Human Nature

fairyclo

Nuit des Plumivores, Club Jetez L'Encre. Thème : Parler de la Rencontre entre un être vivant et un être non vivant à proprement parler. Contrainte : Récit narratif en prose

Comme chaque matin depuis cinq ans, Rob allumait la cafetière à 6h00, plaçait le mug dans l’emplacement qui lui était destiné et sortait sous le perron ramasser le journal livré par Ben.


Ben, à bord de sa voiturette électrique, arpentait les six rues du lotissement à une allure chronométrée, qu’il vente, qu’il neige ou qu’il pleuve, ça ne faisait aucune différence. Il prenait un journal bien ficelé à l’arrière de son véhicule et le balançait par-dessus les haies avec la précision d’un joueur de football américain.

Au 16 Clifton Road, Jim, tout aussi matinal, tondait sa belle pelouse verte en suivant un tracé millimétré qui impressionnait toujours le voisinage. Sauf Ben qui se contentait de balancer son journal. C’est qu’il y tenait Jim, à son petit jardin. Sitôt la tondeuse nettoyée et rangée, le journal ramassé, il s’attaquait aux fleurs des jardinières et terminait son rituel par dix-huit minutes d’arrosage automatique.

Rob posa le mug sur la table de la cuisine et fila sans plus tarder, au supermarché du coin où il rencontra ses voisins avec qui il n’échangea ni un regard, ni un mot. Armé de son Caddy, il arpenta les rayons dans un ordre prédéterminé : conserves, bouteilles, quincaillerie, produits frais, légumes, fruits pour terminer par les surgelés. A la caisse, il patienta dix minutes, pas une de plus et rangea soigneusement ses courses dans des sacs différents selon leur catégorie.

Ben enchainait les petits boulots que personne d’autre ne voulait. Après sa tournée en voiturette, il s’installait dans la petite cabine de surveillance de la scierie à l’extérieur de la ville où son travail consistait à appuyer sur un gros bouton noir à chaque fois qu’un véhicule se présentait à l’entrée du parking. Il n’avait même pas besoin de vérifier qui était au volant, une machine s’occupait de lire les plaques d’immatriculation qui étaient répertoriées dans la base de données.

Quant à Jim, il restait planté devant sa fenêtre à regarder son herbe verdir et les fines gouttelettes d’eau sur les pétales de ses fleurs s’évaporer lentement à mesure que le soleil montait dans le ciel.
Sauf que depuis deux ans, personne ne buvait le café de Rob qui refroidissait chaque jour sur la table de la cuisine. Ben conduisait une voiturette vide et le jardin de Jim n’impressionnait plus personne. Il n’y avait plus rien dans les rayons du supermarché et personne ne venait à la scierie pour obliger Ben à appuyer sur son gros bouton noir.

Mais Rob, Ben, Jim, ainsi que tous les autres, ne se souciaient guère du changement qui avait eu lieu dans leur vie. Ils faisaient le ménage, ils travaillaient, ils jardinaient comme ils l’avaient toujours fait et ce n’était certainement pas un petit virus joliment nommé H78 qui allait changer leur quotidien. Peu importe si Rob devait, chaque soir, vider le café dans l’évier, laver la tasse et la ranger dans le placard. Peu importe si Ben devait rester sept heures d’affiler dans sa cabine étroite à ne rien faire. Peu importe si Jim devait tondre la pelouse tous les matins. Ils étaient des robots, ils étaient programmés pour ça.

Pourtant le lendemain, à l’endroit même où Rob avait l’habitude de ramasser le journal imaginaire de Ben sur le perron, il trouva un étrange paquet. Mais peu impressionné par la nouveauté que ce colis représentait en réalité, Rob le ramassa et le posa sur la table de la cuisine, à côté du café qu’il venait de préparer. Sans s’attarder, il poursuivit sa petite routine du mercredi qui consistait à jouer les baby-sitters pour les quatre enfants qui occupaient habituellement cette maison. Pourtant depuis deux ans, Rob n’avait personne à garder, à surveiller et à occuper. Mais puisqu’il était programmé pour ça, il sortait les jouets de la petite Jackie qu’il dispersait dans le salon, il allumait la télévision pour l’aîné – télévision qui ne diffusait rien - et s’installait à la table de la cuisine pour aider Suzanne à faire ses devoirs. Il patientait, immobile sur sa chaise quand un mouvement sur la table attira son attention. Pour ça aussi il était programmé. Il savait se montrer réactif au moindre mouvement suspect et autant dire qu’après autant d’inactivité, le vol d’une mouche l’aurait fait réagir.

C’était le colis qu’il avait ramassé ce matin qui venait de bouger. Sa tête tourna vivement dans un petit cliquetis métallique et l’écran qui lui servait d’œil fit la liste des caractéristiques – poids, taille, volume, contenance en eau, présence du virus H78, etc. – du colis. Quelques micro secondes plus tard, une message clignota sur l’écran.


« HUMAN »

Rob se leva de sa chaise, s’approcha du colis qu’il débarrassa du linge qui lui servait d’enveloppe et prit dans ses mains d’acier le petit être à la peau sombre et aux grands yeux noirs qui l’observait avec curiosité.

« Je m’appelle Rob. Je suis un robot. J’appartiens à la famille Jones. J’habite au 12 Clifton Road, Sommerville, New Jersey. » Déclara Rob de sa voix électronique, impersonnelle et légèrement brouillée par des interférences.

L’enfant émit un bruit étrange que l’intelligence artificiel de Rob interpréta comme un indicateur de joie et de confiance. Une liste de données s’afficha aussitôt sur son écran lui indiquant les besoins d’urgence dont nécessitait l’être humain.

Et parce qu’il était programmé pour ça, parce qu’il était programmé pour prendre soin des humains, Rob sut parfaitement ce qu’il devait faire, sans se poser de questions.

« Je m’appelle Rob. Je suis un robot. Tu t’appelles Aw. Tu es un humain. »

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