I shout

loua

Compter les années, un deux trois soleil. Si tu bouges, t'es mort.

C'est même pas de la tristesse. Une sorte de mélange pâteux entre de la culpabilité et de la sérénité. Une once de regret, aussi, peut-être. Rien de bien grave.

Un mélange pâteux et pas bien homogène, d'ailleurs. Parfois il tombe sur une sorte de grumeau vachement amer qui lui passe pas. Ça, c'est la partie culpabilité. C'est con. Y'a rien de pas naturel dans ce qu'il fait.

Il écoute juste.

Oh, rien d'intéressant.

Le tic tac de l'horloge.

L'écho douloureux au fond de son ventre. Ou quelque chose qui y ressemble. Une envie de gerber, quelque part dans sa gorge, peut-être. Il fronce les sourcils, se pose la question, comme ça, pour voir, et c'est quoi ce truc, là, qui gigote dans sa tête ? Ça lui semble vaguement familier, quelque chose qui remonterait à sa tendre enfance, il sait plus trop.

Tic tac.

Et le silence dans la pièce.

Il aime bien ça.

Un souffle qui lui caresse le visage, un soupir, un petit ricanement satisfait, une plainte, la dernière, ça fait du bien quand c'est fini. Il balance ses jambes dans le vide, assis sur la table de jardin dans la véranda, moitié dehors, moitié dedans, jamais bien défini. Juste ce petit goût de manque qui l'emmerde, le taquine, le tiraille, le nargue, il essaie d'ignorer mais c'est dur.

Tant pis.

Il regarde dehors, le soleil qui se couche, bientôt c'est sûr on verra les étoiles. Une silhouette au fond de la cour, une ombre qui grimpe sur le mur, saute de branche en branche sur l'arbre, atterrit au sol comme un chat. Ou un renard. Peut-être un esprit de la forêt ?

Ça serait marrant tiens.

Il lui dira, à l'occasion.

Il s'approche, souple et silencieux, presque vaporeux. Il a pas besoin de deviner qui c'est, il le sait déjà. Plus grand et plus gracile à la fois. Cheveux en pétard dans le vent. Reflet doré et glacial sur le médaillon qu'il porte au du cou.

Il se lève, le rejoint. Sourire provocateur. Coup de poing vengeur vite évité. Avec juste le bruit de l'air en mouvement.

Et le tic tac incessant de la pendule du salon.

Comme pour lui rappeler le temps qui s'arrête jamais.

Pas un mot, un coup d'œil dans la pièce, sur le cadavre, et ça y est c'est réglé. Ils sont pas pressés. Pas comme si l'odeur rance allait les déranger. L'autre n'a même pas froncé le nez. C'est là qu'on voit les endurcis.

Ou les pros.

Ou les deux.

Encore ce goût de bile qui remonte et gigote désagréablement. Il regarde en arrière, méchamment, accuse en silence le responsable de ses maux et son sourire disloqué. Crache. Renifle de mépris. Ouais, ça va vite passer.

Il se sent pas forcément mieux qu'avant. Juste calmé. Pas spécialement satisfait. C'était pas une jouissance. Juste un instinct de survie.

Il s'éloigne, d'un pas, ou deux, en rythme avec l'horloge. Le sang qui imite la trace de ses pieds nus sur le carrelage. Bruit métallique de la lame qui rencontre la table. Il s'étire, soupire de bien-être, ignore les protestations de ses muscles endoloris. Trop contractés. Pas habitués.

C'est pas facile d'escalader les murs avec la tête qui tourne.

Et encore moins avec des boulets aux chevilles.

Mais ça il l'admettra pas.

Ils sont pas pressés, y'a que le tic tac régulier et tranquille pour leur rappeler que le temps est pas infini. Qu'il leur est compté. À plus ou moins long terme.

Il regarde dehors, ce soir c'est pleine lune. Drôle de présage. C'est un jeudi douze aussi. Il est un peu en avance sur le calendrier.

Il glisse jusqu'à la porte-fenêtre grande ouverte sur la nuit. Parfum de nature. Là, quelque part, loin. Vachement tentant. Silence de plomb. À croire que tout s'est arrêté. Sans l'horloge il l'aurait cru. Il veut pas être demain.

Les grumeaux se font plus espacés. Il aura toute la vie pour les sentir s'agiter dans son ventre. Le dernier explosera le dernier jour. À l'aurore. C'est comme ça qu'il le veut. L'autre le rejoint, debout derrière lui. Sans le toucher. Surtout pas le toucher. Il est trop froid, ils risqueraient de rester collés. Fondus. Dans la glace. Celle de leur haine.

L'amour c'est pas leur truc.

Ça sert à rien.

Ils sortent, ferment la porte. Dehors, c'est pareil qu'à l'intérieur. Faut partir, marcher plus loin. C'est là qu'il se sentira mieux. L'autre lui sert de guide. Il connaît le chemin. C'est pas long. Y'en a pour quelques heures, pas plus. Juste le temps d'arriver là-bas, ça sera demain.

Il veut pas vraiment que le soleil se lève à nouveau. Il a un peu peur. Non. C'est de l'appréhension, plutôt.

Demain, c'est le jour où il est né.

En rêve.

Il aime pas ça. C'est fictif. Compter les années, un deux trois soleil. Si tu bouges, t'es mort.

Ça tombe bien.

Demain, c'est le jour où il s'est tué.

Où il va renaître.

Ou mourir à nouveau.

Il sait pas trop.

Il marche, escorte les constellations. La petite ourse. L'étoile polaire. Il suit, sans se poser de question. Les questions, ça encombre. L'amertume aussi. Il veut se faire tout léger pour suivre son guide sans se fatiguer.

Pour être porté comme un souvenir heureux.

Ou comme le pire des regrets.

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