HORS L'AMOUR

Lulla Bell

J'ai lâché prise Allan. Tu as défait les liens qui pouvaient encore nous garder unis. J'ai senti ton désamour pour moi s'installer définitivement dans ton cœur. Ce n'est pas ce que je voulais.

Mais, s'il te reste encore de la compassion pour moi, je n'en veux pas.

Je ne désire que la passion, sans ce ''con'' devant. De la passion pour mon con, j'en crève que tu n'en aies plus. Je n'accepte rien d'autre comme sentiment, rien que de l'amour, de la folie sexuelle ; que ce désir de dingue qui nous animait.

J'ai lâché prise Allan. Je vois comme ça te soulage. Comme tu te sens mieux. Comme ta nouvelle vie s'annonce sereine avec ton épouse, votre enfant à naître, ce foyer à construire, cette vie, ce quotidien à rentrer dans la normalité, celle que tu as toujours refusée, dénigrée en scandant que là était la mort de l'envie, la crevure du couple. Tu me laisses avancer seule dans un monde que je ne connais pas, un pays où la douleur physique et morale nique toute raison. Tu me laisses me noyer dans ce vide de toi et ce cancer qui me ronge à nouveau.

Qui as-tu fuis en premier ? Dis-le moi : La femme malade ou la femme tout court ? As-tu eu des remords ? Pensais-tu à moi lorsque tu faisais l'amour à l'autre ? Étais-je encore dans tes rêves au début de votre liaison ?

Toutes ces questions que je me pose et auxquelles tu ne répondras ja­mais. On ne peut rien bâtir avec des questions, rien construire avec une saloperie de maladie qui vous détruit chaque jour un peu plus.

Pour toi, je suis remise. Flinguées les métastases ! Une belle rémission t'a libéré du fardeau de culpabilité que tu pouvais encore avoir. Tu as quitté une femme qui pouvait à nouveau se projeter vers des lendemains.

Cela fait bien longtemps que tu as coupé les ponts entre nous. Tu ignores tout de ma rechute et du verdict : je suis foutue. Je pourrais t'appeler et t'expliquer mon état, que mes deux poumons sont atteints, que mon cancer se généralise, mais ce serait bien indélicat de ma part. Tu es devenu papa et tu portes une alliance à l'annulaire gauche.

Avant de quitter ce monde, je voudrais entendre ta voix, une dernière fois, te voir, passer ma main sur ton visage, en redessiner les contours pour garder ton souvenir dans ma peau. Je voudrais que tu me rendes cette caresse, comme tu essuyais souvent mes larmes après l'amour, comme tu essuies certainement celles de ton bébé quand il a un gros chagrin.

Avant de partir, j'aurais voulu que tu me pardonnes. Je reconnais que j'ai été égoïste. Cet égoïsme s'est planté tel un pic à glace dans mon cœur parce que je croyais que j'étais la seule femme que tu avais le droit d'aimer jusqu'à la fin, jusqu'à nos vieillesses, jusqu'à ce que nos rhumatis­mes ne nous permettent plus la gymnastique du corps pour faire l'amour librement, jusqu'à ce que même nos esprits ne sachent plus interpréter, imaginer le mot plaisir et ses sensations.

 

Allan, comme la chienne que tu aimais tant que je sois parfois, je te de­mande pardon.

Je te promets : je me roule à tes pieds en chien de fusil et je ne bouge plus.

Plus jamais.

Lulla Bell ©

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