Hymne à la joaillerie

antigoneuh

Je suis une collectionneuse de bijoux et je me pare de mes trophées. Chaque jour, je pioche dans ma collection pour épanouir ma féminité, rehausser mon teint, consacrer ma beauté. Régulièrement, je complète mon florilège et l’agrémente d’insolites découvertes que je m’empresse d’arborer. Sans elles, ma peau ne serait que de chagrin et mon besoin de séduction contrarié.

Mes bijoux ont l’étoffe des héros de passage et des mensurations idéales quoique variées. Tous me vont à merveille, des passe-partout aux plus sophistiqués, et je le leur rends bien, étant du genre ouverte à toute nouveauté. Chacun est une perle rare avec une histoire à conter, et nombreux sont ceux qu’à la chaîne je me suis enfilés. Il y a eu les précieux, les grossiers, les véritables, les contrefaits, les fantaisistes, les solitaires, les unis, les dépareillés, les flexibles, les biscornus, les breloqués. Et même quelques antiquités. Tous me ravissent dans leur diversité, pour peu qu’ils fassent alliance avec ma convoitise débridée.

Je suis une collectionneuse de bijoux et goûte une richesse dont peu de gens peuvent se targuer, car mes bijoux sont de famille, d’une famille altière et musclée, celle des hommes bien montés. Mon corps est un écrin où viennent s’enchâsser des morceaux de bravoure. Cela me vaut dans tout Paris une réputation de femme frivole et dépravée à faire pâlir les plus vertueuses et rougir les plus libérées.


Je crois que c’est enfant que tout a commencé. Pendant que d’autres faisaient des parties de cartes ou divers jeux de société, je faisais des parties intimes une sorte de jardin secret. J’auscultais mes Barbies et leurs poitrines gonflées, déçue de ne pas trouver sur Ken la plus petite aspérité.

Je scrutais mes Barbies dans leur extrême nudité, côte à côte avec Ken auquel on avait, semble t-il, prêté le vœu de chasteté : sur sa peau en effet se devinait le simulacre d’un slip à la nécessité douteuse puisqu’aucun galbe, aucune proéminence à cacher, ne venait le justifier. Contradiction que l’enfance n’a pas empêché de saisir, piquée au vif dans son immense curiosité, bien que sans l’âge encore de se représenter cet émoi sans objet. Au ras du sous-vêtement de mon Ken inachevé, l’absence de relief laissait à désirer.

Oui, c’est bien enfant que tout a commencé, à cause de Mattel, cette marque qui mondialise des hommes émasculés. A cause de Mattel que l’âge grandissant j’ai prié mes parents de courir les musées, le Louvre et le musée d’Orsay, le musée d’art moderne et puis le Grand Palais, traquant l’homme nu sur les toiles, le bronze, le marbre ou le papier, avide de remplir le slip qu’un concepteur avait vidé. J’ai remercié Rubens, Klimt, Cézanne et les délires Wharolisés, et n’ai rien tant aimé que les statues antiques aux formes olympiques, et n’ai rien tant aimé qu’Hercule et Jupiter, Dyonisos et Hermès, qui de leur piédestal, me jetaient au visage leurs entrecuisses dénudées.

Et puis l’âge est venu de troquer la pierre contre la chair, la peinture contre la matière, et j’ai fait de ma vie une performance inégalée. Aucun homme ne m’a résistée, moi qui savais mieux que personne par quel bout les prendre pour les croquer. Tous, je les ai vus grossir dans mon lit, et j’ai fait de leurs éclats une rivière de diamants dont le velours de mes draps porte encore l’empreinte.

J’ai joui du jour présent et chaque nuit m’a comblée, j’ai fait de l’homme mon autel, de leurs pénis mes dieux, agenouillée devant la sainte verge comme d’autres se prosternent devant le Saint-Esprit, la prenant sur ma langue comme ils reçoivent l’hostie, dégustant sa semence comme ils boivent le calice jusqu’à la lie. Je me suis faite offrande jusqu’à une millième communion, et c’est un chapelet de sexes qui, aujourd’hui, compose ma collection.

Depuis peu, je m’évertue à classer ces trésors de désir, de tendresse, de plaisir, au patrimoine mondial de l’humanité, consécration d’une vie et message de volupté. Ainsi j’ai décidé de dévoiler au plus grand nombre mon intimité et, au cours d’une exposition temporaire, de porter aux nues mes hommes déshabillés. Un mois que je fais étalage de mes bijoux, entretenus pour l’occasion, briqués, frictionnés, astiqués. De cette façon, j’espère convaincre la foule de l’inestimable valeur de la jouissance à sa portée. La presse s’est vite emparée de l’affaire, aussitôt mise en branle par cet événement sans précédent, et d’aucuns parient déjà que nombreux seront ceux qui voudront à leur tour devenir membre de mon cercle privé.


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