Hommage à George Sand, ou critique du vide moderne

reverine

Texte hommage à George Sand et critique du vide moderne

De lire George Sand j’en ai le souffle coupé, les yeux dans le cosmos, car ce regard dont j’aimai parler dans un de mes romans, elle le posséda, le déclina sous diverses formes. Cet auteur écrivit avec ses yeux sombres des pensées virevoltantes et des images fugaces. Jamais elle n’eût décrit une situation sans repousser les limites de la simple apparence du décor ; quand je suis en mal de poésie, que la gravité terrestre m’épuise, je relis « Indiana » et je rejoins les anges.

Que m’importe George, que tu fus le premier faux homme de l’écriture, car ce n’est pas ta qualité de femme brave qui te donna ce don. Tes livres, tout support qu’ils aient, m’imposent un respect au point de ne pas corriger la seule faute d’orthographe repérée dans ton texte : salir ton œuvre d’un coup de bic austère serait sacrilège.

Tu me rappelles ce que mes contemporains se plaisent à ne plus posséder, ou pire, à se cacher dans l’autocensure consensuelle, cet art de l’imaginaire pur, où une femme devient ourse, une ville devient femme, une maison devient ville. De nos jours, tout est tant réel, la moindre goutte de création détachée du monde est odieuse, la poésie est classifiée, emprisonnée, dans un carcan renommé « genre », et il n’y a plus de place pour la poésie dans les romans à succès, dans les exigences éditoriales.

Quand je lis tes phrases longues de parfois dix lignes, si fluides et magiques, je soupire car, à mon époque, par pure convention littéraire tu serais priée de la raccourcir. Aujourd’hui George, on veut du court, du concis, du blanc délavé, et le morceau de sucre de mes vieux souvenirs d’enfance disneytiques n’est plus qu’un morceau de sucre.

Les gens cherchent en la littérature une télévision de substitution, un écran pour sourd, un JT insolite. Pour toi qui ne connus pas cette terrible invention, songe aux postes radio qui te donneraient les dernières dépêches. Des faits divers de 300pages, des mariages people et autres adoptions sentimentalistes ornés de péripéties cinématographiques, voilà à quoi se résument la plupart des grands de mon temps. Ils cultivent les phrases à deux mots, récoltent les points, les dialogues, puis laissent pourrir la plupart des virgules et descriptions. Ou bien ils les offrent à leurs « pauvres plein d’imaginaire », à leur « paralittéraires », en oubliant que dans « paralittérature », il y a les termes d’offrande « pour la littérature ».

Alors oui George, je le clame haut et fort, ton livre fut le seul où l’histoire principale n’eut pas besoin de m’intéresser pour me captiver, lire ta plume m’aura suffit, m’aura rappelé que rien n’est figé, tout est modifiable sous la précision des mots, et qu’en rien ne s’arrêter au sens premier de ceux-ci ne permet de pondre des œuvres transcendantes. Qu’importe donc au final, ce qui arriva à Indiana, j’eus envie de la lire, encore et toujours, rien n’aurait pu me consoler le jour où j’achevai la dernière page.

Paix à toi Sand, et, même si je suis athée, je prie pour qu’un jour on entende, du haut de l’Académie Française et consort, le cri d’alarme des lecteurs en manque de diatribes métaphoriques, des auteurs résumés à moindre que leurs talents, des mots qui n’attendent qu’à recevoir un sens nouveau loin des documentaires de choc insipides et des émotions réduites à peau de chagrin.

Voilà, écrire cela m’a positivement vidée, comme tes textes qui m’ébranlent.

Une de tes descendantes admiratives, en mal d’égarements dans ce monde rempli de terre à terre fiers de l’être,

Plume du reve (pour le site Jeunes Ecrivains à la base)

PS : clin d’œil particulier au passage à Pascale Hoyois et son livre « George et moi »

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