projet ?

— Le projet qui donna la bombe atomique aux Etats Unis. Une bombe capable de raser une ville entière. Ce furent finalement les scientifiques allemands qui la découvrirent en 1951. Ils envahirent ensuite l'Autriche et provoquèrent la Seconde Guerre mondiale en 1952, en s'alliant aussi avec l'Italie et le Japon. Ils enchaînèrent les victoires jusqu'à ce que la guerre tourne en leur défaveur en 1954. Ils bombardèrent alors Washington, Londres et Moscou le même jour. Seuls les Etats Unis n'ont pas capitulé, jusqu'à la destruction de Sans Francisco. Les Allemands gagnèrent la Seconde Guerre mondiale en à peine deux ans. Le parti nazi fut élu seulement après. Leur symbole fut la croix gammée, même sans vous. À croire que vous n'y étiez pour rien contrairement à ce que vous prétendiez. Le monde vécut depuis sous la terreur nazie. Ils empêchèrent quiconque d'avoir la bombe atomique, même leurs alliés les plus proches. Les Etats Unis étaient occupés par les nazis et les Japonais. Ils se révoltèrent en 1962, mais les nazis y mirent fin en détruisant New-York avec une bombe atomique. Ils envahirent ensuite l'Irak pour le pétrole et colonisèrent tous les pays pétroliers. En 1989, les Russes se révoltèrent à leur tour et attaquèrent les troupes allemandes sur leur sol. Ils déclarèrent posséder la bombe atomique et en firent exploser une sur un camp militaire nazi. Les nazis se retirèrent du pays et la guerre froide commença. Le japon l'obtient ensuite en 1992 et s'opposa à la fois à ses anciens alliés et aux Russes. La guerre froide est depuis tripartite.  

— Est-ce que c'est pire que votre présent ?

— Évidement ! Le monde subit encore la guerre froide et cette fois trois camps menacent de s'entre-tuer. Avec toutes les guerres, les occupations nazis et les génocides raciaux, il n'y a que cinq milliards d'humains sur Terre. Deux milliards ne sont jamais venus au monde à cause de moi !

— Comment un tel pouvoir a pu tomber entre les mains d'un incapable comme vous ?

— Je ne sais pas.

— Ramenez-moi dans le passé et tout ira mieux.

— Je ne sais plus quoi faire.

— Le calcul paraît pourtant simple ! Allons, venez manger un morceau, dit-il en se calmant. Vous avez besoin d'une pause j'ai l'impression, histoire de vous rafraîchir les idées et de faire le point.

Hitler entraîna Erick hors de la librairie. Il le suivit presque comme un ami, totalement désemparé.

 

 

         Erick et Adolf s'arrêtèrent à un snack pas très loin pour manger. En regardant la carte, Erick ne reconnut aucun des noms de sandwichs traditionnels de son ancien monde. Il ne put rien avaler, tandis qu'Adolf termina son repas avec grand appétit.

 — La nourriture de ce monde n'est pas si mauvaise ! Etrange au début, mais très bon à la faim.

— L'opération Foxley, marmonna Erick dans ses pensées.

— Qu'est ce que c'est que ça encore ?

— Vers la fin de la guerre, un groupe de commandos devait infiltrer l'Allemagne pour vous tuer. L'état-major a finalement annulé l'opération. Vous étiez un si mauvais stratège que tout le monde pensait que votre successeur serait meilleur que vous. Ce monde en est la preuve vivante !

— Vous n'avez rien de positif à me dire sur mon futur ? râla Adolf.

— Rien ne pouvait empêcher la Seconde Guerre mondiale finalement.

— Vous ne pouviez pas savoir, je comprends. Mais maintenant, vous devez remédier à cela. Vous devez me ramener dans le passé.

— Et laisser cinquante millions de personnes mourir !   

— C'est mieux que deux milliards !   

— Je ne vaudrais alors pas mieux que vous ! Non, je vais empêcher les scientifiques allemands de créer la bombe atomique. Je vais étudier l'histoire et trouver un moyen.

— Vous voulez commettre la même erreur deux fois ? Vous n'apprenez vraiment rien !

— Cette fois ça marchera, il le faut. Le sort de l'humanité est entre mes mains.

— La tentation du pouvoir. Attention, vous allez devenir comme moi.

— Je ne suis pas comme vous !

— Deux milliards d'humains, c'est bien plus que le Hitler de votre histoire !

Erick le prit particulièrement mal, mais il ne lui en voulait pas. Par ce qu'il savait qu'il avait raison. Adolf était devenu son unique soutien, la seule personne à qui il pouvait parler de toute cette histoire. Et il avait vraiment besoin de quelqu'un. La serveuse vint pour demander l'addition. Erick prit son porte-monnaie et paniqua en sortant ses billets. Il les lui tendit maladroitement.

— Qu'est-ce que c'est que ces billets ? Vous n'avez pas de Reichsmark ?

— Non, désolé.

— Vous n'avez pas de quoi payer ? J'appelle la police !

Elle sortit son téléphone portable et passa un appel.

— Vous n'avez pas d'argent ? demanda Hitler.

— Ils n'ont jamais eu d'euros dans ce nouveau monde. Et depuis quand on paye un snack après avoir mangé ?

— Alors là, bravo ! Vous auriez pu y penser. Vous êtes le pire voyageur temporel au monde !      

— J'étais perturbé par tout ce qui se passait.

— Alors on s'enfuit.

— Vraiment ?

— Si on reste on va se faire arrêter ! Suivez-moi !

Adolf partit en courant et Erick le suivit. Ils réussirent à faire dix mètres avant de croiser des militaires qui patrouillaient la ville depuis l'attentat. Ils les braquèrent aussitôt avec leurs fusils, les stoppant net dans leurs courses.

 — Halte ! cria l'un d'entre eux. Montrez-moi vos papiers !

— Je les ai oubliés chez moi, répondit Erick en levant les mains en l'air.

— Mes papiers sont là, répondit Adolf.

Erick lui lança de grands regards insistants, mais il les tendit à l'un des soldats.

 — C'est quoi ce truc ? On dirait les papiers de mon grand-père ! Adolf Hitler, un faux nom je présume.

— Où est-ce qu'ils ont trouvé leurs vêtements ? Dans une poubelle ? Ces gars ne sont vraiment pas nets.

Un soldat les fouilla et trouva son pistolet.

— Il a une arme ! On les arrête !

Erick et Adolf se firent passer les menottes.

— C'était pour moi ? demanda-t-il en comprenant.

— Je suis désolé, je suis vraiment désolé.

C'était la première fois qu'il se faisait arrêter et il était terrifié. Lui qui avait voulu sauver des millions de vies au péril de la sienne, il ne s'était pas préparé à un tel traitement.

           

 

          Erick et Adolf subirent un long interrogatoire au fort de la Gestapo de Munich. Le système d'identification nazie ne trouva absolument rien malgré la reconnaissance faciale et leurs empreintes génétiques. Ils étaient devenus des vrais fantômes dans cette nouvelle chronologie, ainsi que les parfaits suspects pour l'attentat de l'hôtel de ville. Leur traitement fut donc très violent, enchaînant les coups et décharges électriques pour leurs faire avouer un acte qu'ils n'avaient pas commis. Les images d'une caméra de surveillance vinrent finalement les innocenter. Ils furent considérés depuis comme de vulgaires sans papiers et jetés en cellule avec les autres. Ils passèrent la nuit en prison sans la moindre idée de ce qui allait leur arriver. Erick envisageait le pire et s'en voulait terriblement. Il avait tué tous ses proches ainsi que deux milliards d'êtres humains et allait mourir sans pouvoir les sauver. Au moins, il se consolait en pensant qu'il méritait cette punition. Adolf dans la cellule à coté n'allait guère mieux. Il avait toujours eu peur de finir en prison depuis qu'il ne s'était pas présenté à son service militaire dans l'armée autrichienne. Mais au moins, il aurait payé pour un crime qu'il avait commis, au lieu de subir les conséquences d'un futur qu'il n'avait pas encore réalisé.

Le lendemain, des soldats nazis les réveillèrent à grands coups de seaus d'eau. Ils les menottèrent et les traînèrent avec une dizaine de détenus jusqu'à un fourgon militaire pour quitter le fort. Adolf tenta de s'adresser discrètement à Erick et se prit un grand coup de matraque dans le ventre. Le fourgon les déposa finalement devant une vielle usine hors de la ville. Les soldats les firent entrer sans rien leurs dire. L'endroit n'avait rien de rassurant et l'odeur était infecte. Ils passèrent devant une salle où attendait un groupe d'une cinquantaine de vieillards. Ils avaient plus de la soixantaine et semblaient faibles et malades. Leurs yeux exprimaient une tristesse sans limite. Les soldats ne s'arrêtèrent pas et les traînèrent plus loin dans le couloir. Ils passèrent ensuite devant une autre salle similaire avec un groupe d'handicapés mentaux et physiques. Ils étaient moins nombreux, mais Erick remarqua des enfants dans le groupe. Il n'eut pas le temps de les observer plus longtemps que les soldats les firent continuer encore plus loin. Le prochain groupe de personnes comportait des étrangers, en particulier des noirs et des Arabes. Ils étaient cette fois enchaînés comme des esclaves et les soldats les surveillaient de près. Leur marche interminable s'acheva devant une dernière salle qui était cette fois totalement vide. L'un des soldats jura et ils traversèrent la salle d'attente jusqu'à une nouvelle porte. Ils arrivèrent dans un nouvel espace rempli de cadavres. Des ouvriers déplaçaient les corps sur des chariots. 

 — Vous êtes en retard, râla l'un d'entre eux. Le gaz a été lâché il y a cinq minutes.

— Tant pis alors, répondit l'un des soldats.

Erick et Adolf tentèrent de partir en courant malgré leurs menottes, terrifiés par ce qu'ils voyaient. Ils furent rapidement rattrapés par des soldats et battus sur place. Ils traînèrent ensuite les prisonniers encore plus profondément dans l'usine. Un grand tapis roulant acheminait les cadavres jusque dans un four gigantesque. Eric comprit alors qu'il se trouvait dans un grand incinérateur industriel. Tous les ennemis des nazis et les gens qui coûtaient trop chers pour la société étaient brûlés pour faire de l'électricité.

— Je suis un voyageur temporel ! hurla Erick. Je peux vous donner le voyage dans le temps ! Pitié !

Le soldat qui le tenait lui donna un coup de taser. Il lui enleva les menottes et l'amena jusqu'au bout du pont. Les autres soldats firent de même avec le reste des détenus. Tous essayèrent de s'enfuir et les soldats les frappèrent à coups de matraque et de taser. Un seul réussit à partir et fut rattrapé par une balle qui le toucha dans le dos. Deux autres près de l'incinérateur furent sauvagement jetés dans les flammes. Leurs cris d'agonies s'arrêtèrent rapidement. Erick se débattit autant qu'il le put, mais fut amené devant le four, la tête au-dessus des flammes. Il faillit se faire définitivement jeter en contrebas, lorsqu'une bombe explosa. L'usine perdit son alimentation électrique et les lumières s'éteignirent. Plusieurs autres détonations eurent lieu autour d'eux. Les prisonniers ne cherchèrent pas à savoir qui avait orchestré cet attentat, ils profitèrent immédiatement de la confusion pour s'enfuir comme des lapins. Erick suivit Adolf dans les couloirs, tandis que les soldats tiraient sur tous les prisonniers qu'ils voyaient. Ils finirent par trouver une issue de secours et sortirent à l'air libre. Des renforts arrivèrent en voilure et ils s'évaporèrent dans la zone industrielle.




         Erick et Adolf retrouvèrent le parc où la sphère temporelle était enterrée. Cette expérience horrible les avait traumatisés et ils étaient sur leur garde. Erick entendait encore les hurlements des prisonniers jetés dans les flammes. L'inhumanité avait atteint de nouvelles limites dans ce nouveau monde. Il devait à tout prix partir. Erick retrouva l'endroit où il avait creusé et récupéra la sphère.

— Je n'aurais jamais dû changer le temps, déclara-t-il. Si j'avais été tué là-bas, le monde serait resté comme ça pour toujours. Je te renvoie en 1913 après ton départ pour tout restaurer, puis j'arrête les voyages dans le temps.

— Ca ne va pas marcher. Après tout ce que j'ai vu, tu penses vraiment que je veux devenir un dictateur sanguinaire ?

— Tu n'as pas le choix, sinon le monde sera encore plus horrible !

— Non, je ne peux pas. Je ne suis pas le « Hitler » du futur. Je ne le deviendrai jamais. Je ne sais pas comment j'en suis arrivé là, mais ce n'est pas moi. Je m'écarterai du pouvoir, je ferai autre chose de ma vie.

— Écoute, c'est dur à imaginer, mais toutes les horreurs que tu as commises vont sauver notre monde. La bombe nucléaire sera répartie dans plein de pays différents et la guerre froide s'arrêtera. Il y aura une Organisation des Nations Unies et de telles atrocités deviendront moins courantes. Si tu ne le fais pas, c'est toi qui tues deux milliards d'humains cette fois.

— Alors je deviendrai le führer nazi d'Allemagne. Je déclencherai la Seconde Guerre mondiale.

— Il le faut.

— Je tuerai des millions de Juifs et de prisonniers dans des chambres à gaz, comme celle dans laquelle j'ai failli mourir.

— Pour le bien de l'humanité.

— Et je perdrai la guerre et serai l'homme le plus détesté de l'histoire.

— Tu ne peux pas gagner.

— Peut-être que si. Maintenant que je connais le futur. Je forcerai les scientifiques allemands à créer la bombe atomique avant les américains.

— Pour recréer un monde comme celui-ci ! Tu as perdu la tête ?

— Mais cette fois-ci, personne d'autre n'aura la bombe atomique ! Nous serons les seuls ! L'humanité sera unifiée autour d'une seule autorité ! Il n'y aura plus de guerre ! Plus d'atrocité ! Les nazis de cette époque ne sont pas allés assez loin. Nous rayerons tous les pays de la carte qui nous défie ! S'il n'y a plus d'ennemi, il n'y a plus de guerre ! La race aryenne sera …

Erick écouta Hitler hurler comme un fanatique. Il en avait presque oublié à qui il avait à faire avec toutes ces histoires. Hitler ne le remarqua même pas programmer la sphère sans lui, trop absorbé par ses déclarations. Il activa le voyage temporel et parti seul dans le passé. 

Erick se trouvait dans les rues de Munich le 12 Juin 1913, plus précisément là où il était arrivé la toute première fois. Il attendit une minute et fut témoin de l'arrivée de sa version du passé. Celui-ci fut surpris et se figea sur place. Il échangea un regard sombre avec son lui plus jeune, qui en disait long sur son échec. Le jeune Erick comprit et programma la machine sans rien dire. Il disparut aussi rapidement qu'il était apparu. Il avait réussi, il avait effacé ce qu'il avait fait. 

Il marcha une dernière fois dans les rues de l'époque, visitant le passé par nostalgie. En fait, il cherchait juste une excuse pour ne pas repartir tout de suite, terrifié par l'idée de retrouver un présent différent. Il programma la sphère pour arriver juste après son départ et activa le voyage.


         Erick se trouvait dans son appartement de Munich. Après une inspection minutieuse de l'histoire, rien n'avait changé. Il avait aussi vérifié que sa famille et ses amis étaient toujours en vie. Il était soulagé d'avoir rétabli sa réalité et d'avoir sauvé les deux milliards de personnes qu'il avait effacées. Il avait espéré ne pas se rappeler de cette mésaventure. Le voyageur temporel ne subissant pas les paradoxes, c'était la version plus jeune qui avait dut être effacée à son retour dans le présent. Erick arrêta d'y penser, un mal de tête temporel s'étant emparé de lui. Cette aventure l'avait vraiment traumatisé. Il avait décidé de ne plus jamais réutiliser la sphère. Le voyage dans le temps était trop imprévisible. Il programma la machine pour un dernier voyage vers le futur. Il la plaça au milieu du salon et la sphère s'évapora cinq secondes plus tard, sans date d'arrivée. 



  • Hitler est surtout le plus populaire des dictateurs. Le plus meurtrier des dirigeants serait en fait Mao Zedong avec 60 à 80 millions de morts.

    · Il y a environ 4 ans ·
    Dsc 9494 3

    Steve Grau

  • Tout le monde aimerait tuer Hitler ? Non, pas moi. Je préfère tuer Lénine. Ca épargera bien plus de vies.

    · Il y a environ 4 ans ·
    Drapeau lyonnais

    Jean Marc Brivet

  • Vision intéressante, j'ai déjà lu pas mal d'auteurs à ce sujet, et il en ressort qu'on ne peut changer le passé pour une version meilleure car il y a toujours un élément imprévisible : la fameuse théorie du chaos

    · Il y a plus de 4 ans ·
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    Marcus Volk

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