Hommage en bonne et due forme
Fionavanessabis
To my Grandma Beryl et à ma grand-mère Laure
It has been so long since you walked and talked, out and about. But that is what I remember of you. Your brown eyes, your snowwhite hair, your back bent by trouble and fear. I have seen pictures of you when your hair was as dark as mine. Same hair, same eyes, same smile, they say.
Il y a bien longtemps que tu ne marchas ni ne parlas, alerte et leste. Mais c'est ce dont je me souviens. Tes yeux noirs, tes cheveux blancs comme neige, ton dos courbé par les soucis et la peur. J'ai vu des photos de toi quand tes cheveux étaient aussi bruns que les miens. Les mêmes. Mêmes yeux aussi, même sourire, m'ont dit les miens.
Like you, I have toiled alone, although not through war. My own civil war in what once was my family. Like you, I have loved and lost.
Comme toi, j'ai trimé seule, bien qu'au travers d'aucune guerre. Ma propre guerre civile dans ce qui fut un temps ma famille. Comme toi, j'ai aimé et perdu.
Unlike you, if my back aches, I bow only to the Almighty. My mouth is not sealed with fear ; I stand in the shadow of no man, as a mere shadow of myself. But this is the heritage of words, which came from my other long lost grandmother.
Mais à la différence de toi, si mon dos me fait mal, je ne fais la révérence qu'au Très-Haut. Ma bouche n'est pas scellée par la peur ; je ne me tiens pas dans l'ombre d'un homme, pâle ombre de moi-même. Mais cela, c'est l'héritage des mots, qui vint de mon autre grand-mère; perdue depuis longtemps déjà.
You are welcome to borrow mine and laugh your fear away. What is mine is yours.
Tu es la bienvenue pour emprunter les miens et rire de ta peur, enfin. Ce qui est mien est tien.
But like you, I feel such a small grain of sand in infinity's hand,
Down on my knees. Out with my heart. Fighting only to let my bonds give way.
I imagine you would not want to see us worry over you, and be made a fuss about.
Mais comme toi, je me sens un si petit grain de sable dans la main de l'éternité. Sur les genoux. Mon cœur hors de moi. Luttant seulement pour que mes attaches cèdent.
J'imagine que tu ne voudrais pas nous voir nous inquiéter à ton sujet, et être le centre de l'attention.
My hands are empty, no more bags to carry for you.
My feet are still, no more errands to run.
But my heart still flows with love and grief for you.
Mes mains sont vides, plus de sacs à porter pour toi.
Mes pieds sont tranquilles, plus de commissions.
Mais mon cœur déverse toujours son flot d'amour et de chagrin pour toi.
Je me rappelle du poème qui fut lu à la mort de ma grand-mère Laure, de Charles Péguy, j'aimais bien ce morceau :
"La mort n'est rien.
Je suis juste passé dans la pièce à côté"
Mes grand-parents ont tant œuvré pour moi de leur vivant, j'ai tant désiré mettre mes pas dans leur bonne influence, que j'ai toujours cru qu'il en était ainsi, qu'ils étaient pour ainsi dire dans la pièce à côté, et que je ne devais pas altérer mon regard sur eux, juste parce que je ne les voyais plus. Ils me manquent, mais aussi, je sais que je suis un peu leur prolongement, ainsi que mon frère, mes cousins et cousines. Pédagogues tous les deux, ils ont transmis beaucoup, par l'exemple, par le cœur. Ma grand-mère était une conteuse qui ne s'autorisait pas ce talent ; avant elle, sa mère l'était, et lui avait transmis. Et moi, petite, c'était mon grand plaisir, pendant qu'elle m'apprenait à broder ou tricoter, de la lancer à raconter tel ou tel épisode de sa vie d'exilée, que je connaissais par cœur, mais dont j'aimais tant les noms évocateurs, Blida, Alger, Rouïba, Sétif, Tizi-Ouzou...
Une grand-mère appelle l'autre.
Ainsi, l'une faisait vibrer les mots, l'autre était silence. L'une était oreille attentive, l'autre était regard baissé. L'une agnostique, l'autre croyante. Peut-être suis-je le trait d'union entre elles deux. Entre le Nord et le Sud. Le nord ouvrier de l'Angleterre, la ville potière de Stoke-on-Trent, le Limoges anglais où l'on fabrique la porcelaine de Wedgewood. Pour la génération de mes grand-parents, toute la ville tournait autour de la production de ce trésor bleu et blanc.
Et le Sud des exilés Pied-Noirs, originaires pour ma famille des Baléares. De la terre. Agraires.
Ainsi la première des deux qui me quitta me laissa en héritage un livre, celui de sa vie. Ses mots. Sa transmission. Avec, à la fin du livre, des pages blanches, que j'entendis me dire, un beau jour, à toi maintenant.
La seconde me laisse une plage de non-dits tout aussi riche, et si je bute sur des galets, si je tâtonne davantage et m'emmêle dans ces racines-là, j'y ai une place tout indiquée, donner la parole à celle qui n'osait que si peu la prendre. Pour qui donner de l'amour était faire un bonhomme de neige, montrer le hérisson au fond du jardin, faire griller un toast de haricots à la tomate au lard et aux champignons. Pour qui transmettre était tourner ensemble les pages d'un album photo.
A moi de continuer la danse dont tu viens de sortir, ma douce, sur la pointe des pieds, par la petite porte de derrière, à moi de continuer sans vous mes chéries, mais grâce à vous.
Je m'en remets à vous, dont je viens, petits phares croisés dans la nuit noire.
So it is time for me to carry on, in this dance you just left, my sweet grandma, on the tip of your toes, through the backdoor, I am to carry on without you dears, but thanks to you.
I rely on you, from whom I come, small lighthouses whose lights cross one another in the dark night.
Grandma, rest in peace.